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Le compositeur Giorgio Battistelli ouvre la saison lyrique à Rome

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Le Teatro Costanzi de Rome ouvre la saison avec Jules César de , mis en scène par sous la direction de Daniele Gatti. Le compositeur nous explique l'origine et la nature de son travail.

ResMusica : Carlo Fuortes, le surintendant du Teatro Costanzi devenu PDG de la Rai, a commandé ce nouvel opéra et a choisi le thème du dictateur assassiné pour sauvegarder la liberté romaine…

: Il est rare que les surintendants choisissent un sujet. Fuortes a eu l'idée il y a quatre ans, après avoir vu mon Richard III à la Fenice. J'ai tout de suite accepté en pensant au deuxième titre d'une trilogie inspirée de Shakespeare, et j'ai commencé à réfléchir aux situations orchestrales, au type de couleur dramaturgique. Pendant un an, convaincu de le mettre en scène aux Thermes de Dioclétien en plein air, j'ai collaboré avec Graham Vick, avec qui j'avais déjà travaillé au « Wake » à Birmingham. Puis le Covid est arrivé…

RM : Graham Vick est décédé [ndlr : le metteur en scène est décédé du Covid-19 en juillet 2021], a pris la relève ?

GB : Non, Carsen s'était déjà proposé auparavant via Ian Burton, le dramaturge qui l'accompagne depuis trente ans, réputé pour respecter les textes originaux en y insérant quelques innovations, et par ailleurs auteur du livret de mon Richard III écrit pour Anvers en 2005 et du Co2 pour la Scala en 2015.

RM : Que reste-t-il de Shakespeare dans votre Jules César ?

GB : Les tensions, les signes prémonitoires, les rencontres étranges avant la conspiration, et bien sûr le meurtre de César, le discours d'Antoine, les tourments de Brutus qui commencent encore plus tôt… J'ai voulu mettre l'écriture orchestrale sous le signe du doute. Je ne pensais pas à une œuvre d'action, comme Richard III. Ici, en dehors de la bataille de Philippes, synthèse du changement de pouvoir en cours, il n'y a pas d'actions à part l'assassinat. Je voulais mettre en scène le doute, les tourments des conspirateurs qui, après avoir commis un crime atroce, sont désemparés.

RM : Il ne doit pas être facile d'écrire un opéra sur le doute…

GB : Généralement, cela fonctionne mieux lorsque il y a une alternance entre des moments de récitatifs et des dialogues, des moments dialectiques, dynamiques et suspendus. Moi, par contre, j'ai imaginé une musique qui tourmente l'âme, une musique sombre, changeante, qui se transforme constamment, sauf à la fin, lorsque Brutus est tué après la bataille de Philippes.

RM : Comment avez-vous conçu la bataille ?

GB : En créant une distance, comme si vous la voyiez de loin. Elle dure peu de temps puis s'estompe. Un son unique enveloppe les chanteurs sur la tonalité de la bémol, une note grave qui continue comme s'il s'agissait d'une chanson reprise par le chœur hors scène, et par le fantôme de César lequel annonce, après son assassinat, « mon œuvre est accomplie ». C'était l'idée de Burton, la partie apocryphe par rapport à la tragédie de Shakespeare.

RM : Le Jules César de Shakespeare est un dictateur réticent, il hésite à se présenter devant le Sénat alors que Calpurnia le supplie d'y renoncer…

GB : Oui, et quand les conspirateurs maléfiques lui font comprendre que s'il ne se présente pas, tout le monde dira que sa femme gouverne et non pas lui ; il accepte par orgueil et défie le sort.

RM : Votre Giulio Cesare, quel genre de dictateur est-il ?

GB : C'est un tyran démocratique, très différent d'un dictateur du XXᵉ siècle, avec son idée d'un empire global, où la conquête est le prélude à l'assimilation. Il a une forme de générosité qui n'existe pas aujourd'hui, puisqu'il va laisser toute sa fortune au peuple romain. Il est doté d'un immense charisme vis à vis des soldats et des politiciens. A 16 ans, il a tenu tête à des politiciens de 40 ans. J'ai découvert avec étonnement qu'aujourd'hui, Jules César est le nom le plus répandu dans le monde.

RM : Quel est le personnage qui vous a le plus intrigué ?

GB : Le fantôme de César qui revient et qui, par un sentiment de culpabilité, conduit tout le monde au suicide. Ses assassins lui demandent pardon, et il les tue en disant : « J'ai rendu justice« . Mais le personnage le plus intéressant à mes yeux est Brutus, qui vit son tourment en tant qu'homme et politique, et quand il dit « Entre Rome et César j'ai choisi Rome« , on ne sait pas s'il le fait pour apaiser les esprits ou parce qu'il est la victime d'une relation amour-haine. Il parait qu'il a poignardé César près des parties génitales, et j'ai voulu imaginer une transgression, comme Cassio amoureux d'Othello…

RM : Le retour au monde antique est-il un défi par rapport à l'effacement de l'ancien prôné par la « cancel culture » ?

GB : La musique ne peut pas être un simple élément de consolation ou de divertissement. Dans mes derniers opéras, de Lot tiré de la Bible pour l'Opéra de Hanovre à Co2 à la Scala, j'ai toujours espéré retrouver une dimension éthique à confier à la musique, qui véhicule la pensée et raconte la complexité du monde dans lequel nous vivons. Sur le plan technique, le mien n'est pas un opéra tonal sur le modèle du XIXᵉ siècle, il est basé sur la coexistence de dissonances. Le problème est d'associer la dissonance à la complexité d'un langage abstrait à l'état embryonnaire. Qu'est-ce que la dissonance ? Une présence étrangère que l'on ne reconnaît pas, une personne venue d'ailleurs. En ce sens, Jules César était très en avance sur nous, car il avait résolu le problème par l'assimilation. Aujourd'hui, la dissonance demande plus de temps pour être assimilée. Et il est également vrai que les processus de post-modernité, d'éclectisme et de citationnisme y ont contribué…

Pendant des années, j'ai beaucoup travaillé sur l'élément de la dissonance, mais je crois avoir défini mon langage musical dans une dimension hétérogène. Mon écriture musicale bouge et tient compte d'éléments esthétiques distants, se nourrissant de sources très différentes. C'est ma façon d'entrer en contact avec notre temps, une époque tridimensionnelle, marquée par la coexistence d'éléments différenciés et en constante tension les uns avec les autres. Penser la forme musicale comme une forme organique qui grandit en se nourrissant d'éléments hétérogènes, comme une racine qui va dans des directions opposées mais qui contribue à la croissance de la plante, est d'un point de vue symbolique, conceptuel et technique, le procédé le plus proche du temps présent. En ce sens, je me sens proche des positions esthétiques de Nicholas Bourriaud, le théoricien de l'art relationnel et de l'enracinement. Il y a trente ans, la coexistence d'éléments différenciés, comme un accord tonal, ou l'élément d'une mélodie associé à un élément abstrait, était considéré comme une forme d'impureté inacceptable au nom de la cohérence stylistique. Aujourd'hui, elle est pour moi la base de la dynamique du son, que je poursuis sans pour autant renoncer à la dimension narrative.

Crédits photographiques : Image de une © Renato Masotti ; Portrait © Marco Borelli

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