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Paris. Salle Gaveau. 8-XI-2021. Frédéric Chopin (1810-1849) : Barcarolle en fa dièse majeur Op. 60 ; Sonate n° 3 en si mineur Op. 58 ; Fantaisie en fa mineur Op. 49 ; Berceuse en ré bémol majeur Op. 57 ; Polonaise Fantaisie en la bémol majeur Op. 61. Ivo Pogorelich, piano
Dans un récital intégralement dédié à Chopin, Ivo Pogorelich développe à la Salle Gaveau son jeu toujours si particulier, où les moments de génie alternent avec d'autres plus discutables.
Il est 20h28 et le récital est prévu deux minutes plus tard, mais Ivo Pogorelich est toujours en train de se chauffer au piano sur la scène de la Salle Gaveau, masqué et vêtu d'un bonnet rouge, d'une polaire et d'un manteau accroché autour de la taille. Une minute s'écoule encore et un membre de la direction vient le chercher ; il en mettra vingt de plus pour s'habiller et rentrer en tenue de soirée, prêt à s'atteler à une heure trente de musique de Chopin, sans entracte, comme il l'a décidé.
Les pièces choisies ne sont que celles de maturité, de la Fantaisie opus 49 à la Polonaise Fantaisie opus 61, avec en bis une seule Nocturne, la n° 2 de l'opus 62. D'abord prévue pour débuter le programme, les trois Mazurkas opus 59 sont finalement remplacées par la Barcarolle en fa dièse majeur, opus 60. L'accord introductif y dévoile une utilisation importante de la pédale, à déplorer à d'autres moments par la suite. Mais passé ce premier instant, le développement en tierce du thème initial trouve un véritable raffinement, tout juste plus appuyé lorsque la main gauche se déplace vers l'extrême du clavier. Déjà le jeu n'est pas rapide, bien qu'il exprime une superbe virtuosité, notamment dans les dernières mesures de l'œuvre.
Les applaudissements vites étouffés, puisque le pianiste ne s'est pas levé pour saluer, la partition suivante est placée devant le clavier. En lambeaux et alors que ses feuillets s'en détachent, elle donnera du fil à retordre au tourneur de pages juste à côté, qui devra parfois la rattraper de justesse et souvent la replacer. Rarement assez bien cependant pour le pianiste, tellement maniaque qu'il la redresse régulièrement à sa juste contenance, quitte à limiter le geste musical en train de s'achever. Malgré ces contraintes, Pogorelich déploie immédiatement son génie à l'Allegro maestoso de la Sonate n° 3 en si mineur op. 58, emmené de cette tonalité vers une coda en si majeur jamais trop éclairée. Très mesuré, dans le toucher comme dans le tempo, le pianiste prend aussi lentement le court Scherzo, relié à un Largo plus étendu, abordé avec une impression de grande sérénité, bien que d'une main droite parfois presque maniérée dans la façon de prolonger le cantabile. Le Finale gagne évidemment en dynamique et démontre une souplesse toujours intacte du doigté, toutefois très appuyé pour accentuer les chromatismes.
La Fantaisie en fa mineur op. 49 ramène à un caractère presque martial, très mélancolique dans cette interprétation, et là encore d'une expressivité contenue par la temporalité, large jusqu'aux ultimes instants. La Berceuse en ré bémol majeur op. 57 jouée juste après ne dénature alors pas le propos, elle aussi contenue dans une émotion doucereuse mais cette fois lumineuse, d'un geste délicat sur le clavier du superbe Yamaha, qu'on prend plaisir à écouter face à la trop large majorité de Steinway aujourd'hui utilisés. La Polonaise Fantaisie en la bémol majeur op. 61 clôt le programme, d'abord fine, puis finalement trop accentuée aux pédales.
Offerte en bis, la Nocturne n° 2, op. 62 clôture la soirée, ensuite définitivement terminée par Pogorelich qui, dès qu'il se relève, se sent obligé de ranger sous le piano son tabouret, puis à la stricte perpendiculaire celui du tourneur. Encore une fois, ce très grand artiste se montre toujours aussi surprenant, et toujours parfois si passionnant.
Crédit photographique : © Malcolm Crowthers
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Paris. Salle Gaveau. 8-XI-2021. Frédéric Chopin (1810-1849) : Barcarolle en fa dièse majeur Op. 60 ; Sonate n° 3 en si mineur Op. 58 ; Fantaisie en fa mineur Op. 49 ; Berceuse en ré bémol majeur Op. 57 ; Polonaise Fantaisie en la bémol majeur Op. 61. Ivo Pogorelich, piano