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Chen Reiss en soliste pour l’ouverture de la saison à Bozar de l’OPRL

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Bruxelles. Bozar. Salle Henri Leboeuf. 25-IX-2021. Richard Strauss (1864-1949) : Quatre derniers lieder opus 150. Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n° 4 en sol majeur. Chen Reiss, soprano ; Orchestre philharmonique royal de Liège, direction : Gergely Madaras

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L'Orchestre royal Philharmonique de Liège, sous la direction de son chef permanent , ouvre sa résidence en la salle Henri Lebœuf de Bozar Bruxelles pour cette nouvelle saison, avec le concours prestigieux de la soprano

Récemment nous confiait tout son intérêt et son intense travail autour des quatre derniers lieder de : elle entendait les mettre dès que possible à son répertoire. Avec cette ouverture de saison, elle propose ainsi une approche altière, parfois corsetée et émotionnellement distanciée de ces ultimes et sereines pensées musicales, après le cataclysme de la chute du troisième Reich, véritable testament musical du compositeur munichois alors octogénaire.

A plus d'une reprise, la soprano nous semble ça et là marcher sur des œufs : certes eu égard à la version enregistrée en janvier dernier en Galice devant un public clairsemé, sous la direction de Carlo Rizzi, l'artiste s'est affranchie de la partition et participe d'avantage par le regard et l'engagement à la communion du verbe tant avec l'orchestre qu'avec le public. On ne peut que louer ce legato souverain, ces phrasés soutenus, ce timbre plutôt moelleux, cette indiscutable autorité hélas, un rien distante et hautaine. Car, en toute objectivité, Sophie plus que Maréchale, et bien plus Zdenka qu'Ariadne – histoire de baliser quelques repères straussiens – , ne dispose pas tout à fait, pour l'instant du moins, de l'arsenal vocal et expressif pour prétendre à l'incarnation parfaite de cette ultime partition straussienne. Le médium grave insuffisamment large, manque de puissance, juste compensé par un vibrato d'émission, quasi instrumental, souvent maîtrisé mais par moment envahissant Les arabesques de Frühling, l'effervescence de September, quelque peu désincarnées tournent ainsi à vide. Il faut attendre Beim Schlafengehen et surtout Im Abendrot, enfin moins impassibles, pour retrouver l'aisance vocale et l'expressivité coutumières de la diva.

, presque trop attentif à ne pas couvrir sa soliste, tisse un canevas orchestral très délicat d'une retenue par moment trop pudique, frisant l'indifférence : le long prologue et le postlude d'Im Abendrot sont campés avec une étrange placidité. Le chef lâche d'avantage les brides dans les nombreux « ponts » instrumentaux des deux lieder médians, et laisser ses chefs de pupitre soliste sollicités, bien plus librement s'exprimer, notamment Bart Cypers, splendide premier cor, comme à l'habitude, dans September. Mais avouons notre perplexité devant une approche in fine assez superficielle voire hasardeuse de la part de tous les protagonistes.

A ces discutables quatre derniers lieder de , répond, après l'entracte, une lecture ciselée et sophistiquée, mais superbe et bien plus convaincante de la Symphonie n° 4 de . L'œuvre se révèle d'une tout autre acuité, par les options originales et pleinement assumées de , suivies avec ferveur et discipline par une phalange liégeoise très affûtée.

Selon les dires du compositeur, composer une nouvelle symphonie était à chaque fois « bâtir un monde ». Mais la présente Quatrième Symphonie est avant tout œuvre de transition : elle referme, en son lied final, l'univers du Knaben Wunderhorn présent dans les quatre premières symphonies par l'évocation mi-naïve mi béate d'un monde céleste où « Sainte-Cécile et les siens sont parfait musiciens, et leurs voix angéliques réchauffent le cœur » : Mahler y va d'un canevas étroit d'auto-citations de sa colossale et nietzschéenne Troisième Symphonie, revue sous un angle benoîtement ironique. Mais cette œuvre est loin d'être, comme on le lit parfois, « fleur bleue », « librement post-mozartienne », ou « nimbée d'accents univoques heureux et optimistes » : au climax du développement du Bedächtig initial, surgit dans un moment de panique la future fanfare funèbre augurale de la Cinquième Symphonie, tragique retour à ici-bas ; et le troisième temps Ruhevoll se révèle dans son cycle de doubles variations incertain voire intranquille, dans ces à-pics psychologiques entre extase sublimes et affres dépressifs.

Gergely Madaras a parfaitement saisi l'univers fragmenté et kaléidoscopique, les aspects parfois insaisissables et contradictoires de ce chef-d'œuvre aussi hétérogène que proliférant. Wilhelm Mengelberg avait, lors des séjours amstellodamois du compositeur, scrupuleusement noté les fluctuations métronomiques souhaitées, au fil d'un premier temps capricieux quoique durchkomponniert. Madaras rejoint cet idéal agogique avec une netteté insigne et un grand ordonnancement des idées musicales, d'une souplesse et une plasticité confondante. Il est admirablement suivi par son orchestre même si on pourrait imaginer des portamenti de cordes encore plus osés et insignes ou une sonorité plus «Mittel Europa» et coruscante de la petite harmonie (tel ce thème « inouï » donné par les quatre flûtes à l'unisson).

Au fil du scherzo In gemächlicher Bewegung, le konzertmeister Alberto Menchen, presque trop impeccable, pourrait d'avantage jouer au fil de ses interventions solistes en scordature la carte du crin-crin sardonique et parodique, délibérément voulu par Mahler. En revanche les trios, lumineux, avec d'enchanteurs pupitres de vents, en particulier les cors (mené cette fois par Nico de Marchi) et les clarinettes, sont simplement parfaits, d'une délicate et prégnante onctuosité viennoise. Le Ruhevoll déjà évoqué s'avère sans doute le sommet musical absolu de cette soirée : à la fois par la conduite patiente du discours, et par l'imbrication d'un flot de détails finement ciselés mais intégrés dans l'optique et le soucis de la grande forme, menant au fil des tensions et des détentes du discours, à cette apothéose grandiose, longtemps différée et ce soir presque « straussienne » peu avant l'enchaînement au lied final, retournant au monde du silence : Chen Reiss y est cette fois pleinement dans son élément, jubilatoire, solaire et décontractée pour l'évocation gourmande des délices éternels et célestes, sur le ton mi-naïf, mi-complice. Elle retrouve par la simplicité des moyens expressifs déployés, mais avec une grande sûreté dans la conduite de la voix, les chemins d'une innocence enfantine intemporelle.

Crédits photographiques : Chen Reiss © Claudia-Prieler ; Gergely Madaras © Marie Russillo

Mis à jour le 01/10/2021 à 21h11

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