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Hans Schmidt-Isserstedt par Sami Habra – II

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Second volet de notre entretien consacré au chef d'orchestre allemand (1900-1973) par son ami. Un voyage entre Hambourg, Baalbek et Paris, à la (re)découverte de l'Orchestre de la NDR, fondé en 1945 par Schmidt-Isserstedt avec les meilleures cordes d'Allemagne, dont celles de la Philharmonie de Berlin.

Chez Schmidt-Isserstedt, pas de position extatique les yeux fermés, au contraire chaque instrumentiste avait l'impression que Schmidt-Isserstedt ne dirigeait que pour lui

ResMusica : Schmidt-Isserstedt a fondé l'orchestre radiophonique de Hambourg, la NDR, au sortir de la Deuxième Guerre Mondiale. Les orchestres radiophoniques ont la réputation d'avoir un répertoire large et de manquer de personnalité. Qu'en est-il de la NDR ?

 : Schmidt-Isserstedt a fondé la NDR à la demande des Alliés, pour créer un grand orchestre symphonique sur le modèle de la BBC, de la NBC ou de l'Orchestre de la Radiodiffusion à Paris. Il a recruté certains des meilleurs musiciens de la Philharmonie de Berlin, parmi lesquels Eric Röhn, premier violon, et Arthur Tröster le violoncelliste. La NDR est l'héritière directe de la grande tradition allemande, illustrée par la Philharmonie de Berlin d'avant 1945. Dans les années 50 à 70, les cordes de la NDR sonnaient comme un seul instrument, elles étaient considérées comme les meilleures d'Allemagne, et dépassaient celles de la nouvelle Philharmonie de Berlin.

RM : Cette excellente réputation de la NDR a-t-elle franchi les frontières allemandes ?

SH : Quand l'Orchestre de la NDR est venu pour la première édition du Festival de Baalbek, en 1956, le chef d'orchestre Leon Barzin qui le dirigeait pour la première fois, m'a dit qu'il avait découvert un orchestre fabuleux, parmi les meilleurs du monde. Un jugement d'autant plus impartial que les répétitions avait mal commencé. Il fallait voir les contestations des musiciens de l'orchestre sur les choix interprétatifs de ce chef ! Ils défendaient leur tradition d'interprétation, et n'entendaient pas qu'elle soit remise en cause. A voir cette séance, ceux qui pensent que les musiciens allemands sont disciplinés auraient reconsidéré leur jugement ! Cela dit, avec Eugen Jochum, l'autre chef invité, tout s'est bien déroulé.

RM : Vous avez donc eu la chance d'assister au tout premier Festival de Baalbek de 1956 ?

SH : J'en ai été un des initiateurs, avec six autres camarades. J'étais très jeune. Aussi pour pouvoir inviter un orchestre nous nous sommes réunis au sein des Jeunesses Musicales du Liban. La Philharmonie de Berlin ne pouvait se déplacer sans Karajan, notre choix s'est porté de ce fait sur la NDR. Schmidt-Isserstedt étant retenu par l'inauguration de l'Opéra de Sydney, Leopold Ludwig était son remplaçant naturel. Certaines œuvres des compositeurs libanais n'ont pas rencontré les faveurs de Ludwig, qui en rejeta les partitions. Jochum et Barzin assurèrent finalement les cinq concerts du festival. En solistes il y avait Wilhelm Kempf, ainsi que Röhn et Tröster.

RM : Quel avait été le programme ?

SH : Bach, Mozart, Beethoven, Wagner, Tchaïkovski, etc. Nous avons demandé que l'orchestre interprète le Double Concerto de Brahms. Ce concerto était devenu le cheval de bataille de l'orchestre depuis que Röhn et Tröster l'avaient joué sous la direction de en 1951 – c'était alors une première pour l'orchestre. Les musiciens ont été surpris et très touchés par notre demande, à laquelle ils ont accédé bien volontiers. L'orchestre était disposé au pied du mur du temple de Jupiter, ce qui assurait une bonne acoustique. Tout le Festival fut un immense succès.

RM : Comment avez-vous réussi à faire venir un orchestre pour ce premier festival ? Avez-vous été aidé par le gouvernement libanais ?

SH : Non, notre chance a été que la NDR refuse tout cachet. Les autres frais ont été pris en charge par le gouvernement allemand, qui y voyait une opération de prestige.

RM : Ce succès a assuré le lancement du Festival de Baalbek.

SH : En effet, mais les Jeunesses Musicales du Liban ont été écartées après la première édition. Le succès de celle-ci permit aux nouveaux responsables de faire venir l'année suivante le New York Philharmonic, avec des chefs moyens. Puis, cela se dégrada d'année en année.

RM : Vous disiez que Leon Barzin s'était heurté à la détermination des musiciens de la NDR de défendre la grande tradition allemande. Schmidt-Isserstedt s'inscrivait sans doute dans cette tradition ?

SH : Pour ce qui concerne le répertoire allemand, en effet. A côté de cela, Schmidt-Isserstedt était pratiquement le seul chef en Allemagne à diriger avec autant de bonheur les musiques italienne, russe et française, sans oublier la musique contemporaine comme Scherchen. Sa direction était empreinte de l'art d', son Maître, pour la beauté du son, de Felix Weingartner pour l'élégance, d'Arturo Toscanini pour l'articulation.

RM : Le beau son, une obsession que Karajan partageait également !

SH : A vrai dire, ce n'est pas comparable. Chez Karajan, le souci du son est tel que le naturel est perdu, le style devient maniéré. Pour Karajan je parlerai de « joliesse » du son. Le « beau son » n'est d'ailleurs lui-même pas une fin en soi. Ainsi on ne trouve pas chez Nikisch ou Schmidt-Isserstedt la profondeur métaphysique que Furtwängler insuffle dans les partitions, en particulier Bruckner, profondeur que l'on retrouve seulement chez Abendroth ou Jochum.

RM : Vous n'incluez pas Sergiu Celibidache parmi les chefs métaphysiques ?

SH : Celibidache a essayé toute sa vie d'imiter la métaphysique de Furtwängler, mais il n'y est jamais tout à fait parvenu.

RM : Revenons à Nikisch. Il était un grand beethovénien, peut-on percevoir l'art de Nikisch dans les Beethoven de Schmidt-Isserstedt ?

SH : C'est très curieux, Schmidt-Isserstedt m'a dit n'avoir compris Beethoven qu'après ses 70 ans, soit après son intégrale des symphonies pour Decca (voir notre précédent entretien). Une partie de l'explication vient peut-être de l'ennui profond que suscitait la musique de Beethoven auprès de ses parents. Son père ne jurait que par Mozart, et sa mère adorait exclusivement Bruckner et Brahms. Schmidt-Isserstedt m'a mimé la scène d'un concert de la Pastorale auquel, tout jeune, il avait assisté avec ses parents, où Nikisch dirigeait la Philharmonie de Berlin : sa mère baillait sans cesse, son père regardait tout le temps sa montre à gousset. Pourtant, le Philharmonique de Berlin, Nikisch, la Pastorale, quelle affiche ! C'est finalement avec Furtwängler dans la Pastorale et la Symphonie n°8 qu'il a commencé à prendre la pleine mesure du compositeur et de l'interprète.

RM : La direction de Furtwängler n'a pourtant pas inspiré celle de Schmidt-Isserstedt. Que vous a-t-il dit sur ce chef ?

SH : Il considérait que Furtwängler était au-dessus du lot dans Beethoven, en particulier dans ces deux symphonies. Il avait été fasciné en particulier par le tempo lent dans le premier mouvement de la Pastorale : Furtwängler y accomplissait le prodige de diriger bien plus lentement que les autres chefs, mais dans une pulsation telle qu'on avait l'impression que le mouvement avançait plus qu'avec n'importe qui.

RM : Quelle influence ont eu Toscanini et Weingartner sur Schmidt-Isserstedt ?

SH : Il a été impressionné par Arturo Toscanini lorsque celui-ci a fait sa tournée européenne en 1930 avec le New York Philharmonic, pour la clarté de l'articulation, l'interprétation nerveuse, vive. Il a été surtout influencé par Felix Weingartner pour le « tempo juste », expression mise à part, et l'équilibre entre les pupitres. J'en ai eu une démonstration surprenante lorsque j'ai assisté à un concert de Schmidt-Isserstedt. Assis entre les trombones et le timbalier, placé au cœur de l'orchestre, j'entendais les différents pupitres de manière claire, équilibrée, comme si j'étais dans la salle.

RM : Schmidt-Isserstedt se comportait-il en dictateur, comme Toscanini ?

SH : Non, et surtout il regardait ses musiciens. Chez lui, pas de position extatique les yeux fermés, au contraire chaque instrumentiste avait l'impression que Schmidt-Isserstedt ne dirigeait que pour lui, surtout au moment des solos naturellement. Dans ce même concert, Schmidt-Isserstedt dirigeait Don Juan de Strauss. Pour faire apparaître la Comtesse, représentée par la clarinette, Schmidt-Isserstedt fit un geste de la main droite qui faisait mine d'écarter doucement les autres instruments, et quand il l'eut atteinte, il souleva la clarinette littéralement d'un doigt, la faisant ressortir comme il convenait pour ce thème immortel.

RM : Gardait-il toujours son calme ?

SH : Il ne s'énervait pas, à l'instar de Furtwängler. Le flûtiste de la Philharmonie de Berlin, Aurèle Nicolet, racontait qu'il avait raté son solo lors d'un concert avec Furtwängler. Celui-ci lui a tiré la langue, et a continué. Je n'ai vu Schmidt-Isserstedt s'énerver qu'une seule fois, avec l'Orchestre de Paris.

RM : Le niveau de l'Orchestre de Paris était-il insuffisant ?

SH : L'Orchestre de Paris était à l'époque formé de fraîche date, et Schmidt-Isserstedt ne fut pas peu surpris de devoir leur faire déchiffrer le Songe d'une nuit d'été de Mendelssohn. Il tentait d'obtenir de l'orchestre le fameux poco a poco rallentendo. Une fois, deux fois, l'orchestre n'y parvenait pas. Avant la troisième tentative, un contrebassiste s'interposa, alors qu'il n'était pourtant guère concerné par cette section, faisant valoir que ça suffisait bien comme ça. Il s'est fait enguirlander par Schmidt-Isserstedt, quelque chose en berlinois d'intraduisible et de volubile, et quand l'orchestre a repris pour une ultime tentative, cette fois ce fut admirablement réussi. « Ach so, das ist viel besser ?! » [alors est-ce mieux ?!] demanda Schmidt-Isserstedt au musicien, qui acquiesça de la tête. L'affaire était close.

RM : En définitive, que pensait-il de l'Orchestre de Paris ?

SH : Après le concert, il me déclara que finalement c'était « un excellent orchestre », qu'il aurait aimé diriger dans de la musique française. Il déplorait l'incapacité des orchestres allemands dans ce répertoire, tout comme son grand ami Pierre Monteux, et souhaitait pouvoir revenir à l'Orchestre de Paris pour un programme Debussy et Ravel, qu'il savait interpréter admirablement. Ce qui, malheureusement, n'a pas pu se faire.

Crédits photographiques : © Jean-Christophe Le Toquin

Lire le premier volet: 

Hans Schmidt-Isserstedt par Sami Habra – I

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