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Toutes les ambitions du Festival Enescu de Bucarest

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Roumanie. Bucarest. 30-VIII-2021. Œuvres de Paavo Järvi (né en 1962), Wolfgang Amadeus Mozart (1751-1791), Georges Enescu (1881-1955). Maria João Pires, piano. Baltic sea philharmonic : direction : Kristjan Järvi.
Grand Palace Hall. 30-VIII-2021. Œuvres de Ondřej Adámek (né en 1979), Ludwig van Beethoven (1770-1827). Magdalena Kožená, mezzo-soprano. London Symphony Orchestra, direction : Sir Simon Rattle.
Romanian Athenaeum. 31-VIII-2021. Œuvres de Arvo Pärt (né en 1935), Piotr Ilitch Tchaikovsky (1840-1893). Viktoria Mullova, violon. Baltic Sea Philharmonic, direction : Kristjan Järvi.
Grand Palace Hall. 31-VIII-2021. Œuvres de Anatol Vieru (1926-1998), Igor Stravinsky (1882-1971), Dmitri Chostakovitch (1906-1975), Paul Hindemith (1895-1963). Yeon-Min Park, piano. Rundfunk Sinfonieorchester Berlin, direction : Vladimir Jurowski
Romanian Athenaeum. 1-IX-2021 : Œuvres de Beethoven, Enescu. Christian Tetzlaff, violon. Orchestre de chambre de Lausanne, direction : Joshua Weilerstein
Grand Palace Hall. 1-IX-2021. Œuvres de Stravinsky. Rundfunk Sinfonieorchester Berlin, direction : Vladimir Jurowski

Le Festival George Enescu de Bucarest, célèbre cette année avec plus de faste encore sa 25e édition ainsi que les 140 ans de la naissance du maître roumain.

Un musée lui est consacré dans le Palais Cantacuzino, un des plus beaux bâtiments de Bucarest ; son buste de marbre est érigé sur les abords de la voie centrale de la ville tandis qu'il figure sur une toile du Musée national d'art de Roumanie dans son habit de violoniste. C'est dire la figure emblématique qu'est devenu le compositeur, violoniste, pianiste, pédagogue et chef d'orchestre roumain George Enesco (1881-1955), personnalité internationale qui meurt à Paris où il s'est exilé après la guerre et que Bucarest honore tous les deux ans depuis 1958 d'un festival qui porte son nom.

Jamais encore la manifestation ne s'était déployée sur une aussi longue durée (du 28 août au 26 septembre) et à un tel rythme : deux rendez-vous quotidiens, à 16h30 au Romanian Athenaeum et 19h30 au Grand Palace Hall ; mais aussi à 10h30 chaque dimanche dans un programme de récitals et musique de chambre et à 13h30 chaque samedi pour un rendez-vous plus spécifique avec les musiques du XXIᵉ siècle au Radio Hall. Mentionnons également les films, conférences, forum de compositeurs et autres concerts hors les murs qui font la richesse d'une telle manifestation. C'est aussi l'édition qui fera entendre la part la plus importante du catalogue d'Enesco, excepté son opéra Œdipe qui, rappelons-le, sera bientôt à l'affiche de l'Opéra de Paris.

Au Romanian Athenaeum

Située dans le cœur historique de la capitale, la rotonde néo-romaine à l'acoustique généreuse est idéale pour les cordes et les formations de chambre. Elle n'en accueille pas moins des phalanges orchestrales au complet telle celle du amené à jouer debout et la plupart du temps sans pupitre dans l'espace un rien confiné du plateau. Il faut préciser que les interprètes sont tous très jeunes, musiciens des pays voisins de la mer Baltique réunis en 2008 sous la direction (sans baguette) de . Chef et compositeur estonien-américain (il a grandi et s'est formé aux États-Unis), il est le fils de Neeme et frère de Paavo, et a été chef assistant d'Esa-Pekka Salonen – dont on perçoit clairement l'influence bénéfique – à l'Orchestre philharmonique de Los Angeles : énergie et engagement physique du geste, liberté et souplesse d'une direction qui insuffle un élan extraordinaire dans les rangs de l'orchestre. Aurora, l'une de ses compositions qui débute le concert, est un lever du jour flamboyant, une marqueterie colorée de motifs fonctionnant sur le principe de la répétition dans la mouvance d'un John Adams. La pièce est jouée par cœur, du jamais vu dans la musique d'aujourd'hui !

On remet les pupitres pour Mozart et son Concerto n°9 dit « Jeunehomme », une œuvre gorgée de fantaisie et de surprise invitant, excusez du peu, au piano. Épaulée par des jeunes musiciens à l'écoute, elle est souveraine dans un première mouvement tout de fraîcheur et de spontanéité. Elle mène avec la gravité qui convient l'Andante en mineur si proche de l'art vocal avant de retrouver la verve mozartienne dans le rondo final et ses couplets aventureux.

se lance ensuite avec « les jeunes de la Baltique », dans la Symphonie n°2 de George Enescu (il en écrit cinq dont les deux dernières sont inachevées), une partition créée en 1915 avec le compositeur au pupitre sur ce même plateau de l'Athenaeum. Peu satisfait de son travail, Enesco met la symphonie de côté, qui ne sera publiée qu'en 1965 par les éditions Salabert. L'œuvre en trois mouvements regarde vers Strauss où le lyrisme et l'opulence sonore tendent à noyer les contours formels. L'orchestre en avive les couleurs – les cuivres en vedette notamment – Järvi tenant à bout de bras ses musiciens jusqu'au final en apothéose.

A la même heure le lendemain (en général les phalanges sont invitées pour deux concerts), le partage la scène avec la violoniste russe dans une première partie consacrée à l'Estonien Arvo Pärt et son célèbre Fratres (version violon, ensemble et percussion) balançant entre « tintinabuli » et figures ornementales virtuoses du violon. La surprise et l'étonnement viennent après l'entracte, avec Le lac des cygnes de Tchaïkovski arrangé par le maître Järvi en « symphonie dramatique » pour orchestre que chef et musiciens jouent par cœur. Elle permet de faire briller en solistes une bonne partie des interprètes. La suite d'une heure quinze de musique enchaîne les numéros dans un rythme endiablé, une théâtralité bluffante et une complicité totale du chef et des musicien libérés de leurs partitions.

Le lendemain, George Enesco est également au programme de l' dirigé par son chef titulaire, l'Américain . A l'affiche du concert de 16h30, l'Octet en do majeur op.7 du Roumain est précédé par le Concerto pour violon de Beethoven sous l'archet de . L'œuvre pleine d'embûches pour le soliste comme pour l'orchestre est restituée avec beaucoup de finesse par les deux instances, entre rigueur formelle et souplesse des lignes ornementales. Savoureuse et particulièrement risquée est la cadence du premier mouvement jouée par un soliste qui embarque la timbale dans son élan. Il mène le rondo avec beaucoup d'esprit et de vitalité, alliant légèreté de l'archet et habileté des transitions. L'orchestre ne démérite pas, réactif et soignant la polyphonie sous la conduite galvanisante de . L'Octet d'Enesco, arrangé pour orchestre à cordes, est une ample partition de près de 40 minutes écrite en 1900, un an après La Nuit transfigurée de Schoenberg dont elle partage les élans expressionnistes : lyrisme généreux, polyphonie nourrie et combinatoire formelle s'exercent dans une partition où convergent diverses influences. L'écriture y est essentiellement mouvante, dessinant un cheminement dramatique à travers des contrastes accusés. La valse finale confine au fantastique, dans la surenchère expressive et les lignes tendues vers des sommets paroxystiques. Le chef comme les musiciens s'y emploient avec un élan et une concentration phénoménaux.

Les grandes phalanges mondiales

Les concerts de 19h30 au Grand Palace Hall (modèle « boite à chaussures » bien sonnant) reçoit les grandes formations, une quinzaine d'orchestres des plus fameux, y compris l'Orchestre National de France et le George Enescu Philharmonic Orchestra qui a ouvert l'édition 2021 avec et Sarah Nemtanu comme premier violon solo.

Le et Sir sont au rendez-vous pour deux concerts fêtant Enesco (la fameuse Rapsodie roumaine n°1 dont les premières mesures servent de rappel dans le hall de l'auditorium) mais aussi Stravinsky dont le festival célèbre les 50 ans de la mort. Le second concert auquel nous assistons fait la part belle à la création avec une pièce récente (2020) du Tchèque écrite pour et son épouse, la mezzo-soprano , qui l'ont donnée en première mondiale avec l'Orchestre symphonique de la Radio bavaroise en septembre dernier. Where are you ? est une œuvre-monde posant une question existentielle : d'où venons-nous, où allons-nous ? Y convergent des textes issus de différentes sources (prières, livres saints, saeta, etc.) et dans différentes langues (araméen, tchèque, espagnol, dialecte morave, anglais, etc.). Elle débute et se referme symboliquement sur le souffle et le geste de la chanteuse adressé au public comme à l'orchestre : une invitation à célébrer ensemble cet action sacrée autant que sonore imaginée de toute pièce par le compositeur. fait résonner un spring-box, sorte de vibration première qui traverse les rangs de l'orchestre. C'est la chanteuse qui conduit cette célébration imaginaire à travers son souffle puis ses mots dont les instruments (la flûte basse inaugurale) vont répercuter les rythmes et les couleurs, telle une parole agrandie à la dimension de l'orchestre, qui s'entend de plus en plus fort jusqu'au sommet de la transe : « Are you there, are you in ? » lance-t-elle dans le mégaphone au terme de la trajectoire. Portée par des interprètes d'élection, Where are you ? est sans aucun doute la pièce la plus étonnante et fascinante qui aura résonner dans le Grand Palace Hall. Le concert se poursuit avec la « pastorale » de Beethoven et le même bonheur de l'écoute, laissant apprécier la qualité inégalée des cordes du LSO (lissage et flexibilité), la transparence des textures au sein des bois et la perfection du phrasé sous la baguette élégante de Sir Simon Rattle et dans le confort acoustique du Grand Palace Hall.

Il est difficile de succéder au LSO et l'on est, certes, moins séduit par le Rundfunk-Sinfonieorchester, orchestre de la radio de Berlin (RSB) conduit par son chef titulaire – et directeur artistique du festival – Valdimir Jurowski : moins de précision et d'équilibre au sein des pupitres, moins de cordes soyeuses et de réactivité des vents. Le programme, un rien profus, des deux soirées au Grand Palace Hall n'en est pas moins intéressant.

Après le très sombre et dramatique Memorial du roumain Anatole Vieru (1926-1998), l'orchestre invite la sémillante pianiste coréenne , lauréate du Concours International George Enescu 2020-21 (section piano et violon) dans le Concerto pour piano et instruments à vent d'Igor Stravinsky, une partition qu'elle a montée à la hâte, nous précise-t-elle, et qu'elle joue pour la première fois en concert. On passera sur l'introduction orchestrale peu « informée historiquement » (c'est une « ouverture à la française »). La pianiste se lance vaillamment dans un Allegro sans concession, doigts fermes et énergie à toute épreuve, même si l'équilibre sonore avec des cuivres un rien rugueux, n'est pas toujours obtenu. Le Largo laisse apprécier la sonorité ample et joliment timbrée de la pianiste qui parvient à concurrencer celle des vents. Elle tient efficacement son clavier dans un final redoutable, agitato et stringendo, où elle aura le dernier mot. Son étude de Chopin, certes impeccable, n'est pas du meilleur choix après Stravinsky.

Le concert s'achève avec une œuvre rare, la Symphonie Mathis der Maler qu'Hindemith tire de son opéra homonyme dont le sujet s'intéresse au peintre du Retable d'Issenheim Matthias Grünewald. La pièce d'une trentaine de minutes est en trois mouvements dont chacun porte le titre d'un panneau du retable en question : Concert d'anges, Mise au tombeau et Tentation de saint Antoine. L'orchestre bien préparé restitue la richesse des couleurs et la vitalité d'une écriture orchestrale magistralement conduite dont le maestro Jurowski donne la pleine mesure.

Il a conçu pour la soirée suivante un programme exclusivement stravinskien avec rien moins que cinq opus à l'affiche dont le « jeu musical » The Flood (1963) et le ballet Les Noces : un spectacle soutenu par le mécénat privé et incluant une création vidéo de Carmen Lidia Vidu. Rappelons que The Flood (Le Déluge) convoquant la technique sérielle a été créé sur la chaîne CBS qui en avait fait la commande à Stravinsky. Rare également, l'œuvre réunit solistes, chœur, récitant et grand orchestre tenus de mains de maître par Vladimir Jurowsky. Le déploiement est moindre dans Renard (1922), « histoire burlesque chantée et jouée », en russe bien évidemment, que les quatre chanteurs (deux ténors et deux basses) défendent bec et ongles, donnant de leur personne dans une pièce sans concession pour les voix. Elles n'ont pas toujours le relief souhaité dans Noces, notamment dans le quatrième tableau (« Le repas de Noces ») si théâtral ; le ballet donné ce soir en version de concert manque de ciselure et de clarté d'émission, au sein du chœur comme chez les solistes. On retiendra par contre la belle exécution des Symphonies pour instruments à vent (1920), chef d'œuvre que Stravinsky écrit en hommage à Debussy disparu deux ans plus tôt. Pour cette cérémonie hiératique et belle dans son austérité, le maître Jurowski obtient de ses musiciens les sonorités âpres et violentes qui lui conviennent.

Crédits photographiques : © Catalina Filip / Alex Damian

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