À Bayreuth, Les Maîtres chanteurs font le procès de Richard Wagner
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Allemagne. Festspielhaus. 17-VIII-2021. Richard Wagner (1813-1883) : Die Meistersinger von Nürmberg, opéra en trois actes sur un livret du compositeur. Mise en scène : Barrie Kosky. Scénographie : Rebecca Ringst. Costumes : Klaus Bruns. Lumières : Franck Evin. Avec : Michael Volle, Hans Sachs ; Georg Zeppenfeld, Pogner ; Tansel Akzeybek, Vogelgesang ; Armin Kolarczyk, Nachtigall ; Martin Gantner, Beckmesser ; Werner Van Mechelen, Kothner ; Martin Homrich, Zorn ; Christopher Kaplan, Eisslinger ; Ric Furman, Moser ; Raimund Nolte, Ortel ; Andreas Hörl, Schwarz ; Timo Riihonen, Foltz ; Klaus Florian Vogt, Walter von Stolzing ; Daniel Behle, David ; Camilla Nylund, Eva Christa Mayer, Magdalena ; Günther Groissböck, veilleur de nuit. Chœur du festival et Orchestre du festival de Bayreuth, direction : Philippe Jordan
Après une année blanche en 2020 pour cause de pandémie, l'édition 2021 du Festival de Bayreuth redonne l'ancienne production des Maîtres chanteurs de Nuremberg datant de 2017, dans la mise en scène très militante de Barrie Kosky, servie par Philippe Jordan à la baguette et une distribution vocale de haute volée, dominée par Michael Volle dans le rôle de Hans Sachs.
Dans sa vision décapante et remarquablement construite du concours de chant parodiant celui de la Wartburg dont le vainqueur remportera la main d'Eva, Barrie Kosky fait à mots couverts, le procès de Richard Wagner dans un réquisitoire oscillant entre grotesque et dénonciation. A partir d'une fine analyse historique et politique, laissant une large place aux problèmes raciaux, le metteur en scène australien évoque sans ambages et de façon un peu monothématique l'antisémitisme du compositeur sur lequel il construit l'essentiel de son discours. Une option éthiquement recevable et même souhaitable par les temps qui courent, mais oser l'outrance jusqu'à le citer comme accusé à la barre du procès de Nuremberg, voilà qui est peut-être pousser le bouchon un peu loin, répondant à des préoccupations toutes personnelles ou sacrifiant à la nécessaire quête de rédemption de la colline verte, face au tribunal de l'histoire.
Nous voilà prévenus dès l'acte I : dans une virtuose volte-face scénographique nous passons de la Villa Wahnfried à la salle du procès de Nuremberg ! Barrie Kosky brouille les cartes en mélangeant les personnages (Wagner devient Hans Sachs, Cosima figure Eva, Liszt est Pogner, trio auquel s'adjoint Hermann Levi qui deviendra Beckmesser) ainsi que les différentes époques (Wagner sera tour à tour, enfant, David, Walter et Hans Sachs, tous ces différents clones sortant successivement du piano tandis que Wagner et Liszt jouent l'Ouverture à quatre mains). Tout cela peut dérouter ou séduire par son extraordinaire maestria théâtrale nous invitant à un étrange et envoûtant voyage spatio-temporel au travers de la vie du compositeur. Lors de l'Ouverture, nous sommes à la Villa Wahnfried chez le maître des lieux qui reçoit ses amis reconstruisant en son cossu logis tout son Eden personnel (parfum, chaussures, tissus, musique…) en même temps qu'il affiche son caractère exécrable (prétention, autorité, mégalomanie…) et surtout un notable penchant à l'antisémitisme dont Hermann Levi (créateur de Parsifal en 1882) est la victime toute désignée, l'obligeant à s'agenouiller lors de la prière au Grand Œuvre dont Wagner est le grand prêtre ! Le second acte, plus statique, fait la part belle aux voix et à l'orchestre avant que le pauvre Beckmesser, personnage emblématique de toutes les haines wagnériennes, ne subisse un pogrom en bonne et due forme, endossant le masque du juif Süss dans une assimilation glaçante, portant l'étoile de David avant de s'effondrer sous les déchaînements de la foule. L'acte III retrouve la verve théâtrale et le grand spectacle, Barrie Kosky concède alors quelques talents musicaux au compositeur puisqu'il l'autorise à diriger un grand orchestre symphonique surgi du fond de la scène dans un très bel effet, façon peut être détournée de célébrer la victoire de l'art et d'apaiser, in fine, la virulence de son propos.
En habitué des lieux, Philippe Jordan dirige Chœur et Orchestre du Festival de main de maître, respectueux des équilibres et particulièrement attentif aux chanteurs comme à l'acoustique si particulière du Festspielhaus, évitant décalages et saturation, et suivant au plus près la dramaturgie qu'il exalte par un phrasé très narratif, d'une clarté quasi chambriste, à la fois délicat dans ses nuances et véhément dans ses contrastes.
La distribution vocale se caractérise par une rare homogénéité, dominée par Michael Volle qui donne au personnage de Sachs toute sa mesure humaniste et son charisme où la performance vocale hors du commun (puissance, legato) le dispute à un engagement scénique sans faille. Face à cette époustouflante incarnation, Klaus Florian Vogt en Walther ne déçoit pas, apportant l'étrangeté et la juvénilité de son timbre, parfaitement apparié à celui de la solaire Eva de Camilla Nylund. Martin Gantner campe un Beckmesser aussi drôle que bien chantant. Le Pogner de Georg Zeppenfeld irréprochable, le vaillant David de Daniel Behle et la flamboyante Magdalene de Christa Mayer complètent ce casting d'exception, sans oublier le chœur du festival, ni les Maîtres dont le ramage exemplaire est en parfaite adéquation avec le luxueux plumage (superbes costumes de Klaus Bruns).
Crédits photographiques : © Bayreuther Festspiele/ Enrico Nawrath
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