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Salzbourg. Grosses Festspielhaus. 13-VIII-2006. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Die Zauberflöte, singspiel en deux actes sur un livret de Emmanuel Schikaneder. Mise en scène : Pierre Audi ; décors : Karel Appel ; costumes : Jorge Jara ; lumières : Jean Kalman ; chorégraphies : Min Tanaka. Avec : René Pape, Sarastro ; Paul Groves, Tamino ; Franz Grundheber, l’Orateur et premier prêtre ; Xavier Mas, deuxième prêtre ; Michael Autenrieth, troisième prêtre ; Diana Damrau, la Reine de la Nuit ; Genia Kühmeier, Pamina ; Inga Kalna, Karine Deshayes, Ekaterina Gubanova, les trois Dames ; Solisten der Wiener Sängerknaben, trois enfants ; Irena Bespalovaite, Papagena ; Markus Werba, Papageno ; Burkhard Ulrich, Monostatos ; Simon O’Neill, Peter Lœhle, deux hommes en arme ; Michael Autenrieth, Michael Stange, Mathis Reinhardt, trois esclaves. Orchestre philharmonique de Vienne, direction : Riccardo Muti
Cette Flûte enchantée est importée du Nederlandse Opera d'Amsterdam, alors que Salzbourg avait pourtant vu l'année dernière la création d'une nouvelle production, signée par Graham Vick.
N'ayant pas vu cette mise en scène très controversée, nous ne nous prononcerons pas sur l'opportunité de la remiser aussi vite aux archives. Sa remplaçante est conçue par Pierre Audi, qui réalise un spectacle très réussi, en évitant les travers du regie-theater à l'allemande, très à l'honneur durant ce Festival de Salzbourg 2006, surtout pour les productions d'œuvres de jeunesse de Mozart. Pierre Audi réalise une mise en scène simple et lisible, et se «contente» d'illustrer l'histoire avec brio plutôt que de chercher à y plaquer ses fantasmes ou ses interrogations existentielles. Les décors sont simples et beaux. De couleurs vives et fortes, qui font souvent penser (les grandes fleurs, les rochers, l'immense totem auquel est accrochée Pamina) à des sculptures faites en plasticine. Ils ne cherchent pas le réalisme, mais bien à transporter le spectateur dans un monde féerique, où la magie peut opérer. Les changements de décors se font à vue, de façon très naturelle, sans impatienter les spectateurs. Les costumes sont également très soignés, et certains, très colorés font beaucoup d'effet : la somptueuse robe de la Reine de la Nuit, les costumes bigarrés des esclaves et de Monostatos, celui de Papageno.
La distribution de cette Flûte enchantée est exceptionnelle en ce sens qu'on se trouve face à une équipe soudée et remarquablement homogène, que tous ses membres sont dignes d'éloges, et presque parfaits pour leurs rôles. La seule petite faiblesse, et nous sommes conscients d'être à la limite du pinaillage, est à chercher chez Tamino, dont Paul Groves n'est pas l'interprète idéal. Son allemand d'abord, est peu naturel, et teinté d'un fort accent yankee. Le chant ensuite est un peu trop musclé, la voix manque de nuance et de jeunesse, et il est difficile de le trouver crédible en prince tout juste sorti de l'adolescence, même s'il chante avec beaucoup de justesse, de sûreté et de brio.
Tous les autres sont magnifiques, et parfois même inoubliables, constituant certainement la référence actuelle de leur rôle. Superbes et luxueuses, les trois Dames, Inga Kalna, Karine Deshayes et Ekaterina Gubanova, à l'allemand parfait, au chant piquant et incisif, et aux timbres bien différenciés. Superbes également, le Monostatos menaçant de Burkhard Ulrich, spécialiste des rôles de demi-caractère, les deux hommes d'arme, marmoréens, et les trois prêtres, Franz Grundheber, Xavier Mas et Michael Autenrieth, dont le dernier est particulièrement allumé, dans son rôle de maniaque prenant un visible plaisir à tourmenter le pauvre Papageno. Franz Grundheber est également l'Orateur du premier acte, il y est digne et émouvant, mais aussi un peu fatigué.
Markus Werba est Papageno. C'est un rôle plutôt facile, mais dont il se tire à merveille, tant du point de vue du chant, franc et sonore, que du point de vue théâtral, où sa jeunesse et son entrain font merveille. Sa Papagena n'est pas en reste. René Pape a été révélé au grand public lors du Festival de Salzbourg de la précédente année Mozart en 1991, où il avait été choisi par Georg Solti pour incarner Sarastro. Depuis quinze ans, il a été «Le» Sarastro du festival, participant, parfois en alternance, à toutes les reprises de l'œuvre. C'est peu dire qu'il maîtrise le rôle, et son si difficile «In diesen heil'gen Hallen» est d'une tenue de souffle, d'une profondeur et d'une luxuriance de timbre assez sensationnelles. Chanteur jeune, la petite quarantaine, malgré sa déjà longue expérience, il donne une interprétation assez juvénile et sanguine de son rôle. C'est un homme dans la force de l'âge qui nous parle, pas un vieux raseur qui débite des sermons, et on le sent bouillant de colère lorsque Monostatos lui met des bâtons dans les roues.
C'est la Salzbourgeoise Genia Kühmeier qui chante Pamina. Incarnation majeure, car elle ne se contente pas de jouer sur la fraîcheur du timbre et sur une innocence d'expression uniformément enfantine. Elle incarne au contraire une Pamina qui évolue, de la pureté juvénile de ses apparitions au premier acte, à la profondeur des sentiments qu'elle donne à un «Ach, Ich fühl's» d'anthologie, merveilleusement coloré, puissamment projeté, et dit avec des sentiments ardents et adultes. La Reine de la Nuit est chantée par la stupéfiante Diana Damrau, qui réalise des prodiges dans ses deux airs. Sa voix scintille comme mille diamants dans «O zittre nicht», auquel elle donne toute la tendresse et la douleur d'une mère bafouée, mais dans lequel on sent également, sous-jacente, la violence qu'elle peut déclencher si ses souhaits ne sont pas exaucés. Cette violence éclate dans son second air, hargneux, brutal, et pourtant d'un contrôle absolu, et dont les aigus sont d'une pureté de cristal.
Dirigeant de somptueux Wiener Philharmoniker, Riccardo Muti donne à cette Flûte enchantée les mêmes couleurs vives et la même magie que la mise en scène. Le geste est fluide, les tempi sont modérés et souples, et l'équilibre entre la fosse et le plateau est parfait. Une lecture évidente, dont la surprise ne réside pas dans la nouveauté d'un accent qu'y aurait déniché Riccardo Muti, mais bien dans le miracle de l'entente parfaite qui existe depuis tant d'années entre le chef et l'orchestre viennois.
Avec un chef et un orchestre inspirés et en parfaite harmonie, une distribution qui cumule les superlatifs et une mise en scène intelligente, cette Flûte enchantée fait véritablement honneur au Festival de Salzbourg, et restera certainement parmi nos plus beaux souvenirs lyriques.
Crédit photographique : © Klaus Lefebvre
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Salzbourg. Grosses Festspielhaus. 13-VIII-2006. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Die Zauberflöte, singspiel en deux actes sur un livret de Emmanuel Schikaneder. Mise en scène : Pierre Audi ; décors : Karel Appel ; costumes : Jorge Jara ; lumières : Jean Kalman ; chorégraphies : Min Tanaka. Avec : René Pape, Sarastro ; Paul Groves, Tamino ; Franz Grundheber, l’Orateur et premier prêtre ; Xavier Mas, deuxième prêtre ; Michael Autenrieth, troisième prêtre ; Diana Damrau, la Reine de la Nuit ; Genia Kühmeier, Pamina ; Inga Kalna, Karine Deshayes, Ekaterina Gubanova, les trois Dames ; Solisten der Wiener Sängerknaben, trois enfants ; Irena Bespalovaite, Papagena ; Markus Werba, Papageno ; Burkhard Ulrich, Monostatos ; Simon O’Neill, Peter Lœhle, deux hommes en arme ; Michael Autenrieth, Michael Stange, Mathis Reinhardt, trois esclaves. Orchestre philharmonique de Vienne, direction : Riccardo Muti