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L’héritage discographique de l’organiste Jeanne Demessieux chez Decca

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Œuvres de Johann Sebastian Bach (1685-1750), Felix Mendelssohn (1809-1847), Jeremiah Clarke (1676-1707), Charles-Marie Widor (1844-1937), César Franck (1822-1890), Franz Liszt (1811-1886), Georg Friedrich Haendel (1685-1759), Heinrich Schütz (1585-1672), Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Dietrich Buxtehude (1637-1707), Olivier Messiaen (1908-1992), Jean Berveiller (1904-1976), Edouard Mignan (1884-1968), Jeanne Demessieux (1921-1968). Jeanne Demessieux à l’orgue du Victoria Hall de Genève, à l’orgue de l’église Saint-Marc de Londres, à l’orgue de l’église de la Madeleine à Paris, à l’orgue de la cathédrale métropolitaine de Liverpool et à l’orgue du Colston Hall de Bristol ; Suzanne Danco, soprano ; Orchestre de la Suisse Romande, direction : Ernst Ansermet. 8 CD Eloquence. Enregistrés entre octobre 1947 et mai 1967. Livret en anglais. Durée totale : 9 heures 22 minutes

 
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À l'occasion du centenaire de la naissance de , Decca publie l'ensemble des enregistrements réalisés par l'artiste pour ce label, représentant l'essentiel de son legs musical. Une belle opportunité de retrouver remastérisées de vieilles cires épuisées jusqu'ici.

est née en 1921 à Montpellier. Elle n'aura vécu que 47 ans, terrassée par la maladie en 1968. Enfant prodige, elle obtint à 11 ans son premier prix de piano au conservatoire de Montpellier, avant que sa famille ne s'installe à Paris pour lui permettre de poursuite des études prometteuses. On connait la suite : elle devint l'élève de Marcel Dupré et sans nul doute la plus brillante. Durant plusieurs années, elle étudia avec lui jusqu'à une célèbre brouille retentissante qui mit fin à leur collaboration du jour au lendemain. Tout d'abord titulaire de l'orgue de la nouvelle église du Saint-Esprit à Paris à l'âge de 12 ans, elle devint organiste en titre du grand orgue Cavaillé-Coll de l'église de la Madeleine à Paris en 1962. Sa grande virtuosité avait fait d'elle une concertiste internationale, particulièrement adulée dans les pays anglo-saxons.

À partir de 1947, année de la rupture avec Dupré, le label Decca lui proposa une collaboration qui allait durer vingt ans. Tout au long de ces années, de nombreux microsillons furent édités tout d'abord sur un orgue londonien situé dans l'église Saint-Marc. , habituée à ce type d'instrument correspondant au style de l'enseignement reçu de Marcel Dupré, le mania avec aisance et lui sembla idéal pour ses premières gravures. Le présent coffret offre un premier CD sur cet instrument construit au XXᵉ siècle par Norman puis Rushworth, d'esthétique symphonique. Jeanne Demessieux propose là un récital avec Bach et deux versions de la Toccata en ré mineur, Mendelssohn, Widor avec sa fameuse Toccata, ainsi que son très cher César Franck. Au travers de ces enregistrements, on perçoit le niveau technique et musical exceptionnels de l'interprète, même si l'orgue n'est pas d'une sonorité toujours avantageuse.

Une autre série d'enregistrements réunis dans ce coffret a été réalisée à partir de 1952 à l'orgue du Victoria Hall de Genève sur lequel Jeanne Demessieux enregistra un récital montrant les diverses facettes de l'art de Johann Sebastian Bach. Cette fois-ci, l'orgue est de grande qualité et respire largement, bien qu'étant dans une acoustique de salle de concert. Construit à l'origine par le facteur Theodor Kuhn à la fin du XIXᵉ siècle, il fut remanié par Rudolf Ziegler en 1949. Sur 82 jeux, l'esthétique générale est de type néoclassique et convient une nouvelle fois totalement à l'organiste. Un autre CD regroupe des œuvres symphoniques de tout premier plan dont les trois chorals de César Franck, la grande Fantaisie et fugue de Franz Liszt sur « Ad nos, ad salutarem undam » et les Variations de la Symphonie gothique op. 70 de Charles Marie Widor. Ici, Jeanne Demessieux se montre souveraine à tous points de vue, à l'aise sur un orgue qui développe des sonorités profondes, homogènes et agréables aux oreilles des auditeurs grâce à une prise de son dont Decca avait le secret. On pourra comparer les chorals de Franck avec ceux enregistrés un peu plus tard à la Madeleine à Paris. Un dernier CD regroupe à Genève quelques chorals de Bach et de Schutz chantés par la soprano , sans doute là des versions vraiment datées qui ne sont que le reflet d'un certain style de l'époque et alors fort peu informé. Par contre, les deux Concertos op. 4 n° 1 et n° 2 de Haendel, accompagnés par l' dirigé par , sont de belles versions néoclassiques nourries de jolies sonorités et aux ambiances agréables. Jeanne Demessieux propose ses propres cadences qui fleurissent dans les partitions, comme le précise l'auteur lui même. Ces enregistrements de la première période ont souvent obtenu des récompenses méritées dont celle de l'Académie Charles Cros ou encore le Grand prix du disque.

Le coffret comprend l'enregistrement intégral des douze pièces pour grand orgue de César Franck, enregistrées à l'église de la Madeleine à Paris en Juillet 1959. On tient là le sommet discographique de Jeanne Demessieux, non encore titulaire de cet instrument prestigieux, témoin de la première manière de l'art d'Aristide Cavaillé-Coll. Dans la chaleur de l'été parisien, Jeanne Demessieux raconte les difficultés de cet enregistrement fait de nuit, avec un orgue perturbé par la forte température estivale. Et pourtant, voici assurément l'une des grandes versions de référence de l'œuvre organistique de Franck. La prise de son est idéale, sans doute la plus belle jamais réalisée en ce lieu, avec cette magie sonore propre à Decca. Il y a dans cette approche franckiste un côté profondément classique confirmé par l'orgue, lui aussi encore imprégné de certaines sonorités du siècle précédent. On remarque encore son penchant pour un orgue registré à la manière de Dupré avec l'utilisation de mixtures plus tardives, placées par le facteur alsacien Röthinger en 1957. Il y a là un élan unique et profondément abouti dans l'interprétation de la Grande pièce symphonique et une sobriété émouvante dans les Trois chorals. Sa virtuosité supérieure se remarque aussi dans le Final op. 21 dont on peut dire qu'elle en signa une référence définitive, par un tempo rapide et dansant. Ce dernier remastering rend pleinement hommage à l'enregistrement microsillon paru à l'aube des années 60.

Enfin un CD termine ce coffret avec un récital pour l'inauguration de l'orgue Walker de la cathédrale métropolitaine de Liverpool en 1967. On y entend successivement Transports de joie d'Olivier Messiean, extraits de l'Ascension, la Toccata de Widor et après un Choral de Bach un Mouvement de Jean Berveiller, compositeur du XXᵉ siècle qu'elle jouait souvent. L'orgue explose dans une acoustique titanesque, c'est là le testament musical de Jeanne Demessieux qui devait disparaître un an plus tard. Elle se préparait à enregistrer l'œuvre intégrale d'Olivier Messiaen et disait déjà : « Ce seront les plus beaux disques de ma carrière ». Le CD s'achève avec quelques enregistrements live de la BBC sur l'orgue du Colson Hall de Bristol. On y retrouve Messiaen, Bach, Widor, et même Buxtehude. Pour autant, c'est la dernière pièce qui retient l'attention : une improvisation sur un thème d'Adrian Beaumont. Un document rare qui permet de l'entendre dans cet art éblouissant propre à l'école française, aux côtés de nombreuses compositions qu'elle a laissées également pour l'orgue.

Cette parution propose l'essentiel discographique de Jeanne Demessieux, où cependant ne figurent pas quelques enregistrements de concerts réalisés en Hollande et en Allemagne, mais qui ont été réédités en CD il y a quelques années par le label Festivo. Ces enregistrements Decca expriment pleinement combien Jeanne Demessieux fut une artiste hors pair et unique dans le monde de l'orgue français de l'après-guerre. Son rayonnement fût mondial et les personnes qui l'ont connu, dont son élève Pierre Labric aujourd'hui centenaire, en parlent avec émotion et grande admiration. Son amie Marie-Louise Girod, organiste à l'Oratoire du Louvre à Paris, avait elle aussi évoqué des souvenirs : venue rendre visite à Jeanne Demessieux sur son lit d'hôpital à l'automne 1968 et lui apportant des roses, elle lui avait dit « Je les ai achetées près de ton église de la Madeleine ». Et Jeanne avait répondu en souriant : « Ah ! J'entends les flûtes de la Madeleine ».

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