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Pavel Haas, un musicien juif de Brno

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Que les amateurs de Smetana et de Dvorák se détrompent : Prague n'est pas l'unique métropole de la musique tchèque. Brno, la capitale de la Moravie la concurrence grâce à des maîtres comme Martinu ou Janácek. Pendant l'entre-deux-guerres la Haute Ecole de Musique de Brno est l'empire de Janácek où ses disciples analysent à fond les partitions des maîtres classiques, et les essais de chacun sont toujours bienvenus. De plus, Brno est un lieu d'inspiration, siège d'une véritable effervescence musicale.

Brno, carte postale de 1892 © Image libre de droit

Haas, le disciple de

Né en 1899 dans un milieu modeste, fils d'un cordonnier et d'une mère russe, le jeune Pavel semble destiné à une carrière de pianiste. Mais l'adolescent se hasarde très tôt sur le terrain de la création : un premier Konzertstück pour piano sera suivi par son opus 1, les Lieder im Volkston, chants basés sur des airs populaires.

Après les années de conservatoire, Haas écrit à 21 ans, et sous la conduite de son opus 3, le Quatuor à cordes no. 1, un vrai défi, étant donné que les géants comme Brahms, Debussy ou Ravel ont longtemps hésité avant de s'attaquer au quatuor. L'opus 3 du jeune Haas déploie déjà un large éventail de formes : un incipit grave comme fugue classique en do dièse mineur, basée sur une ligne de demi-tons, puis, à l'improviste, l'irruption de rythmes sauvages syncopés et – en un tour de main – une musique sphérique dans les aiguës appuyés par le discours du violoncelle. La pièce s'achève par la reprise de la fugue initiale avant de s'évanouir dans un pizzicato synchrone au pianissimo, une issue où se manifeste la main du maître Janácek, qui a voulu restituer à ce quatuor un plan symétrique.

L'influence de Janácek va se révéler en plus dans l'opus 5 de son élève, le poème symphonique Scherzo triste de 1926 : un enchevêtrement de motifs galopants et syncopés soutenus par un ostinato dans les graves, grosse caisse à l'appui, puis, en alternance, des passages au ralenti, à l'accent nostalgique dans les cordes. Haas va jusqu'à explorer toute la profondeur du son orchestral sans donner dans le fortissimo. Le morceau s'achève sur un majeur de tonalité romantique, dans une respiration au pianissimo de dimension religieuse qui nous rappelle Mahler.

Un démarrage difficile

Notre jeune talent se voit confronté à de nombreux obstacles à Brno, ce qui le réduit à des activités ordinaires, soit comme magasinier auprès de son père ou comme commis-voyageur pour chaussures. Cela lui permet de lire quantité de livres allemands, si bien qu'au bout du parcours, il maîtrise mieux l'allemand que son tchèque d'origine.

Toujours est-il que l'ombre de son maître Janáček plane au-dessus de ses compositions. Haas tâche de s'en émanciper. Voilà qu'un premier succès lui donne de l'espoir : son opus 6, le cyle de 1924 Fata Morgana pour baryton et quintette sur des textes de R. Tagore. D'une entrée à consonance impressionniste se dégage un dialogue entre le chanteur et les instruments (piano et quatuor à cordes) aux modes changeants et aux interstices polyrythmiques, somme toute une œuvre profondément émotionnelle, issue d'ailleurs d'une crise amoureuse.

Vers la maturité

En été 1924, revenu d'un séjour dans les montagnes de la Moravie, Haas compose son fameux Quatuor à cordes no. 2 appelé « des montagnes des singes ». Cet opus 7 est un kaléidoscope de tableaux, une musique à programme avant la lettre qui renvoie au Ma Vlast de Smetana : tout d'abord (« le paysage ») nous entendons un ostinato du registre intermédiaire comme pulsation autour de la cellule thématique sur la tierce et la quarte, un fragment qui finit par se transformer en chant du rossignol, une mélodie sublime du premier violon soutenu par l'accord sur mi bémol mineur qui s'écoule comme un point d'orgue. Suivra ensuite un enchaînement de motifs en accéléré, avant l'accalmie qui boucle ce premier mouvement.

Dans la partie « le cocher et son cheval », des glissandi pénétrants imitent les gémissement du cheval qui, après avoir peiné, se lance dans un galop où l'on croit entendre des danses moraves. Un Largo de profonde intimité (« moi et la lune ») fait éclore ses lignes à l'unisson au-dessus d'un accord dans les graves, le point culminant de l'émotion. Avec la reprise du chant du rossignol, la musique s'évapore en pianissimo et disparaît dans les brumes du paysage. Le finale (« Nuit sauvage ») est proprement irritante : Haas y déclenche un furioso où s'entrechoquent des trilles agressives et des syncopes saccadées à la manière des danses paysannes (par exemple chez Bartók). Et comme si cela ne suffisait pas, une batterie s'infiltre de manière carnavalesque dans les cordes, ce qui a provoqué des hochements de tête lors de la création.

Les obstacles des années 1930

Depuis 1930, fait partie de la vie culturelle de Brno avec des compositions pour la radio, pour la scène et pour le film. Son opéra Le Charlatan pour le Théâtre de Brno voit sa création en 1938, l'année où il épouse Sonja Jakobson, d'origine russe et femme divorcée du philologue Roman Jakobson. Leur fille Olga survivra en exil. Haas se fait également une réputation de feuilletoniste pour de la revue Narodny noviny.

avec son épouse Sonja et sa fille Olga © avec l'aimable autorisation de l'OrelFoundation

Cependant, ces élans prometteurs seront de plus en plus contrariés depuis la montée du nazisme. Les tentatives désespérées de fuir à l'étranger vont échouer pour des questions de visa, tandis que son frère, acteur renommé, réussit à rejoindre les Etats-Unis. Les Allemands retirent à sa femme Sonja la licence comme médecin, mais on trouve un subterfuge : grâce à un divorce pour la forme, elle – la Russe non-juive – est autorisée à reprendre son cabinet, leur vie de couple est sauvée.

Les compositions de cette période relèvent de l'angoisse et annoncent un ton plus triste. On voit transparaître des fragments du vieux cantique St-Wenceslas (du XIIIe siècle) comme reflet de ses racines tchèques et en même temps comme discours de résistance contre l'occupation. Parmi les œuvres de cette décennie nous retenons le Psaume 29 op. 12 et la Suite pour piano op. 13, une pièce à succès grâce à l'exécution brillante par son ami Bernard Kaff. En 1938 Haas écrit son Troisième quatuor op. 15 où on découvre l'écho de son Charlatan, de la Missa Glagolitica de Janáček et – une fois de plus – du cantique St-Wenceslas, une œuvre nostalgique, à l'accent religieux.

Cantique St-Wenceslas du 13e siècle © Image libre de droit

Avant qu'il ne soit déporté, Haas nous laisse deux œuvres d'envergure : la Suite pour hautbois et piano op. 17, une adaptation instrumentale d'un chant de résistance, qui évoque encore le St-Wenceslas, ainsi qu'une mélodie hussite.

En 1940, notre compositeur met en chantier une Symphonie, une partition qui frappe par son audace, un conglomérat d'allusions diverses, en allant d'une version caricaturale de l'hymne nazi, le Horst Wessel Lied, à la Marche funèbre de Chopin et au cantique hussite « Vous qui êtes les soldats de Dieu » ; le cri de souffrances d'un peuple opprimé.

Terezín et Auschwitz

Le 2 décembre 1941, sa symphonie laissée inachevée, Haas est déporté à Terezín. De santé précaire et le moral à la déprime, il se voit affecté au réaménagement des casernes délabrées de la forteresse.

Bien qu'assommé sous la corvée quotidienne du camp, Haas retrouve parfois un brin d'énergie pour la composition. Et voilà que s'élèvent dans les murs de l'enceinte les volutes du chant hébraïque Al S'Fod, une sorte de gospel-song inspiré du chant des pionniers juifs en Palestine contre les ennemis arabes, ici pour chœur d'hommes dirigé par Rafael Schächter. Parmi les promoteurs de la vie musicale, Terezín réunit Viktor Ullmann, Gideon Klein et Hans Krása. Quant aux interprètes il s'agit de solistes de haut gamme dont la carrière vient d'être saccagée par les acolytes de la Gestapo. Karel Ancerl les appelle sous sa baguette. Au cours des concerts en caserne on découvre entre autres lEtude pour orchestre à cordes (1943) de , une musique nerveuse, palpitante qui reflète l'angoisse des prisonniers traqués à longueur de journée. La pièce sera souvent reprise et même intégrée dans le film de propagande Le Führer offre aux Juifs une ville, où l'on voit Ancerl au pupitre et le compositeur qui s'incline, tristement, devant les applaudissements.

Photo tirée du film de Kurt Gerron (†1944), publiée dans « Alex Ross, The rest is noise » (chap. 9)

Sa toute dernière œuvre, quasiment son testament, laisse libre cours aux émotions : les Quatre chants sur la poésie chinoise pour baryton et piano (1944) expriment son sentiment de désarroi, de nostalgie et sa fuite dans le rêve. Sur le plan des matériaux, on retrouve l'écho de sa Suite pour hautbois et piano. Ces quatre chants seront exécutés plusieurs fois à Terezín, souvent à côté de sa Partita de style ancien, également de 1944.

En octobre, Pavel Haas et ses amis rejoignent les wagons à bestiaux direction Birkenau, où ils seront gazés deux jours après. Selon certaines sources, Haas aurait intentionnellement sauvé la vie de son ami Karel Ancerl en simulant un accès de toux devant la baguette de sélection du Dr. Mengele, sachant d'avance que des deux candidats, le plus vigoureux serait affecté aux travaux, le plus faible destiné au gaz.

Après la guerre, Karel Ancerl va se consacrer aux œuvres de son ami. Ses efforts n'ont cependant qu'un effet modeste, c'est que le régime communiste tchèque ne s'intéresse guère aux artistes juifs de son pays. Mais après 1989, les recherches musicologiques sur le sujet se multiplient. N'oublions pas les mérites qui reviennent au fondé après 2000, dont l'enthousiasme a largement contribué à la diffusion de notre compositeur.

Sources

PEDUZZI Lubomir, Pavel Haas. Leben und Werk des Komponisten, Hambourg, 1996.

OrelFoundation.com / terezinmusic.org / musica-reanimata.de / acta musicologica no. 70 (1998) : divers articles sur Pavel Haas

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