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Musiques savantes et musiques populaires : définitions

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Ce dossier est issu de l’article « La Voie de la transversalité dans la musique contemporaine » publié en mars 2021 aux éditions L’Atelier contemporain, dans la collection Beauté (http://www.editionslateliercontemporain.net/collections/beautes/article/majeur-mineur). Pour accéder au dossier complet : Musique contemporaine et transversalité

 
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Depuis 1990, un phénomène important s’intensifie d’années en années dans la musique contemporaine : les frontières autrefois si rigides entre les mondes des musiques « savantes » et « populaires » s’affaissent progressivement sous l’effet de nombreux facteurs. Après une tentative de définition de ces deux catégories et de leur évolution actuelle, nous proposons dans ce dossier d’en déceler les causes puis d’en mesurer les conséquences esthétiques au travers de quelques exemples.

Neumes, première forme de notation musicale

En Occident, l’apparition de l’écriture de la musique au IXᵉ siècle offre un nouveau cadre aux musiques savantes, laissant celui de la tradition orale aux musiques populaires. L’écriture permet de fixer, de conserver, de diffuser, mais aussi d’expérimenter et de concevoir de nouveaux modèles. Ainsi, les musiques savantes s’édifieront dès lors à la fois sur l’assimilation d’un patrimoine historique transmis par les partitions du passé et sur une démarche spéculative de remise en question des grammaires de composition héritées.

Toute œuvre musicale savante comporte une part variable entre ces deux éléments, mais elle revendique dans tous les cas une certaine exigence dans sa facture, s’appuyant sur sa complexité et son esprit d’expérimentation. Cette définition a évolué au cours du XXᵉ siècle, d’une part avec l’arrivée des musiques électroacoustiques, ne reposant ni sur l’oralité ni sur l’écrit mais sur un nouveau paradigme, celui de l’enregistrement, qui sous-entend des gestes et des pratiques inédites ; d’autre part avec le développement des démarches expérimentales novatrices : installations sonores, œuvres ouvertes, partitions graphiques, improvisation, happening, hasard, etc. Les musiques savantes ont cependant conservé leur caractère d’exigence et leur démarche conceptuelle.

Par ailleurs, si elles furent longtemps un marqueur social de distinction1, apanage des couches supérieures de la société, sous-entendant une notion d’élitisme, cela n’est plus vraiment le cas, du fait de deux phénomènes complémentaires importants : la désertion d’une large majorité de leur public habituel pendant une longue période au sortir de la Seconde Guerre mondiale, boudant une musique jugée alors trop difficile d’accès dans ses dernières manifestations2 ; la diffusion de la musique en général rendue beaucoup plus facile par les technologies de l’information et de la communication (cinéma, radio, Internet), qui les mettent au même niveau et les font découvrir par de très nombreux mélomanes curieux issus potentiellement de tous les milieux, jouant le rôle d’un grand brasseur esthétique et social. L’idée d’une « grande musique » ou « musique sérieuse », apparue au XIXᵉ siècle et opposée aux « musiques légères », a vécu3.

Un trio de chanteuses populaires, les Brox Sisters, écoutant la radio au milieu des années vingt aux États-Unis

De la même manière, le XXᵉ siècle a modifié en profondeur la définition des musiques populaires. Durant des siècles, la tradition orale avait imposé par essence à ces musiques du peuple une nécessité de répétition constante, seule garante de la conservation d’un répertoire. Ainsi se sont maintenues berceuses, chansons et danses folkloriques au travers des époques, avec un temps de mutation bien plus lent que celui de la culture écrite.

Le changement s’opère au XIXᵉ siècle, qui amorce les prémices d’une culture de masse, reposant notamment sur l’édition musicale et le commerce de la musique, devenu un bien marchand. Les musiques populaires se voient de plus en plus écrites et contraintes au changement rapide pour satisfaire les besoins des acheteurs, créés par l’industrie musicale. Tin Pan Alley marque l’apogée de ce phénomène aux États-Unis à partir de 1885 et durant les premières décennies du XXᵉ siècle4. On assiste également à l’apparition de « structures de transfert » entre savant et populaire : orphéons, musiques religieuse et militaire, fanfares, harmonies5. Les deux répertoires s’y côtoient dans un cadre où la partition écrite règne. Les grands airs d’opéra de Giuseppe Verdi ou de Giacomo Puccini, parfois eux-mêmes empruntés au répertoire populaire, se voient adaptés par les chanteurs de rue ou dans le cadre du répertoire religieux.

Mais c’est la naissance de l’enregistrement et de la radio et leur généralisation dans les années 1920 qui font naître une nouvelle catégorie : la « musique populaire », au sens de musique de grande diffusion mais aussi de musique fixée, entièrement dépendante de la phonographie aussi bien du point de vue de sa diffusion que de sa conception, comme la définit Agnès Gayraud6. Pour la philosophe, c’est « l’enregistrement qui fait œuvre » dans le cadre de la pop music, et qui se joint à une « utopie de la popularité », c’est-à-dire une quête de reconnaissance universelle, celle du hit qui fonde l’essence démocratique de cette musique. La langue anglaise la distingue clairement des musiques traditionnelles en parlant de folk music et de popular music.

De fait, les techniques d’enregistrement vont permettre à la musique populaire d’innombrables innovations sonores (re-recording, lecture de bande à l’envers, boucle, transposition par variation de la vitesse de lecture, cut, fondu, rajouts d’effets de compression, d’écho, de réverbération, etc.) en même temps qu’elles lui imposent un immuable formatage « chanson » et « album » dépendant de l’évolution des supports (78, 45 et 33 tours, single, album, maxi, CD). Il est à noter que les frontières entre folk, pop et art music (pour « musique savante ») ne sont jamais totalement définies. Il existe toujours des zones de passage, des cas-limites, que l’histoire récente rend de plus en plus fréquents.

Ces trois définitions sont subjectives : quand on parle par exemple d’une musique « authentique », « profonde », « roots », « commerciale », « superficielle » ou « intello », ce sont des références à ces trois catégories, alors acceptées comme gage de qualité ou fustigées.

1 Pierre Bourdieu, La Distinction, Paris, Minuit, 1979.

2 C’est le rejet de la musique de Pierre Boulez, Karlheinz Stockhausen, Luigi Nono, Luciano Berio, Iannis Xenakis, Krzysztof Penderecki, John Cage, György Ligeti, pour citer quelques-unes des personnalités les plus marquantes de cette époque.

3 Signalons au passage que, pour qui n’a pas les codes, se rendre dans une rave ou assister à un concert hip-hop peut se révéler difficile, ces événements pouvant paraître aussi élitistes qu’un concert de musique contemporaine.

4 La 28e rue entre la 5e et la 6e avenue, surnommée « rue des casseroles en ferraille » en raison de tous les pianos qui jouent simultanément dans tous les magasins, est la rue où se rassemblent les éditeurs new-yorkais avec leur staff de compositeurs, paroliers et arrangeurs. On dit que la pop music américaine est née là.

5 Sophie-Anne Leterrier, « Musique populaire et musique savante au XIXᵉ siècle. Du « peuple » au « public » », Revue d’histoire du XIXᵉ siècle, n° 19, 1999.

6 Agnès Gayraud, Dialectique de la pop, Paris, La Découverte, 2018.

Crédits photographiques © Wikimedia Commons

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Ce dossier est issu de l’article « La Voie de la transversalité dans la musique contemporaine » publié en mars 2021 aux éditions L’Atelier contemporain, dans la collection Beauté (http://www.editionslateliercontemporain.net/collections/beautes/article/majeur-mineur). Pour accéder au dossier complet : Musique contemporaine et transversalité

 
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