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Contre-ténor réputé, Valer Sabadus a la chance actuellement de continuer son art par le biais d'enregistrements discographiques. Des propositions rassurantes, entre Bach et Telemann pour son dernier disque chez Sony intitulé simplement « Arias », et le répertoire des castrats où il est rentré dans un concours de virtuosité exaltant pour le label Château de Versailles Spectacles.
ResMusica : Vous venez d'enregistrer pour le label du Château de Versailles, un récital avec Filippo Mineccia et Samuel Mariño : une réponse à la crise sanitaire actuelle ?
Valer Sabadus : Il est bien sûr très douloureux pour nous, musiciens et travailleurs culturels, que le monde de l'art et de la culture soit figé partout en ce moment. Le manque de perspective me préoccupe également beaucoup, car nous ne savons pas à quoi nous travaillons, sur quoi nous pouvons compter et ce qui vaut la peine d'être planifié. La peur d'être infecté par le virus est omniprésente et donc la protection contre celui-ci est indispensable ! Pour moi, personnellement, il y a une tension constante entre l'espoir et la peur, cela fatigue l'esprit.
Néanmoins, malgré la situation difficile actuelle, je me sens très honoré et privilégié d'avoir réalisé cet enregistrement à l'Opéra Royal de Versailles avec mes merveilleux collègues Samuel et Filippo. Surtout à un moment où les événements en public ne sont pas encore possibles, un tel enregistrement offre une excellente occasion de continuer à être actif, présent et créatif sur scène, tout en restant en contact avec notre public à distance de sécurité.
J'associe également Versailles à de nombreuses et fantastiques expériences d'opéra et de concert. J'y suis régulièrement invité depuis 2012, ce qui signifie beaucoup pour moi, car c'est ici que j'ai pu célébrer certains de mes plus beaux succès en tant que contre-ténor, comme la production « Artaserse » avec les cinq contre-ténors de 2014, ou les opéras mis en scène Elena et Giasone avec Leonardo García Alarcón. Je tiens donc à remercier Château de Versailles Spectacles, en particulier Laurent Brunner [ndlr : son directeur], pour leurs nombreuses années de fidélité et leurs expériences inoubliables à Versailles.
RM : Sur le plan artistique, en quoi consiste ce projet ?
VS : Le programme « La contesa dei Virtuosi » est, pour ainsi dire, la quintessence du chant des castrats baroques ! Le projet, conçu par Filippo Mineccia, comprend certains des airs, duos et tercets les plus célèbres, touchants et impressionnants du XVIIIᵉ siècle.
À l'époque baroque, des castrats comme Farinelli, Caffarelli et Senesino étaient les vedettes masculines de la scène, et leurs prouesses vocales ravissaient autrefois le public en masse. Aujourd'hui, nous, les contre-ténors, conquérons de plus en plus les grandes scènes d'opéra et de concert avec notre chant de falsetto et nous réjouissons le public avec notre technique vocale sophistiquée et notre expression différenciée. Samuel, Filippo et moi, nous nous complétons très bien sur scène et couvrons un large spectre du répertoire des anciennes superstars du chant.
RM : Votre actualité comprend aussi votre dernier enregistrement en soliste, intitulé « Arias », autour de grands airs de Bach et Telemann. Que souhaitiez-vous proposer dans cette sélection ?
VS : Il m'a fallu beaucoup de temps avant d'oser enregistrer ce disque, probablement parce que j'ai beaucoup de respect pour ces deux compositeurs. Il contient des airs d'âme tirés des cantates sacrées de Bach, entre autres Ich habe genug et Vergnügte Ruh, beliebte Seelenlust, ainsi que des airs moins connus des cantates profanes de Telemann.
J.S. Bach a eu un impact sur moi dès mon enfance en Roumanie, lorsque, sous le régime de Ceaușescu, on me faisait toujours écouter de la musique de Bach pour me calmer. Le pouls apaisant de son contrepoint a toujours eu un effet stimulant et réconfortant. Aujourd'hui encore, je tire toujours beaucoup de force et de paix intérieure de son œuvre brillante.
Par la coloration souvent exotique de ses œuvres, G. Ph. Telemann complète très bien la grandeur et la complexité de Bach, et je pense que c'est précisément cette friction entre l'élégie et l'esprit qui fait que ces deux compositeurs s'harmonisent si bien entre eux. Cet enregistrement avec le fabuleux Orchestre de chambre de Bâle a été réalisé au printemps 2019, bien avant la pandémie. Qui aurait pensé que ce CD en 2021 s'adapterait si bien à la situation actuelle ?
RM : Pour un contre-ténor, difficile de ne pas être associé à la musique baroque et à un répertoire bien précis… Est-ce pour vous une volonté dans votre carrière de sortir de certains codes ?
VS : Oui, il est vrai que nous ne sommes parfois associés qu'au répertoire baroque ainsi qu'au répertoire contemporain. On entend parfois le terme « épigone des castrats », que je trouve honnêtement très peu flatteur. Non, en fait, je ne voudrais pas être associé à cette étiquette d'imitateurs.
Pour moi, le répertoire, que je choisis toujours avec le plus grand soin, doit avant tout être épanouissant, inspirant et passionné. Je trouve que les interactions entre les musiciens sont beaucoup plus précieuses que de laisser la « star » devant ! Parfois, je trouve extrêmement satisfaisant de sortir de mon propre corset stylistique pour faire des projets croisés. Cela m'intéresse beaucoup de placer des œuvres déjà connues dans un contexte nouveau et de créer ainsi de nouveaux points de contact. Ce fut le cas par exemple du projet « Händel goes wild » avec L'Arpeggiata. Ici, des œuvres déjà connues de Haendel sont mixées de manière amusante et décontractée et les nombreuses variations sonores sont explorées. Je prépare également un autre projet de genre et d'époque avec l'ensemble « SPARK » en France sous le titre « Plus près au Paradise ».
RM : Pour revenir à l'actualité, comment approchez-vous la situation dans un secteur en grande difficulté ? Comment abordez-vous le traitement de la Culture dans les différents pays dans lesquels vous travaillez ?
VS : Parfois, on peut désespérer des mesures respectives avec toutes les restrictions et interdictions en matière d'hygiène et de distanciation.
Comme tous les événements ont été constamment reportés ou annulés depuis un an, il est très difficile de digérer et de faire face à cette situation sur le plan artistique. Nous naviguons tous à vue et ne savons pas ce qui se passera demain, ou après-demain, lorsque de nouvelles donnes viendront compliquer la situation.
Je me sens toujours privilégié en tant qu'artiste, d'autant plus que j'ai beaucoup travaillé ces dernières années et que je peux vivre avec ce que j'ai gagné. De plus, il y a toujours des possibilités créatives, comme ici à Versailles, de proposer des enregistrements ou des concerts en streaming. Mais le désir d'un événement en direct avec notre public bien-aimé est inébranlable.
Le chemin vers la normalité est encore long et semé d'embûches, beaucoup de choses seront sûrement irrémédiablement détruites dans le paysage artistique et culturel unique de l'Europe, beaucoup de jeunes musiciens changeront sûrement de carrière. Mais il est également clair que cette pandémie nous a beaucoup appris sur la cohésion, la solidarité et l'auto-réflexion.
RM : Arrivez-vous à mener des projets et à vous projeter dans l'avenir ?
VS : J'essaie de ne pas abandonner le courage maintenant, et d'utiliser le temps de manière créative et prudente pour planifier de nouveaux projets et d'être prêt demain si une demande spontanée se présente. Nous ne devons pas être trop exigeants en ce moment et être reconnaissants pour tout concert, que ce soit en direct ou en ligne ! Une vie normale sous réserve de pandémie, pour ainsi dire.