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Jordi Savall, intrépide, à l’assaut des symphonies de Beethoven

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Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Symphonies n° 1-5. Le Concert des Nations, direction : Jordi Savall. 3 CD Alia Vox. Enregistrés en la collégiale du château de Cardona (Catalogne) en juin 2019 (symphonies n° 2 et n° 4) et en octobre 2019 (symphonies n° 1, n° 3 et n° 5). Textes de présentation de Jordi Savall, André Tubeuf et Josep Maria Vilar, en français, anglais, allemand, castillan, catalan, et italien. Durée totale : 2:50:45

 
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Par la faute du coronavirus l'ayant lui-même accablé, n'a pu mener à bien en cette année du deux-cent cinquantenaire de la naissance de Beethoven son projet d'une intégrale des symphonies, reporté pour sa finalité à des jours meilleurs. Qu'importe, AliaVox propose en guise de premier volume du cycle ce qui est d'ores et déjà fixé : les cinq premiers jalons, captés courant 2019.

À vrai dire, le musicien catalan n'en est pas à son coup d'essai beethovénien, puisque voici un quart de siècle il livrait déjà à la tête du Concert des Nations, une première mouture honorable de l'Eroïca (Astrée réédition Alia Vox). Sa vision du grand œuvre symphonique beethovénien s'est à la fois affinée et affirmée, par une recherche pour le moins pointue. Qu'on en juge : et son assistant Luca Guglielmi sont retournés par delà les éditions modernes de référence (Brown, del Mar) aux manuscrits, dans le but de respecter au maximum les accents, dynamiques et phrasés originaux. Ils ont remis en question les effectifs dans l'esprit des relectures historiquement informées avec une balance orchestrale privilégiant d'avantage les dix-huit vents, pour « seulement » trente-deux cordes. La recherche de ce nouvel équilibre sonore plus plausible est magnifié par un diapason adapté (le la3 à 430 Hz) et surtout par un instrumentarium à l'ancienne bien maîtrisé – façon 1800 – cordes en boyaux jouées senza vibrato, archets anciens, vents copies d'anciens instruments, cors naturels aux sons harmoniques légèrement faussés, cuivres à perce étroite, timbales percussives actionnées avec des baguettes en bois ou mailloches très dures et sans feutre, parfois envahissantes (Symphonie n° 1), ou ailleurs génialement mise en valeur (deux premiers mouvements de l'Eroïca, finale de la cinquième).

Du point de vue textuel, ces versions retiennent toutes les reprises indiquées par les manuscrits (en particulier pour le premier temps de l'Eroïca ou les scherzo et finale de la Symphonie n° 5). Les tempi sont calibrés pour approcher au mieux les indications métronomiques originales, Savall s'en réfère à des textes déjà anciens signés René Leibowitz ou Rudolf Kolisch, aux antipodes donc d'un Furtwängler ou d'un Giulini, pour ne parler que de chefs du passé.

Pour les Symphonie n° 1 et 4, les introductions lentes des mouvements initiaux, comme l'intégralité des deuxièmes, apparaissent presque trop lapidaires et expéditives. Les allegros, menuets puis scherzi, ou finales – où sont respectées toutes les reprises – sont toujours enlevés mais aérés. Mais par leur promptitude, certains frisent le contre-sens. Ailleurs, pris à son propre piège, Savall dilue le discours (Symphonie n° 1), ou bride trop peu son orchestre au fil des redites des derniers temps de la Cinquième.

Le chef renonce parfois aussi à tout élargissement de tempi pouvant instaurer une certaine gravité solennelle. La tension fléchit ainsi parfois au sein d'une même œuvre, voire d'un même mouvement par une certaine banalisation de l'énoncé, en particulier dans l'Eroïca, avec des ressorts dynamiques et dramatiques trop patiemment bandés. De même, dans un final pris à un train d'enfer, Savall ôte aux ultimes minutes de l'œuvre toute résolution vraiment triomphale pour laisser place à une jubilation superficielle et à notre sens tonitruante.

Ce retour aux sources soigné, parfois très engagé, se veut d'une opulente beauté sonore un rien ostentatoire ou narcissique, bien mise en valeur tant par la très agréable acoustique du lieu (la Chapelle de Château de Cardona) que par la splendide captation signée Manuel Mohino. Mais on peut regretter une balance parfois mal finalisée entre violons et cordes graves, notamment dans la Symphonie n° 1 avec violoncelles et contrebasses dominants, ou à l'inverse violons trop présents dans la Symphonie n° 5. D'ailleurs, le Destin saute à la gorge de l'auditeur dès l'attaque du célèbre motif insigne de l'œuvre, mais de manière bien moins féroce qu'avec Gardiner (SDG) et surtout Harnoncourt dans son remake furieux et dévastateur à la tête de son Concentus Musicus Wien (Sony) pour nous en tenir à deux versions récentes sur instruments anciens ou copies d'anciens.

donne, il est vrai, contrairement à d'autres monstres sacrés baroqueux, « sa » vision du monde sonore beethovénien au crépuscule d'une longue carrière où il a jusqu'ici relativement peu abordé le classicisme viennois. Avec une indiscutable maturité musicale, un regard sans préjugé, d'une alacrité un rien distante, mais aussi par le péché d'un certain hédonisme sonore, il synthétise, en y apportant sa propre touche (dynamisation optimale du discours) les recherches, les essais aboutis ou plus aléatoires des nouvelles interprétations beethovéniennes du dernier demi-siècle.

Car, sans vouloir remonter à Hermann Scherchen (à Vienne – Westminster-DG et plus encore à Lugano – Accord ou Memories à rééditer, ou René Leibowitz – que l'on peut trouver en importation anglaise ou japonaise), d'autres chefs « traditionnels » à la tête d'orchestres de premier plan avaient considérablement renouvelé le propos (Blomstedt à Dresde – Berlin classics ou Brilliant ; von Dohnányi à Cleveland – Telarc). Savall semble offrir une combinaison entre approches à effectifs contingentés sans être malingres (Tilson-Thomas – Sony) de plus en plus expérimentales (Harnoncourt/Orchestre de chambre d'Europe – Warner) ou frondeuses (l'iconoclaste Paavo Järvi – RCA) et interprétations sur instrumentarium d'époque ou copies d'époques menant lentement à la réussite indiscutable d'un Gardiner avec son orchestre révolutionnaire et romantique – Archiv et SDG.

Ce premier volume ne peut faire oublier – avec tout le confort moderne – les versions tantôt synthétiques (le splendide Osmo Vanskä, chez Bis), tantôt plus ouvertement « modernes » (Maris Janssons chez BRSO) ou d'un Iván Fischer (n° 1, n°4 et n° 5 avec son orchestre du festival de Budapest chez Channel Classics, la totalité du cycle ayant été captée en vidéo avec l'orchestre du Concertgebouw d'Amsterdam in situ.

Au bilan, nous retiendrons, au sommet, une Symphonie n° 1, haletante et conquérante, pulvérisant l'héritage post-haydnien, et une Symphonie n° 2 idéalement « drama giocoso » aux dimensions quasi épiques dans ses deux premiers mouvements puis soudainement théâtrale, bouffe et lapidaire dans ses deux derniers. L'Eroïca, instable, oscille entre terreur révolutionnaire (les premiers accords tels une déclaration de guerre) et exaltation plébéienne un peu bruyante où la petite harmonie apparaît trop en retrait ; la Symphonie n° 4 plutôt impeccable dans ses mouvements impairs apparaît ailleurs trop preste. La Symphonie n° 5 s'essouffle jusqu'à une certaine précipitation au fil des reprises intégrales indiquées par le manuscrit original.

Après l'écoute de ce premier volet, souvent passionnant voire exaltant, mais parfois irritant ou quelque peu inabouti, on attendra la venue du second volume de cette intégrale pour porter un jugement plus définitif. Mais voilà indiscutablement du beau travail parfois un rien inconstant, dans un répertoire il est vrai très fréquenté.

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