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Strasbourg. Opéra national du Rhin. 23-X-2020. Camille Saint-Saëns (1835-1921) : Samson et Dalila, opéra en trois actes sur un livret de Ferdinand Lemaire, d’après le Livre des Juges de l’Ancien Testament. Mise en scène : Marie-Ève Signeyrole. Décors et costumes : Fabien Teigné. Lumières : Philippe Berthomé. Collaboration aux mouvements : Julie Compans. Vidéo : Marie-Ève Signeyrole et Laurent La Rosa. Avec : Massimo Giordano, Samson ; Katarina Bradić, Dalila ; Jean-Sébastien Bou, le Grand Prêtre ; Patrick Bolleire, Abimélech ; Wojtek Smilek, un Vieillard hébreu ; Damian Arnold, un Messager philistin ; Néstor Galván, Premier Philistin ; Damien Gasti, Deuxième Philistin ; Alain Weber, Dagon. Chœur de l’Opéra national du Rhin (chef de chœur : Alessandro Zuppardo) ; Orchestre symphonique de Mulhouse, direction musicale : Ariane Matiakh. Version pour orchestre de chambre réalisée par Derek Clark
En réduisant Samson et Dalila à une lutte très contemporaine pour l'accession au pouvoir, Marie-Ève Signeyrole évacue le sens épique et la religiosité de l'épisode biblique. Malgré une distribution très engagée et un orchestre qui donne son optimum en dépit de sa formation réduite par les contraintes sanitaires actuelles, le compte n'y est pas.
Trente ans déjà que Samson et Dalila n'a pas été montré sur la scène strasbourgeoise. Les dernières représentations du chef d'œuvre de Camille Saint-Saëns remontent en effet à 1990, exception faite d'une unique version de concert en 2003. Après son étonnant Don Giovanni de 2019, la metteuse en scène Marie-Ève Signeyrole a vu dans ce récit mythique de l'Ancien Testament essentiellement une bataille préélectorale entre deux factions. D'un côté, le parti conservateur, dont le chef et candidat est Dagon (qui perd ainsi son statut de divinité tutélaire des Philistins) et où Dalila, le Grand Prêtre et Abimélech sont respectivement directrice de campagne, conseiller politique et porte-parole. De l'autre, le clan des « insurgés » (barricades et pavés sont au rendez-vous) et de leur leader Samson, travesti par une maquillage de clown qu'il ne retirera que pour Dalila lors de l'air « Mon cœur s'ouvre à ta voix », très beau et seul moment où il consent à se mettre à nu et à percer la cuirasse. Il est visiblement handicapé et se déplace en fauteuil roulant, peut-être suite à une brutale répression policière comme le suggère à un moment la vidéo. Le troisième et dernier acte voit l'élection à la Présidence de la République (et à l'Élysée, clairement montré) de Dagon puis la prise du pouvoir par Samson et les insurgés lors d'un coup d'État avec fusils mitrailleurs obligés, qui remplace ici l'habituel effondrement des colonnes du palais par la poussée herculéenne de Samson. Très contemporains dans leur anonymat, le décor tournant et les costumes de Fabien Teigné voient se succéder les bureaux des deux partis, le loft très « design » de Dalila ou l'appartement plus spartiate de Samson. Quant aux deux conséquents ballets, ils sont remplacés par des pantomimes : tournoiement de secrétaires au premier acte, humiliation de Samson au troisième.
Cette actualisation du propos et cette politisation du conflit Hébreux contre Philistins (cette dernière, certes, présente aussi dans le récit biblique) s'avèrent trop réducteurs à plusieurs niveaux. Où est la puissance de l'épopée dans cette histoire somme toute assez banale, cette grandeur qui a motivé tant d'artistes à travers les siècles et inspiré aussi Saint-Saëns dans la rutilance de son orchestration et le traitement grandiose du chœur ? Pourquoi ce parfum d'Orient qui imprègne tout l'orchestre et notamment la célèbre Bacchanale ? Et surtout, comment expliquer la force irréductible et le caractère visionnaire de Samson ou la violence et le désir de vengeance chez Dalila si la foi religieuse et les Dieux sont absents, si le dilemme entre aspiration spirituelle et désir sexuel est évacué ? À la place, Marie-Ève Signeyrole nous parle d'un couple déchiré par son appartenance politique différente. Elle réussit cependant à soutenir l'intérêt par un usage très affûté et cinématographique des vidéos, dont la plupart réalisées en direct et en gros plan. Bien qu'elles tendent à détourner l'œil de ce qui se passe en scène, ces vidéos mettent en exergue les expressions, les réactions, les gestes, les regards et diversifient les optiques, précisément là où le travail de mise en scène nous paraît le plus abouti et convaincant.
Pour le lourd rôle de Samson, Massimo Giordano possède l'éclat, la solidité de la quinte aiguë et la puissance nécessaires. S'il ne peut totalement cacher son origine italienne dans la couleur du timbre ou la prononciation, il a soin de nuancer et ose un « Dalila, je t'aime » à l'aigu final en voix de tête, inhabituel mais parfaitement en situation. Le timbre de mezzo-soprano soyeux et velouté de Katarina Bradić, son visage expressif, sa présence scénique élégante servent idéalement la sensualité de Dalila. Cependant la projection plus limitée, surtout du registre grave, nuit à la violence de ses imprécations et tend à déséquilibrer les ensembles, du moins depuis le parterre. Jean-Sébastien Bou fait forte impression en Grand Prêtre très sonore, impeccable d'autorité et de tranchant vocal. Malgré sa disparition dès le premier acte, garrotté par les insurgés, Patrick Bolleire assure aussi en Albimélech toute la vigueur et la violence requises. En vieillard hébreux, Wojtek Smilek fait valoir des graves profonds et sonores quoiqu'un tantinet élimés de timbre et trémulants de tenue. Desservi par son positionnement hors scène dans cette œuvre où son rôle est primordial, le Chœur de l'Opéra national du Rhin peine à se faire entendre dans la nuance piano, ainsi que le démontre d'emblée son entrée murmurée « Dieu d'Israël ». Mais quand il peut à nouveau donner de la voix, il parvient enfin à passer l'orchestre, retrouve impact et puissance et assure même un glorieux « Israël, romps ta chaîne » plein d'énergie.
Afin de respecter une certaine distance entre instrumentistes dans la fosse, c'est la version de chambre de Derek Clark qui a été choisie. Pour Der Traumgörge en ouverture de saison à Nancy, un tel compromis ne nous avait pas semblé réducteur. C'est moins le cas cette fois. On y perd en termes de variété des couleurs orchestrales (notamment des bois moins présents), de richesse harmonique ou de fusion des timbres malgré l'investissement incontestable et les qualités de l'Orchestre symphonique de Mulhouse, en dépit de la vigueur et du soin apporté dans ces conditions aux délicats équilibres par la direction d'Ariane Matiakh. Elle émet d'ailleurs à mots couverts les mêmes réserves dans son interview du programme de salle. Question d'œuvre moins adaptée à la réduction et d'acoustique moins chaleureuse de la salle.
Crédits photographiques : Massimo Giordano (Samson), Katarina Bradić (Dalila) © Klara Beck
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Strasbourg. Opéra national du Rhin. 23-X-2020. Camille Saint-Saëns (1835-1921) : Samson et Dalila, opéra en trois actes sur un livret de Ferdinand Lemaire, d’après le Livre des Juges de l’Ancien Testament. Mise en scène : Marie-Ève Signeyrole. Décors et costumes : Fabien Teigné. Lumières : Philippe Berthomé. Collaboration aux mouvements : Julie Compans. Vidéo : Marie-Ève Signeyrole et Laurent La Rosa. Avec : Massimo Giordano, Samson ; Katarina Bradić, Dalila ; Jean-Sébastien Bou, le Grand Prêtre ; Patrick Bolleire, Abimélech ; Wojtek Smilek, un Vieillard hébreu ; Damian Arnold, un Messager philistin ; Néstor Galván, Premier Philistin ; Damien Gasti, Deuxième Philistin ; Alain Weber, Dagon. Chœur de l’Opéra national du Rhin (chef de chœur : Alessandro Zuppardo) ; Orchestre symphonique de Mulhouse, direction musicale : Ariane Matiakh. Version pour orchestre de chambre réalisée par Derek Clark
A lire ce compte rendu, comment résister à qualifier cette … « vision » (et donc, cette « mise en scène » de RIDICULE … ?!!! Pourquoi, à cette « aune », ne pas avoir vêtu Samson d’un … « gilet jaune » … pourquoi ne pas le représenter, dans le 3ème acte, non point aveuglé mais …atteint du Coronavirus … ?!!!