Boris Charmatz, un Portrait au Festival d’Automne pour vivre la danse au présent
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Le Portrait consacré par le Festival d'Automne à Paris à Boris Charmatz est l'occasion de multiplier les terrains de jeu : du duo intimiste au happening chorégraphique pour plusieurs centaines de danseurs, de la performance dans un centre d'art à l'exposition vivante dans un théâtre parisien. L'occasion pour ResMusica de rencontrer le chorégraphe et d'échanger sur ses convictions du moment.
ResMusica : Le Festival d'Automne vous offre une rétrospective, alors que c'est un exercice auquel vous vous étiez déjà confronté au Musée de la danse, à Rennes…
Boris Charmatz : Il s'appelle Portrait. C'est vrai qu'il y a dans ce Portrait un aspect rétrospective, parce que nous présentons d'anciennes pièces, mais j'ai l'impression d'être vraiment dans l'action – de vivre la danse au présent. Ce Portrait est l'aventure collective d'une famille de danse. Bien sûr, il nait du désir d'Emmanuel Demarcy-Mota et de Marie Colin du Festival d'Automne et j'en suis honoré. C'est un travail avec tous les lieux partenaires, de Nanterre à Bobigny jusqu'à l'évènement prévu en janvier 2021 au Grand Palais, auquel participent la compagnie de l'Oiseau Mouche à Roubaix et le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris. Pour La Ruée qui a été accueilli en septembre par la MC93, nous étions de très nombreux participants. 10 000 gestes, qui sera repris au Théâtre de Chaillot en novembre, réunit plus de 20 artistes qui viennent de toute l'Europe, et c'est un challenge de les faire venir. Enfin, au Théâtre du Châtelet 20 danseurs pour le XXᵉ siècle fin octobre devient une exposition vivante avec 25 artistes invités très différents, de Gisèle Vienne à Marlène Saldana. Cela reste collectif, même si le virus passe par là et que nous avons mis un couvercle sur les cohues singulières avec des corps qui s'embrassent et transpirent.
RM : Qu'est-ce que cela dit pour vous de la notion de répertoire ?
BC : Le répertoire est un projet que j'avais déjà à 19 ans. Il est inscrit dans l'ADN de ces pièces le fait que nous les danserions toujours dans 20 ans, comme A bras le corps, que nous danserons avec Dimitri Chamblas jusqu'à ce que mort s'en suive. Par conséquent, il n'y a pas un effort tellement grand à danser ces danses vivantes. Emmanuelle Huynh et moi adorons danser le Boléro, et nous avons conçu ensemble cette protubérance qu'est Etrangler le temps, une sorte d'hommage à Odile Duboc que nous diffractons. De nombreuses dates de la tournée 10000 gestes ont été annulées depuis 18 mois, mais c'est une pièce qui est toujours en nous. Ce n'est pas un effort de le danser, plutôt un plaisir, un désir, quelque chose qui est là, sous la peau. Ce sont des pièces qui nous appartiennent, comme un vieux jean que l'on remet et qui fait partie de nous.
La seule vraie redécouverte de notre répertoire est la performance J'ai failli, reprise d'un discours politique que Lionel Jospin n'avait pas prononcé quand il s'est retiré. Je l'ai fait en deux heures la première fois, on la ressort du chapeau aujourd'hui.
RM : Vous avez choisi de réinterpréter deux pièces à l'occasion de ce Portrait, et les films projetés lors du week-end d'ouverture du Festival d'Automne font écho à votre passé d'interprète. Quel est le rôle du danseur dans la société d'aujourd'hui ?
BC : C'est parce que je suis danseur que je suis dans la société. Je dialogue avec la Tate Modern ou avec le Moma parce que je suis danseur. C'est pour cela que j'ai une parole, que je lis ou que je suis dans le monde. Je trouve toujours que les danseurs n'ont pas assez de place dans le monde. Mais c'est parce que je danse que je suis capable de rompre une timidité, de parler, d'écrire, d'essayer de convaincre des gens de me rejoindre dans ces projets fous et de les entraîner dans une aventure. Pour le Happening Tempête, qui aura lieu les 15 et 16 janvier au Grand Palais, nous devons initialement être 400 personnes et je ferai finalement des ateliers avec 200 personnes. C'est la danse qui m'a amené à parler et bouger en même temps. C'est l'espace qui m'a fait aimer, parler, courir, sauter, transpirer, toucher des gens. La danse a transformé mon corps.
RM : Vous vivez aujourd'hui à Bruxelles pour des raisons familiales. Est-ce une plateforme d'observation idéale pour l'avenir de la danse européenne ?
BC : Je vis à Bruxelles mais les bureaux de la compagnie sont à Malakoff et nous sommes implantés dans les Hauts-de-France, en étroite collaboration avec les partenaires de la région, même si le virus a tué une année entière du travail réalisé dans cette région.
Nous ne pourrions pas faire le Festival d'Automne sans le soutien de la région des Hauts-de-France et des partenaires régionaux. Pour l'instant, je me sens Français. Pour moi, l'absence de gouvernement belge est très exotique. Je suis plus touché par l'élection des maires écologistes en France que par la municipalité de Bruxelles.
Bruxelles est une plateforme chorégraphique incroyable. Bizarrement, il n'y a pas tant que cela de place pour des projets internationaux à Bruxelles. Il n'y a pas à Bruxelles l'équivalent du Théâtre de Chaillot, du Théâtre de la Ville ou de la Ménagerie de Verre. Il y a beaucoup de projets flamands, qui s'exportent, mais la programmation à Bruxelles n'est pas tellement internationale. En revanche, c'est un lieu où on peut vivre avec beaucoup moins d'argent qu'à Paris, en tant que jeune artiste. La simplicité de la vie là-bas génère une dynamique.
RM : Que vous inspirent les deux crises actuelles que nous vivons simultanément, celle du climat et celle du Covid ? Ces crises vous ont-elles amené à modifier vos pratiques ?
BC : Pendant tout le confinement, j'ai admiré la créativité des gens qui ont fait des spectacles de cuisine, de salle de bains, des cours et des vidéos à distance. Mon temps était partagé entre l'école à la maison pour mes enfants et la gestion des annulations des spectacles de la compagnie, je ne me suis donc pas mis dans cet état créatif et je n'ai pas créé de spectacle depuis mon couloir. En revanche, j'ai continué à creuser ce Terrain vert, urbain, chorégraphique, que je trace déjà depuis trois ou quatre ans. Nous avons fait un test à Zurich à l'été 2019 en investissant un espace dans l'herbe, au bord du lac, pour des actions non-stop avec des échauffements publics quotidiens, des danses « gâchées » dans l'herbe, un symposium, des ateliers performatifs… César Vayssié en a fait un film manifeste sur ce que pourrait être le terrain. J'adore ce film qui retrace trois semaines d'activité. Cela s'est développé aussi avec la crise sanitaire, non avec la nécessité de faire de la danse à l'extérieur et de proposer la gratuité, mais comme un projet qui m'anime depuis longtemps.
La crise climatique est plus ancienne et de plus en plus urgente. J'ai le sentiment que nous pouvons y répondre en partie en tant que compagnie en essayant de prendre le moins possible l'avion, ou en travaillant, comme les théâtres, sur les questions de décor. Mais c'est aussi une question de société que nous avons besoin d'aborder. Dans le champ de la danse, nous pouvons faire quelque chose de plus radical dans l'endroit de l'institution. Si au lieu de construire un théâtre on se pose sur un terrain vert, la question énergétique, des voyages, des décors se pose à nouveau sans que l'on ait besoin de réinventer les choses. Un peu comme quand on a inventé le Musée de la danse à Rennes, c'était à nous de décider de la muséologie, des horaires d'ouverture…
RM : En quoi Terrain est-il un acte militant ?
BC : Ce sont des questions qui ne sont pas de l'ordre du frein, mais de la folie artistique dans l'espace public. Mettre de l'art dans un terrain écologique qui, souvent, évite l'art. C'est comme si la question brûlante de l'art était mise de côté, alors que la ville d'aujourd'hui, ce ne sont pas seulement les jardins, mais des problématiques sociales, climatiques, écologiques… Il y a une urgence à penser la ville climatique avec l'art. Je fais souvent des projets dans l'espace public, je danse souvent en plein air ou dans l'herbe et il y a pour moi quelque chose de très intéressant à se poser à long terme.
RM : Quelle est votre notion de l'essaimage ?
BC : En faisant un musée de la danse à Rennes, nous avons beaucoup essaimé. Nous avons fait danser des amateurs qui sont devenus des « fausses » compagnies Cunningham de Rennes. Parmi les quinze étudiants qui ont participé à Bocal, projet pédagogique du début des années 2000, beaucoup sont devenus des « abonnés » au Festival d'automne, comme Bouchra Ouizguen ou François Chaignaud. Aujourd'hui, je ne dirige pas une école ou un centre chorégraphique, alors c'est moins évident d'essaimer. J'essaie d'être le plus réactif possible, et d'être au contact avec ces nouvelles directions d'écoles de danse contemporaine en France, à Angers, Paris et Lyon, où les choses ont changé. J'ai envie de répondre à quelque désir ou demande que ce soit de la part de ces écoles, car c'est une vraie chance pour moi de pouvoir échanger avec de nouvelles générations.