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Paris. Théâtre des Champs-Elysées. 18-IX-2020. Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : Der Messias, transcription de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) KV 572. Avec : Elena Tsallagova, soprano ; Helena Rasker, alto ; Stanislas de Barbeyrac, ténor ; José Coca Loza, basse ; Alexis Fousekis, danseur ; Max Harris, comédien ; Léopoldine Richards, figurante. Philharmonia Chor Wien (chef de chœur : Walter Weh), Les Musiciens du Louvre, direction : Marc Minkowski
Ce Messie est annonciateur d'une grande et bonne nouvelle : l'opéra n'est pas mort ! Au TCE, Haendel, Mozart, Minkowski et Wilson sont ses prophètes.
Sommé au silence pendant de longs mois, l'opéra allait-il renaître et comment ? Le Théâtre des Champs-Élysées lève le doute en même temps que le rideau sur le lumineux décor de Robert Wilson que la légèreté d'un tulle donne à contempler dès l'entrée en salle. Grand-maître ès-distanciation depuis Einstein on the beach, le metteur en scène, avec ce Messie créé à Salzbourg en janvier dernier, signe un de ses meilleurs spectacles.
The Messiah est le plus grand titre de gloire d'un Haendel attristé par l'insuccès londonien de ses derniers opéras, mais à l'inspiration intacte. La naissance, la Passion et la résurrection du Christ évoquées par les textes que Charles Jennens (déjà librettiste sur Saül) a glanés dans la Bible offrent à Robert Wilson l'occasion de faire montre de son goût pour l'humour et la spiritualité. « La religion n'a rien à faire sur une scène de théâtre. En revanche, la spiritualité y a toute sa place », avait-il déclaré au moment de sa collaboration avec Arvo Pärt pour le sublime Adam's Passion (DVD accentus music) à Tallinn en 2015. La hauteur de vue de cette profession de foi s'entend au long de ce Messie surprenant qui, par le biais de l'invite faite à une fillette (pour une gracieuse marelle) et un danseur (Alexis Fousekis, bondissant « homme de paille » à tout faire), fait dialoguer la part d'enfance, le fantasque, voire le fantastique, avec l'existentiel. On est très loin du récent Trouvère pour Parme où Wilson s'était littéralement égaré jusqu'au ridicule.
La célèbre boîte bleue, amoureusement sertie d'un double cadre de néons, abrite les images d'une inspiration retrouvée, une direction d'acteurs millimétrée : des bûches en apesanteur, un brasier surgi du sol, des vagues d'écume… des néons s'allument sous les pas des chanteurs invités à marcher sur les eaux des fumigènes. Le moment dévolu à l'Alleluia (écologiste ?) ne déçoit pas, clamé par une humanité s'éloignant d'une planète dont les glaciers fondent, vers une autre, évoquée par un cosmonaute, tandis que le jeu d'orgues sur les cadres de néons vise l'hypnose collective. Il faut assurément se laisser porter par la force de symboles rêvés par le metteur en scène (ainsi de ce « homard ombilical » accouché d'un homme sans tête, qui interroge). Nous sommes ici à l'opposé de la réussite mémorable de Claus Guth (DVD Cmajor) qui avait placé la barre à belle hauteur en transformant en thriller psychologique cet oratorio qui n'a rien d'un opéra.
En dépit d'un planning très serré pour la reprise de ce spectacle dans les difficiles conditions que l'on sait, le résultat ne sent ni la précipitation, ni surtout le repli face au contexte sanitaire. Le rêve initial de Robert Wilson est là tout entier. Ce Messie est une réussite qui scelle les retrouvailles des artistes et du public. Un travail d'équipe avec un Marc Minkowski émerveillé devant le metteur en scène (très touchant texte programmatique). Un chef qui connaît son Messie (un enregistrement Archiv Produktion, un film avec William Klein) et qui choisit ici la version chantée en allemand que Mozart a réalisée à la demande du baron Gottfried van Swieten pour faire connaître le chef-d'œuvre, en l'adaptant au goût du jour : The Messiah devient Der Messias. Cette version peu connue bénéficie toutefois d'un splendide enregistrement réalisé par Charles Mackerras.
On entend Haendel et Mozart : un grand apport boisé fait entendre Così fan tutte… The trumpet (ici die Posaun') shall sound avec le cor dans le grand air de basse divisé par deux… Les tessitures font preuve du plus grand fair play en se prêtant leurs morceaux de bravoure : la soprane fait don de son Rejoice (Erwach) au ténor, pour un des grands moments de la soirée, avec le jeu de jambes d'un irrésistible Stanislas de Barbeyrac en maître de cérémonie, invitant dans le show un sosie d'Arvo Pärt (tout sauf un hasard, bien sûr) ! Le chanteur français est l'atout majeur de cette production. L'aisance scénique et vocale de cet ex-Tamino, de ce futur Florestan (on y songe dès le début, tout en clair-obscur, avec une étonnante gestion des nuances) est confondante. Elena Tsallagova, privé par Mozart d'une belle occasion de briller, se replie sur Ich weiss dass mein Erlöser lebt, énoncé en état de grâce au cours de la lente translation d'une barque dans laquelle le metteur en scène l'a installée en nouveau Charon. José Coca Loza révèle la jeunesse touchante d'une basse au marbre clair. Quant à Helena Rasker, la marmoréenne alto se voit malicieusement invitée au déhanchement par Wilson pour le finale de sa « comédie musicale ».
Le Philharmonia Chor Wien impressionne par sa diction, sa précision, sa puissance, et même sa capacité à suivre l'irrésistible tempo auquel l'invite, non sans péril sur Er trauete Gott, un Minkowski intense et concerné, voire grisé (il danse avec les flûtes sur Wie Schafe gehn) par une partition que Les Musiciens du Louvre abordent avec un sens des atmosphères et des couleurs en tous points captivant.
Résurrection pour tous, donc. Et surtout pour un théâtre dont le don final d'une rose rouge (à chaque spectateur) confie un bouleversant aveu : celui de la profonde solitude d'un opéra fermé. Alleluia !
Crédits photographiques: © Vincent Pontet/ Lucie Jansch
Mis à jour le 21/09/2020 à 12h07
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Paris. Théâtre des Champs-Elysées. 18-IX-2020. Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : Der Messias, transcription de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) KV 572. Avec : Elena Tsallagova, soprano ; Helena Rasker, alto ; Stanislas de Barbeyrac, ténor ; José Coca Loza, basse ; Alexis Fousekis, danseur ; Max Harris, comédien ; Léopoldine Richards, figurante. Philharmonia Chor Wien (chef de chœur : Walter Weh), Les Musiciens du Louvre, direction : Marc Minkowski