À Musique en chemin, grand écart entre derniers madrigaux et piano romantique
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La Romieu. Collégiale Saint-Pierre 24-VII-2020. Utopia. Œuvres de Claudio Monteverdi (1567-1643), Carlo Gesualdo (1566- 1613), Giaches de Wert (1535-1596), Luca Marenzio (1553-1599), Domenico Mazzochi (1592-1665), Pomponio Nenna (1556-1608), Alessandro Piccinini (1566-1638), Michangelo Rossi (1601-1656), Johannes Hieronymus Kapsberger (1580-1651), Girolamo Conversi (1500-1575). La Main Harmonique : Nadia Lavoyer et Amandine Trenc, sopranos ; Frédéric Bétous, alto ; Guillaume Gutierrez ; Jesus Rodil ; Loïc Paulin, ténors ; Marc Busnel ; Pierre de Bucy, basses ; Ulrick Gaston Larsen, chitarrone.
La Romieu. Cloître de la collégiale. 25-VII-2020. Le piano dans tous ses états, trois pianistes.
Récital d’Alice Ader : Federico Mompou (1893-1987) : Pièces extraites du cycle Musica callada ; Domenico Scarlatti (1685-1757) : 8 sonates (K 202 en si bémol majeur ; K 8 en sol mineur ; K 12 en sol mineur ; K 95 en do majeur ; K 225 en do majeur ; K 83 en la majeur ; K 144 en sol majeur ; K 43 en sol mineur) ; Isaac Albéniz ( 1860-1909) : Évocation ; El puerto ; Fête Dieu à Séville extraits du Premier cahier d’Iberia.
Récital d’Alexandros Markéas : Fuzzle jazz puzzle, l’inspiration de Duke Ellington, Billie Holyday et John Coltrane.
Récital de François Dumont : Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Sonate n° 14 Quasi una fantasia op. 27 n° 2 ; Sonate n° 17 La Tempête op. 31 n° 2 ; Frédéric Chopin (1810-1849) : Quatre Ballades op. 23 ; op. 38 ; op. 47 ; op. 52
Pour sa dixième édition, le festival Musique en chemin a dû revoir ses ambitions à la baisse en raison de la crise sanitaire, avec deux soirées au lieu des trois initialement prévues, tout en préservant la convivialité inscrite dans l'ADN de ce rendez-vous.
L'avant-première prévue à la cathédrale de Condom le 28 juin avec Les Vêpres de la Bienheureuse Vierge Marie de Monteverdi en session chorale a été remise à l'an prochain. La jauge de la collégiale de La Romieu a été diminuée par deux pour le premier concert affichant complet ; le public, masqué, est au rendez-vous.
Depuis dix ans qu'il est installé à La Romieu, l'ensemble vocal La Main Harmonique, initiateur du festival, est devenu un moteur de la vie culturelle locale, même s'il rayonne bien au-delà de la Gascogne, favorisant des collaborations entre divers festivals.
Les derniers feux du madrigal
Fidèle à son répertoire du XVe au XVIIe siècle, avec ce nouveau programme Utopia, La Main Harmonique présente la fantaisie expressive des derniers madrigaux de la Renaissance autour de pièces réputées « acrobatiques ». À une voix par partie, les chantres alternent sans cesse entre des pièces de quatre, six à huit voix au service d'une poésie des plus subtiles. Il s'agit bien sûr de l'amour et de ses souffrances et la musique est à l'entier service du texte. D'ailleurs, avant chaque madrigal un chanteur dit le texte en français afin que le public en perçoive mieux le sens.
Un unique théorbe accompagne discrètement les chanteurs, comme un embryon de basse continue. Si le vocabulaire musical demeure ancré dans le style de la Renaissance, on entend toutefois des audaces harmoniques et expressives avec de surprenantes dissonances comme dans le très moderne Moribondo mio pianto de Michelangelo Rossi. L'exacerbation sentimentale de la poésie annonce l'ère baroque où la douleur est magnifiée jusqu'à une expérience mystique : « Oh, je voudrais mourir alors que j'ai passé ma vie entre les lèvres de ma bien aimée » ; « Ah la douloureuse séparation, je sens dans ton départ le tourment de la mort » ; « Si tu désires ma mort, cruelle, alors je mourrai heureux »… Selon une précision extrême et une expressivité absolue, les chantres de La Main Harmonique restituent à merveille ce climat mélancolique, qu'ils éclairent heureusement par deux madrigaux plus joyeux à la fin, Scendi dal paradisio de Luca Marenzio et Zefiro torna de Girolamo Conversi.
Deux pièces instrumentales ponctuent ce récital exigeant sous les doigts de l'excellent luthiste norvégien Ulrick Gaston Larsen, la VIe Toccata d'Alessandro Piccinini au théorbe et la Toccata 6ta du Premier livre de Kapsberger à l'archiluth. Ce continuiste, soliste et compositeur, élève de Rolf Lislevand, enseigne également la guitare baroque, le luth Renaissance et le théorbe au Conservatoire de Lyon.
Le lendemain, dès la fin de l'après-midi, le public pouvait s'installer plus nombreux dans trois galeries du cloître pour une grande soirée consacrée à trois récitals de piano selon des univers différents.
L'Espagne d'Alice Ader
Toujours originale et hors des sentiers battus, Alice Ader a choisi une thématique ibérique qui lui est chère à travers des époques différentes. Par leur concision, quelques pièces du cycle tardif de Federico Mompou, Musica callada (Musique du silence), inspiré par le Chant spirituel entre l'âme et le Christ son mari de saint Jean de la Croix, reflètent un ascétisme traduisant les sentiments les plus profonds du compositeur. Il considérait ce cycle comme sa réussite la plus complète alors que des musicologues y voient son chef-d'œuvre. Le toucher tout d'énergie d'Alice Ader restitue une atmosphère de méditation mélancolique.
Changement d'ambiance avec huit sonates de Domenico Scarlatti, alternant traditionnellement entre rapides et lentes, qui rayonnent comme des joyaux d'inventivité, de sensibilité et de malice qu'Alice Ader souligne avec jubilation. On y entend tantôt comme un mouvement perpétuel, une marche parodique, une facétie ludique ou des répons en écho… Malgré les masques, le public ronronne de plaisir.
Dédiées à l'épouse d'Ernest Chausson et créées à la salle Pleyel en 1906 par Blanche Selva, les trois pièces du premier cahier d'Iberia d'Isaac Albéniz évoquent l'Andalousie. Olivier Messiaen y voyait le sommet de la littérature pianistique. Alice Ader est chez elle dans ces pièces à la virtuosité post lisztienne.
Alexandros Markeas improvisateur de génie
C'est un tout autre univers que propose le pianiste et compositeur Alexandros Markeas, habitué du festival gersois depuis sa création. Se souvenant des années de piano bar de sa jeunesse, le pianiste grec se lance avec gourmandise dans des improvisations sur des standards et des thèmes jazz. Selon une énergie et un swing qui lui sont naturels, doublés d'une virtuosité folle, il parcourt des thèmes de comédies musicales classiques, avant un hommage à Duke Ellington et un clin d'œil à Billie Holiday, puis une évocation du cinéma noir avec Laura et Around midnight de Thelonius Monk. Il n'oublie pas de saluer John Coltrane, qui est pour lui le plus grand musicien du XXᵉ siècle, en passant par la Mélodie du bonheur de façon plus sombre et inquiétante que la fable idyllique habituellement retenue. Alexandros Markeas termine ce tourbillonnant récital par un voyage aux Balkans, dont les rythmes l'ont nourri, avec un désopilant Blue rondo alla turca avant un ultime hommage à Chick Corea avec Fiesta et Spain d'après le Concerto d'Aranjuez de Rodrigo. D'une façon très pédagogique, il présente sa démarche et les pièces avec simplicité et humour.
Le Romantisme de François Dumont
Pour finir François Dumont remonte aux sources du romantisme avec un récital consacré à Chopin et à Beethoven, en cette année anniversaire. Il a choisi d'interpréter deux sonates parmi les plus connues du cycle de 32 du maître de Bonn, la quatorzième Quasi una fantasia op. 27 n° 2 dite « Au clair de lune » et la dix-septième op. 31 n° 2 La Tempête. Que n'a-t-on écrit sur cette quatorzième sonate et son sous-titre apocryphe que Beethoven n'aurait pourtant pas désavoué ? On en a fait un sommet absolu du romantisme, qui en 1801 n'en est qu'à ses prémices. Elle est toutefois novatrice et différente de tout ce qu'on avait entendu jusque-là par sa tonalité inhabituelle d'ut dièse mineur et la forme libre du premier mouvement « comme une fantaisie ». Son côté en effet lunaire apporte quelque-chose de plus mystérieux et de plus personnel. Avec la fluidité et la densité qui caractérisent son jeu, François Dumont accentue son côté intimiste, sans emphase avec retenue et sobriété pour se lâcher dans le troisième mouvement Presto agitato.
Avec son premier accord comme une introduction de récitatif d'opéra au clavecin et ses tempos changeant tout au long du premier mouvement, la dix-septième sonate n'en est pas moins déroutante. L'abordant avec naturel, François Dumont en traduit la vigoureuse expressivité que l'on lit sur son visage. Il se raidit de tout son corps en déclenchant les orages beethovéniens. Dans sa façon de lier certains accords, on entend qu'il a travaillé avec Murray Perahia et il chantonne dans le deuxième mouvement Adagio à la façon de Rudolf Serkin.
Les quatre Ballades de Chopin qui concluent ce récital sont les enfants chéries du pianiste, qu'il joue souvent comme une musique domestique. Il les habite intimement et fait chanter Chopin avec vigueur et caractère.
Pour remercier l'enthousiasme chaleureux du public il entonne le Nocturne op. 9 n° 2 en mi bémol majeur suivi de l'Étude op. 10 n° 12 dite Révolutionnaire.
Crédits photographiques : photo du cloître : © Thomas Millet ; photos suivantes © Alain Huc de Vaubert
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La Romieu. Collégiale Saint-Pierre 24-VII-2020. Utopia. Œuvres de Claudio Monteverdi (1567-1643), Carlo Gesualdo (1566- 1613), Giaches de Wert (1535-1596), Luca Marenzio (1553-1599), Domenico Mazzochi (1592-1665), Pomponio Nenna (1556-1608), Alessandro Piccinini (1566-1638), Michangelo Rossi (1601-1656), Johannes Hieronymus Kapsberger (1580-1651), Girolamo Conversi (1500-1575). La Main Harmonique : Nadia Lavoyer et Amandine Trenc, sopranos ; Frédéric Bétous, alto ; Guillaume Gutierrez ; Jesus Rodil ; Loïc Paulin, ténors ; Marc Busnel ; Pierre de Bucy, basses ; Ulrick Gaston Larsen, chitarrone.
La Romieu. Cloître de la collégiale. 25-VII-2020. Le piano dans tous ses états, trois pianistes.
Récital d’Alice Ader : Federico Mompou (1893-1987) : Pièces extraites du cycle Musica callada ; Domenico Scarlatti (1685-1757) : 8 sonates (K 202 en si bémol majeur ; K 8 en sol mineur ; K 12 en sol mineur ; K 95 en do majeur ; K 225 en do majeur ; K 83 en la majeur ; K 144 en sol majeur ; K 43 en sol mineur) ; Isaac Albéniz ( 1860-1909) : Évocation ; El puerto ; Fête Dieu à Séville extraits du Premier cahier d’Iberia.
Récital d’Alexandros Markéas : Fuzzle jazz puzzle, l’inspiration de Duke Ellington, Billie Holyday et John Coltrane.
Récital de François Dumont : Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Sonate n° 14 Quasi una fantasia op. 27 n° 2 ; Sonate n° 17 La Tempête op. 31 n° 2 ; Frédéric Chopin (1810-1849) : Quatre Ballades op. 23 ; op. 38 ; op. 47 ; op. 52