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Quatre figures de l’amour avec les Madrigaux de Claudio Monteverdi

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Paris, Cité de la musique. 22 et 23 –IV-2006. Claudio Monteverdi (1567-1643) : Madrigaux (Livres VI et VIII). Concerto Italiano, Rinaldo Alessandrini, direction.

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Magnifique quadriptyque que nous offrait la Cité de la musique cet avant-dernier week-end d'avril.

et son nous ont abreuvé depuis presque une vingtaine d'années d'un sang neuf, qui a rendu la figure musicale de Monteverdi, déjà fort attrayante, encore plus complexe et fascinante, l'éclairage augmentant le mystère en quelque sorte. Le Sixième Livre, donné samedi après-midi, vient d'ailleurs de faire l'objet d'un réenregistrement chez Opus 111, le label créé par Yolanta Skura il y a vingt ans, où l'ensemble a signé ses plus beaux disques consacrés au maître de Mantoue, albums maintes fois couronnés et archi-primés au point qu'ils font désormais figure de visions presque indépassables de ces œuvres.

Depuis quatre ans tombé dans l'escarcelle de Naïve, éprouvait le besoin de relire ce Sixième Livre, objet d'un tout premier CD paru en 1988 et qui a fait à l'époque le bruit d'une bombe. En effet, dédié essentiellement aux œuvres des XVIIe et XVIIIe siècles italiens, l'ensemble s'est donné pour mission de redécouvrir ces répertoires » idiomatiques », où les chanteurs excellent à ciseler une langue et une prosodie dont ils savent (ou devinent) de naissance toutes les racines et les accomplissements possibles…

Point culminant de toute l'arche polyphonique qui a précédé – et dont les fondements se sont constitués en Italie au cours de siècles bien antérieurs au fameux Quattrocento – le Huitième Livre de madrigaux est à Monteverdi ce que l'Art de la fugue est à Bach en quelque sorte : un testament musical et spirituel, une éclosion secrète et splendide qui n'aura connu ni équivalent (dans l'ampleur) ni postérité, le style monodique et lyrique « inventé » par Monteverdi lui-meme pour l'Orfeo signant de fait l'arrêt de mort de ce genre devenu désormais par trop antique.

Mais la perfection de cette relique, Monteverdi a tout de même éprouvé le besoin d'en forger un archétype éternel et éternellement moderne au point que nombre de compositeurs d'aujourd'hui font à nouveau volontiers référence au madrigal : Maurice Ohana bien sur, Betsy Jolas, mais plus récemment Philippe Hersant, Caroline Marçot et Philippe Fénelon (dans ses Elégies de Piuno). De la forme traditionnelle à cinq voix (2 sopranos, 1 alto, 1 ténor et 1 basse) Monteverdi a fait un genre quasiment opératique, reprenant sous forme polyphonique nombre de ses airs les plus appréciés à la scène, que ces ouvrages nous soient restés ou non : au nombre des disparus, Arianna, bien sûr.

Il est paradoxal que le compositeur, au service de la sérénissime République de 1614 à sa mort en 1643, ait choisi ce genre tombé déjà en désuétude pour sublimer des airs qui l'ont rendu célèbre. Un besoin de ressourcement sans doute, un retour aux formes plus foisonnantes et quelque part plus perfectionnées du contrepoint et de la fugue. Fugue au sens d'échappée, peut-être.

C'est une riche idée qu'a eue donc la Cité de réinviter (après un concert mitigé il y a trois ans) pour illustrer ce répertoire de la manière la plus brillante et la plus « goûteuse ». Par ailleurs, inscrire Monteverdi dans un parcours général dédie aux « figures du féminin » ne se justifie peut-être que par un artifice de programmation : Monteverdi a de toute évidence autant magnifié le genre masculin, et « féminin » s'écrit ici au masculin d'ailleurs… Renversement de tendance dont nous justifierons la facétie, inspirés par les propos-mêmes de Denis Morrier, musicologue et principal instigateur de ce cycle de concert, qui développe à juste titre la dualité fondamentale de pensée du Huitième Livre, dédié autant à Mars qu'à Vénus…

C'est donc d'amour (toujours) qu'il s'agit ici, et la figure du féminin n'est peut-être – sûrement – chez Monteverdi qu'une figure générique du sentiment amoureux, lui-meme réduction humaine d'un amour plus universel dont on retrouve l'expression directe dans les œuvres sacrées, comme les Vêpres par exemple.

Composés entre 1614 et 1638, les Sixième et Huitième Livres, publiés à Venise où Monteverdi venait d'obtenir la charge de maître de chapelle du Doge, offrent un panorama magnifique de sa science contrapuntique passée et présente. Mais plus que tout, encore une fois, c'est de sentiment qu'il s'agit, et force est de constater que la technique ici s'efface entièrement derrière son objectif, atteindre et faire atteindre le sublime. A cela, les chanteurs et musiciens du s'entendent à merveille, rompus à toutes sortes de cabrioles à plusieurs, ayant rodé leurs numéros comme des trapézistes du théâtre sonore un brin torrentiel que déclenche Monteverdi à chaque ouvrage.

Quelques mots donc, à propos de ces quatre concerts exceptionnels donnés dans une salle comble ou presque à chaque fois, et dont l'acoustique convient plutôt aux voix puissantes, peut-être moins au chant à la fois soyeux, détaché et subtilement timbré de ces musiciens hors pairs.

Le Lamento d'Arianna est une pièce reprise par Monteverdi de la scène la plus fameuse d'un opéra crée à Mantoue en 1608, et dont la tristesse sans fond (qui annonce déjà Purcell et Rameau) se nourrit du propre chagrin du compositeur, après la mort de sa femme l'année précédente.

La distribution de l'ensemble de Rinaldo Alessandrini ne mentionne ni alto ni contre-ténor, mais deux d'entre les trois ténors tiennent sans aucune peine cet emploi et restituent une grande et splendide homogénéité des voix, malgré les contrastes de hauteurs et de rythmes voulus par Monteverdi, auxquels se plient les chanteurs avec la grâce de fleurs se tournant vers le soleil… Deux théorbes très audibles, au jeu clair et détaché encadrent symétriquement la phalange, composée de 3 à 7 chanteurs le plus souvent, une harpe un peu superflue venant souligner leurs lignes déjà bien campées.

Dirigés par Rinaldo Alessandrini à mains nues – dont la précision de la gestuelle n'a rien à envier à celle d'un Pierre Boulez, la danse en plus, une influence napolitaine peut-être – les vocalistes se jouent avec une apparente simplicité et un bonheur perceptible des difficultés de tous ordres – synchronismes, équilibre des voix, montées et descentes d'octaves – qui les attendent dans ces œuvres maîtresses.

Les voix se perdent sans doute un peu dans l'enceinte un rien sèche et étendue de l'auditorium. On aurait aimé pouvoir se rapprocher, toucher, installer ces magiciens devant un rideau rouge et un feu de bois au fond d'une taverne piémontaise. En attendant les vacances à Cortina, peut-être aurait-on gagné en puissance et précision acoustique en rassemblant de plus près les chanteurs, tant l'impression domine que Monteverdi écrit pour un instrument unique, subdivisé en timbres et registres admirablement associés. La harpe sonne bien un peu comme un théorbe, mais avec le clavecin toujours très modeste de Rinaldo Alessandrini, on obtient une extrême acuité stylistique – vibrato, mais pas trop, houle émouvante de flux et de reflux – qui évoque, même à travers le ton de la lamentation, la suavité des étreintes, transformant l'absence en jouissance, comme une transfiguration que seul l'amour humain peut inspirer sans doute, éclairé d'une lumière presque supra-terrestre.

Bref, un pur moment de grâce, idéal dans un salon vénitien, un peu égaré, raréfié dans l'ovale sévère de la Cité.

Près d'un fleuve sage, ce beau poème de l'intranquillité a sept voix comme pour dire simultanément la force et la fragilité du sentiment humain, des liens qui se nouent et se brisent si soudainement. Mais comme dit le philosophe chinois (ou grec ?) : « on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ». Belle consolation en fait que la musique de Monteverdi, parvenue jusqu'à nous pour nous chanter le désespoir et les délices de l'impermanence.

Crédit photographique : © F. Nobile

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