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Étincelles et feux de paille pour le dernier récital de Grigory Sokolov

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Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Sonate n° 3 op. 2 n° 3 ; Bagatelles op. 119. Johannes Brahms (1833-1897) : Pièces op. 118 et op. 119 ; Intermezzo op. 117 n° 2. Franz Schubert (1797-1828) : Impromptu D. 935 n° 2 ; Allegro D. 915. Jean-Philippe Rameau (1683-1764) : Les Sauvages ; Le Rappel des Oiseaux. Sergueï Rachmaninov (1873-1943) : Prélude op. 32 n° 12. Claude Debussy (1862-1918) : Des pas sur la neige. Grigory Sokolov, piano. 2 CD Deutsche Grammophon. Enregistrés en public, à l’auditorium de Saragosse, en Espagne, en juin 2019, à l’Historische Stadthalle de Wuppertal, en Allemagne, en juin 2019, à l’église de San Bernardo de Rabbi, en Italie, en août 2019. Durée totale : 120:03

 
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La captation de trois concerts compose le récital du pianiste russe. Des moments flamboyants traversent cet album qui se révèle, toutefois, comme le moins réussi des trois autres déjà parus sous l'étiquette jaune.

Grigory Sokolov_Beethoven_Brahms_Mozart_DGBeethoven « avec et sans » Haydn… C'est ainsi que l'on pourrait qualifier la Sonate n° 3 dont Sokolov s'empare avec un geste robuste et inattendu. Inattendu, parce que le jeu s'écrase dans les premières mesures comme si la dimension concertante de la Sonate prenait de court l'interprète. On retrouve progressivement l'élégance du toucher, une main droite qui chorégraphie les lignes mélodiques, « corrigeant » quelques raidissements. Le « théâtre » de Sokolov lève enfin son rideau dans l'Andante. La respiration y est magnifique, aussi dense que sobre. Les étagements sonores font s'interroger sur l'emploi éventuel de la pédale tonale tant l'éloquence s'est clarifiée. Pas l'ombre d'un début de pathos, d'alanguissement, mais un piano qui timbre comme s'il improvisait, ouvrant et refermant l'espace sonore à sa guise. Le classicisme du premier mouvement a disparu. La présence de Brahms en deuxième partie du programme devient logique. Mais, alors, pourquoi un tel Scherzo dans la Sonate de Beethoven ? L'interprétation corsetée, le tempo trop retenu, la décomposition des voix effacent l'ironie de l'écriture. Le jeu dose chaque effet, à pas feutrés. La mise en scène du finale est imparable. Sokolov possède le génie de l'élégance. Il prend tous les risques (quelques rares accords accrochés) et restitue le caractère à la fois juvénile et héroïque de la Sonate.

Achevées en 1822, soit près de trente ans après la Sonate n° 3, les Bagatelles op. 119 débutent, sans pause. Un bien délicat changement d'atmosphère pour l'auditeur… Ces pièces furent considérées comme des « futilités » par l'éditeur Peters. Sokolov les joue comme de petits univers solitaires, d'un classicisme qui n'a rien de désuet. Quel humour dans la Bagatelle n° 2, par exemple ! En rendant gracieux, tapageur, éloquent, bavard et dissonant tel ou tel morceau, il détourne la simplicité apparente de l'écriture. Il stylise magnifiquement le caractère expérimental voulu par Beethoven.

Reconnaissons-le : les deux derniers opus de Brahms nous déçoivent. L'acoustique (une église) brouille le médium et l'aigu. Dans l'opus 118, Sokolov concentre son jeu sur la narration. Les couleurs demeurent floues. À cela s'ajoute une digitalité à la peine, à l'instar de l'héroïsme poussif de la Ballade en sol mineur. En revanche, l'Intermezzo en mi bémol mineur est superbe, comme tendu sur un fil. Sa force expressive repose moins sur les contrastes des deux thèmes que sur les arpèges qui donnent à l'ensemble la dimension d'une ballade nordique. L'opus 119 passe trop vite, dans la passion immédiate, marqué par ce que nous ressentons comme une sorte d'inconfort de jeu. La Rapsodie en mi bémol majeur (Allegro risoluto) affirme un tempérament juvénile, alors que le pas demeure pesant. Est-ce l'expression du désespoir à l'annonce d'un finale, en principe, triomphant ?

Après Brahms et Beethoven, voici l'heure des « bis ». Un intermezzo, cette fois-ci emprunté à l'opus 117 de Brahms, semble libérer toutes les tensions accumulées. L'Impromptu en la bémol majeur de Schubert poursuit, comme à rebours, le voyage de Brahms, dans une sourde colère. La lecture de Sokolov est tout en à-plat, non point grise, mais d'un legato quasi morbide, slave par son éloquence dramatique et le refus de toute inspiration dansante jusque dans le grondement des basses. Il en va de même de l'Allegretto en ut mineur du même Schubert, devenu une petite tragédie intimiste. Le Prélude de Rachmaninov est décanté de tout pathos, porté par la seule volatilité du thème. Des pas sur la neige de Debussy est une splendeur d'expression picturale. Sokolov est, ici, le maître de la couleur. Deux pièces de Rameau, les incontournables du pianiste russe, grisent moins que de coutume. Sous les doigts de l'interprète, elle jaillissent comme les métamorphoses contemporaines et dérisoires d'un salon de musique sous Louis XV.

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