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La surdité de Beethoven, nouvelles perspectives

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Près de 200 ans après sa mort, la surdité de Beethoven continue à interroger quant à son étiologie, comme par ses conséquences sur les compositions tardives du maître de Bonn.

top-leftUne surdité d'installation progressive

C'est à partir de la correspondance du compositeur (Brigitte et Jean Massin) que l'on peut retracer l'histoire et l'évolution de sa surdité. Dans une lettre datée du 1er juillet 1801, alors âgé de 31 ans, Beethoven évoque pour la première fois son handicap dans une lettre adressée à son ami le docteur Franz Wegeler : « c'est ainsi que depuis trois ans mon audition s'affaiblit… au théâtre, je dois me placer tout contre l'orchestre… je n'entends plus les sons aigus… j'entends les sons mais ne peux comprendre les mots. A l'inverse, si quelqu'un crie, je ne le supporte pas…» On y apprend que cette surdité évolue depuis quelques années déjà, s'accompagnant d'acouphènes permanents et d'hyperacousie douloureuse. Cette baisse de l'audition semble évoluer d'un seul tenant expliquant l'émergence d'un syndrome dépressif, signalé dans le testament d'Heiligenstadt en octobre 1802, et restreignant progressivement sa vie sociale, d'où son tempérament jugé solitaire et ombrageux. Il semble que la maladie auditive ait débuté à l'âge de 26 ans par des acouphènes, suivis de l'apparition d'une surdité deux ans plus tard (1798) prédominant sur les aigus, avec une perte de l'audition évaluée à 60% en 1801 (un chiffre soumis à caution quand on sait que l'invention de l'audiogramme se fera bien plus tard !), pour devenir complète à l'âge de 46 ans, en 1816, date à laquelle il n'entend plus la musique et utilise un cornet acoustique et des cahiers de conversation. En 1808, il donne son dernier concert public.

Beethoven, malgré tout, lutte désespérément pour maintenir son audition par des bains, et différentes médications qui paraissent aujourd'hui bien fantaisistes, il commande à Conrad Graf, facteur de piano de la Cour Impériale de Vienne, un instrument à quadruple cordes, utilise un résonateur, fixe un cornet acoustique sur un serre-tête pour composer, ou une baguette de bois tendue entre ses dents et la caisse de résonance du piano. En 1824 pour la création de la Symphonie n° 9, il est complètement sourd, reste le dos tourné à la salle ne constatant son triomphe qu'après que la cantatrice Karoline Unger le prend par les épaules pour qu'il constate l'ovation du public. Il rattache sa surdité à une maladie intestinale responsable de douleurs abdominales et de diarrhées, on ne note aucun antécédent familial otitique connu ce qui amènera le Docteur Marage en 1929 à évoquer le diagnostic insolite de « labyrinthite d'origine intestinale » lors d'une séance de l'Académie des Sciences.

Les causes possibles

Devant cette surdité de l'adulte jeune qui évolue progressivement sur vingt ans, sans antécédents familiaux ou infectieux de type otitique, touchant au début les fréquences aiguës, sans vertiges associés, avec acouphènes et hyperacousie douloureuse, quels diagnostics étiologiques évoquer ? L'autopsie du 27 mars 1827, pratiquée au domicile du compositeur et sur sa demande, par les docteurs Wagner, Wawruch et Rokitanski, nous apporte de précieux renseignements. Elle ne retrouve aucune lésion de l'oreille moyenne, ni lésion osseuse, mais un état inflammatoire de la cochlée et une atrophie du nerf auditif, deux pièces maîtresses de l'audition. De telles constatations, appuyées sur la biographie du compositeur et sur sa correspondance, permettent d'éliminer facilement certains diagnostics qui ne résistent pas à une première analyse critique. L'autopsie de 1827 permet d'éliminer les maladies de l'oreille moyenne (otospongiose et otite infectieuse chronique) ; l'étude osseuse réfute l'hypothèse d'une maladie de Paget, un temps évoquée ; il n'existe pas d'arguments patents pour une syphilis contractée très jeune dont l'évolution se fait habituellement rapidement vers la cophose (surdité totale et profonde) ; l'hypothèse d'une labyrinthite touchant l'appareil de l'audition (cochlée) et l'appareil de l'équilibre (vestibule) formulée par le docteur Marage ne tient pas devant l'absence de vertiges associés ; l'origine génétique de cette surdité est peu probable devant le manque d'autres cas familiaux ; quant à une maladie pressionnelle de l'oreille interne, type maladie de Ménière, elle évolue généralement par crise, débute par un déficit sur les fréquences graves, et s'accompagne de vertiges.

En définitive, des études récentes cernent le diagnostic autour de trois étiologies, éventuellement associées : surdité d'origine auto immune, surdité par intoxication chronique au plomb (saturnisme) et surdité compliquant une typhoïde.

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La surdité d'origine auto immune, s'exerçant par l'intermédiaire d'auto anticorps dirigés contre l'appareil auditif, s'exercerait chez Beethoven dans le cadre d'une association avec une maladie inflammatoire de l'intestin (colite ulcéreuse ou maladie de Crohn), éventuellement associée à une maladie inflammatoire des voies biliaires (cholangite sclérosante) (Colin et al). Ce diagnostic est évidemment intellectuellement séduisant car il permet d'intégrer nombre de symptômes signalés par Beethoven ou constatés lors de l'autopsie, comme troubles du transit, diarrhée, jaunisse, cirrhose hépatique. Plusieurs études dans la littérature font état de quelques cas identiques. Cependant le fait que Beethoven n'ait jamais signalé de saignements dans les selles, qu'il n'ait jamais présenté de complications digestives aiguës et que l'autopsie n'ait pas signalé d'arguments spécifiques visibles au niveau de l'intestin, relativise quelque peu cette étiologie.

La surdité par intoxication chronique au plomb (Saturnisme) est également une étiologie plausible (Stevens et al). On connait l'alcoolisme familial (père) qui a entouré l'enfance de Beethoven. Il semble notoire que le compositeur lui-même ait quelque peu abusé, dès le plus jeune âge, du vin de Hongrie fortement chargé en plomb. L'utilisation régulière de cataplasme au plomb confirme le bien fondé d'une intoxication chronique au plomb, confirmée post mortem par des taux très élevés de métal (60 fois la normale) dans les phanères comme les cheveux. Ce saturnisme serait susceptible d'expliquer également les douleurs abdominales, les troubles du transit (colon de plomb), la surdité par atteinte direct du nerf ainsi que la cirrhose hépatique et l'atteinte pancréatique signalés lors de l'autopsie.

La surdité comme complication de la typhoïde est une entité rare, signalée dans quelques publications (Basset et al ; Jenni et al). Elle parait parfaitement possible dans le cas de Beethoven d'après la lettre de Fischhoff datant de 1796. Plaident en faveur de cette étiologie : la notion de contage en 1796 et l'apparition des premiers signes de la maladie auditive la même année ; l'évolution progressive et prolongée (en l'absence de traitement) ; les troubles digestifs associés et persistants dans les suites de la maladie infectieuse.

Compte tenu de l'état des connaissances médicales de l'époque, de l'absence d'examens complémentaires et de traitement, il n'est bien sur pas possible de statuer entre ces trois causes bien que l'étiologie infectieuse nous paraisse la plus probable malgré sa rareté…

Conséquences de la surdité sur la composition de Beethoven

Des études récentes sur les quatuors à cordes ont observé que Beethoven utilisait de moins en moins les notes aiguës dans ses compositions en fonction du temps d'évolution et de l'aggravation de sa surdité (Saccenti et al). D'autres études n'ont pas confirmé… On peut, sans trop s'avancer, affirmer que Beethoven avait l'oreille absolue et qu'il composait dans sa tête sans avoir recours à la médiation de son oreille. Cela expliquant la possibilité de compositions musicales tardives lors de ces années silencieuses, malgré l'absence d'influences extérieures due à l'impossibilité d'entendre les œuvres nouvelles d'autres compositeurs, demeurant enfermé dans son idiome personnel et unique, l'amenant à des compositions plus abstraites et plus épurées, à l'instar des œuvres tardives de Gabriel Fauré, lui aussi victime de surdité à la fin de sa vie.

En conclusion, souvenons nous que si la surdité fit souffrir l'homme, jamais elle n'entama son génie de compositeur. Laissons pour conclure la parole à  : « Ce sourd entendait l'infini, l'infirmité avait vaincu l'organe sans atteindre la faculté, cet homme qui ne perçoit pas la parole engendre le Chant, son âme hors de lui se fait musique… »

Avec mes remerciements au Docteur Sylvie Imbaud-Genieys, oto-rhino-laryngologiste et oto-neurologue, pour son aide précieuse.

Crédits photographiques : Beethoven's Trumpet (with Ear), opus 131, par John Baldessari, 2007 © Los Angeles County Museum of Art ; par Juan Gyenes © VEGAP-ADAGP – Paris 2016 ; Cornets acoustiques fabriqués par Johann Nepomuk Maelzel © Beethoven-Haus Bonn

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