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La comtesse des Noces de Figaro : le sérieux dans le comique

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Dans Les Noces de Figaro de Mozart, le caractère du personnage de la comtesse est bien différent de l’aspect comique de l’ouvrage. Mariée au comte depuis trois ans, la comtesse est toujours amoureuse alors que de son côté, son époux ne cesse de lui être infidèle.

Ce personnage seria apporte une vision catégoriquement divergente de la situation par rapport au personnage buffa de Figaro par exemple. Sa noblesse et sa sensibilité s’expriment dans deux arias : la cavatine « Porgi amor » qui émeut par sa profonde méditation pleine de douceur et « Dove sono » où les souvenirs mélancoliques font place à un avenir plein d’espoir de voir changer le comte.

Le personnage de la comtesse dans le livret

Le livret de Lorenzo Da Ponte se compose de quatre actes. Le premier ne fait pas intervenir le personnage de la comtesse. Elle n’est donc pas présente physiquement, mais elle l’est bel et bien dans les conversations des autres protagonistes : lors de la discussion du récitatif n°5 entre Suzanne et Figaro sur les avances de leur maître auprès de la demoiselle, Suzanne fait référence à la comtesse en ces termes : « Ce n’est pas de sa femme, note bien, que l’appétit lui est venu ». De même, au récitatif n°11 et à l’air n°12, le personnage de Cherubin, amoureux de la comtesse, fait sa déclaration d’amour auprès de Suzanne : « Suzanne : – Ce n’est plus pour la Comtesse que vous soupirez en secret ? Cherubin : – Ah, elle m’inspire trop de respect ! »

Le deuxième acte débute avec sa première apparition sur un air mélancolique. Voilà donc que le public découvre une héroïne triste dans une situation comique. En apprenant les infidélités de son mari, elle veut lui tendre un piège avec Suzanne. La comtesse considère l’affaire avec importance alors que Figaro s’en amuse : « Et tu as le courage de plaisanter sur un sujet aussi sérieux ? » lui rétorquera Suzanne.

Mais malgré ce que l’on pourrait imaginer, ce personnage mélancolique ne sera jamais porté en dérision, ni par la situation, ni par les autres personnages, à l’image de Suzanne qui prend l’affaire de la comtesse très à cœur. Le spectateur s’en aperçoit dès qu’elle réprimande Figaro sur la question. Ce dernier s’amuse en effet de la situation, mais certainement pas de la comtesse. Même le comte, léger et espiègle avec les autres femmes, se conduit avec un respect manifeste dès qu’il se retrouve face à son épouse. Lorsque Cherubin est caché dans le placard (de la scène 4 à 10), c’est du comte que le public se moque ; à ses côtés, la comtesse exprime fondamentalement peur et angoisse face à cette situation amusante pour le spectateur.

Dans la scène 8 de l’acte III, la comtesse présente sa vision des choses : « O ciel ! À quelle humiliante situation suis-je réduite ? » Mais en exprimant explicitement son sentiment d’humiliation, la comtesse permet à son auditoire de ressentir pour elle de la peine et de la compassion. Elle nous surprend par la suite en prenant la situation en main : « Écris, te dis-je, je prends tout sur moi ». Le dernier acte présente la mise en œuvre de la farce : la comtesse emprunte le costume de Suzanne afin de piéger son mari. Son époux s’étant excusé, la comtesse a, alors, atteint son but.

Ainsi, face à la frivolité du comte, la comtesse est profondément attachée à son époux et souffre cruellement de cet abandon. Il y a là tout un drame qui n’a rien de comique même si cette histoire est sous-jacente à la lutte amusante que mènent les fiancés en vue de leur mariage, car, étant donné le caractère loyal et généreux de Suzanne, nous n’avons aucune crainte pour elle, ni pour Figaro : jamais elle ne se laissera prendre aux avances du comte, et l’issue favorable des noces ne fait aucun doute. Le suspense se trouve ainsi déplacé vers le couple du comte et de la comtesse. C’est ainsi que celle-ci prend de plus en plus d’importance dans l’action pour devenir, dans la scène finale, le principal protagoniste de l’intrigue.

La-Romance-de-Cherubin-estampe-Fragonard©Gallica-BnF

La Romance de Chérubin, estampe d’après Fragonard

Le personnage de la comtesse en musique

La comtesse détient deux airs qui possèdent toutes les caractéristiques des arias seria : « Porgi amor » et « Dove sono ». Tout d’abord, les deux airs n’évoluent que sur quatre vers : « Amour, donne quelque apaisement / À ma douleur, à mes soupirs ; / Rends-moi mon amour / Ou laisse-moi mourir » pour le premier air et « Ah ! Si au moins ma constance / À languir d’amour pour lui / Me donnait l’espérance / De changer ce cœur infidèle ! » pour le second air. Le vocabulaire noble et leur caractère calme ou mélancolique, contrastent avec le reste de l’opéra. C’est d’ailleurs pour cette raison que Mozart fait jouer un long prélude orchestral lors du premier aria afin d’habituer le spectateur à ce changement d’atmosphère.

Au niveau de la technique vocale, chacun des arias présente ses propres difficultés destinées à des chanteurs spécialisés dans l’opéra seria. Pour le premier aria, le Larghetto peut être un premier obstacle : le souffle et les valeurs longues doivent être sans défaut. De même, pour la ligne mélodique, cet aria comprend des sauts d’intervalles importants (quartes, quintes, sixtes ascendantes ou descendantes), des débuts de phrases sur des notes aiguës ; un ambitus large (ré-la b) et des tenues sur des notes aigus (point d’orgue sur un la b) qui rendent cet air délicat pour son interprète. « Dove sono » comporte également des valeurs longues sur des notes aigus (la), une courbe mélodique avec de grands intervalles (septièmes) ou des ornementations (trilles) rendant cette musique plus noble et plus virtuose.

Ces deux airs mettent en valeur la personnalité et l’état d’esprit du personnage : le premier aria est en mi b majeur, tonalité qui chez Mozart est toujours empreinte d’une gravité noble et chaleureuse, et le do majeur de « Dove sono » symbolise quant à lui la plénitude et l’équilibre.

« Porgi amor » a un rôle important puisque c’est la première apparition de la comtesse. Mozart met ainsi beaucoup en relief le personnage en la présentant au début de l’acte. Cette entrée est un chant d’une solitude méditative qui l’élève loin au-dessus des basses intrigues qui l’entourent. « Dove sono » lui, est une réflexion sur l’action qui est en train de se dérouler : la comtesse est inquiète puis se résout à se venger de son mari. Cet aria est important pour connaître l’état psychologique de l’héroïne à ce moment de l’intrigue.

Ainsi, autant dans le livret que dans la musique, la comtesse présente des éléments typiques du personnage seria. Mais l’on peut se demander si, par sa différence par rapport à l’aspect comique de l’opéra et des autres personnages, celle-ci n’a pas des difficultés à s’intégrer pleinement dans l’ouvrage ? Face à Suzanne le plus souvent, l’héroïne subit l’influence du caractère buffa de la servante, et se laisse même envahir par Suzanne qui possède une voix plus aiguë que la sienne. Mais dans l’ensemble, la comtesse arrive à maintenir sa dignité et sa noblesse malgré tout.

Crédits photographiques : Chérubin, Suzanne et la comtesse, acte II (image de une) © Gallica-BnF ; La Romance de Chérubin, estampe d’après Fragonard © Gallica-BnF ; La comtesse Almaviva © Gallica-BnF

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