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Vesoul. Théâtre Edwige Feuillère. 11-III-2020. Georges Aperghis (né en 1945) : Le Petit Chaperon rouge, d’après le texte de Charles Perrault. Mise en scène : Charlotte Nessi. Chorégraphie : Dominique Boivin. Scénographie et lumières : Gérard Champlon. Costumes : Laurianne Sciemmi Del Francia. Avec : Anna Swieton, violon ; Pierre Chalmeau, Teddy Gauliat-Pitois, pianos ; Patrick Ingueneau, saxophone ; Carjez Gerretsen, Eric Lamberger. Axel Dilignières, Arthur Goudal, comédiens. Préparation musicale : Richard Dubelski
Créé en 2001 à Cologne, réapparu en 2010 à Paris, en 2011 à Copenhague, Le Petit Chaperon rouge de Georges Aperghis ressort du bois à Vesoul, sur la grande scène du Théâtre Edwige Feuillère. Une occasion rare de voir des musiciens s'amuser autant que leur public.
Dans l'œuvre d'Aperghis, Le Petit Chaperon rouge semble faire écho à Histoire de loups, un des six opéras du compositeur, créé au Festival d'Avignon, lors de la mythique année 1976 (celle d'Einstein on the beach). Le Festival d'Avignon, qui ouvrait alors ses portes à la grande aventure du Théâtre musical, accueillait l'ATEM (atelier de théâtre et musique), audacieux mélange d'innovation et d'humour, que le compositeur grec avait fondé avec la très regrettée Édith Scob, et où s'invitait à l'occasion le jeune Michael Lonsdale. Contrairement à son aîné, Le Petit Chaperon rouge ne peut prétendre au statut d'opéra puisque ses six protagonistes, des instrumentistes et non des chanteurs lyriques, n'y font que déclamer, siffler. Et jouer. De leur instrument (un violon, deux pianos, un saxophone, deux clarinettes) mais aussi de leur corps. Le Petit Chaperon rouge (immortalisé dans un DVD Arte de 2006) est plutôt une fantaisie.
Même pas peur du loup Aperghis ! Charlotte Nessi, qui sait pourtant bien que la musique contemporaine n'est généralement toujours pas la chose la plus aisément consommable, allonge même la durée de l'œuvre d'une dizaine de minutes. Pour celle qui, au long des quarante ans d'âge de son Ensemble Justiniana, a toujours fait dialoguer les morts et les vivants, les anciens et les modernes auxquels elle a régulièrement passé commande, la musique de Georges Aperghis, par-delà les coq-à-l'âne de ses enchaînements, les ricanements de ses volutes, les points d'exclamation et d'interrogation de ses ponctuations, son inventivité folle, est le synonyme musical d'un humour en totale liberté. Tex Avery s'impose. Celui de Red Hot Riding Hood. Avec son cabaret. Avec son loup en surchauffe devant l'héroïne de Perrault en pin up.
Passé un hilarant prologue parlé en bord de scène, avec loup (bientôt pianiste) en plein doute existentiel et scénique (« je l'sens pas je l'sens pas »), et aïeule (future saxophoniste) en fauteuil roulant, un nuancier de rouge de noir et de blanc plante le lieu « riant » du drame. Car drame il y aura dans la version de Perrault/Aperghis/Nessi qui ne fait ressusciter personne, au contraire de l'ultérieure version Grimm. On s'amuse longuement (la mère-grand utilise son saxo en fume-cigarette, les chaises glissent adroitement sous les clients du cabaret, les pianos droits deviennent des castelets…) avant que la gestique de cartoon se voie forcée de céder peu à peu la place à des questionnements bien contemporains relatifs à la place des femmes et des hommes du monde entier. Les facétieux instrumentistes, après avoir décliné, autour d'un Chaperon tout en candeur naïve, les démonstrations lourdaudes et dérisoires de ce que notre temps nomme « masculinité toxique », se transforment tour à tour en loups qui, acheminant le spectacle vers sa conclusion en forme d'avertissement, énoncent en chœur le nécessaire épilogue de Perrault : « …tous les loups ne sont pas de la même sorte… il en est d'une humeur accorte » « …ces loups doucereux, de tous les loups sont les plus dangereux.»
Les six artistes ont été minutieusement élus. S'il les fallait experts en musique comme en comédie, il leur fallait aussi la tête de l'emploi. Il s'agissait donc de trouver un pianiste (Teddy Gauliat-Pitois) qui ait une tête de loup, un saxophoniste transformiste (Patrick Ingueneau) pour la grand-mère, une violoniste (la forcément merveilleuse Anna Swieton) adepte des pointes en tutu, un garde-malade rigide (l'impayable Pierre Chalmeau), des clarinettistes d'une souplesse de liane (Carjez Gerretsen et Eric Lamberger). Ils sont tous là, évoluant en funambules dans un spectacle millimétré, chorégraphié par Dominique Boivin, mis en images et en lumière par Gérard Champlon, et scotché à la précision de la partition, préparée par Richard Dubelski, collaborateur de Georges Aperghis. Charlotte Nessi joue aussi sur les nationalités, faisant même entendre en plusieurs langues la célèbre comptine « Il était une fois une petite fille de village… »
Deux comédiens gèrent cet établissement en folie, mais à tout cabaret son maître de cérémonie. Le meneur de revue en chef se nomme Arthur Goudal. Visage et corps élastiques, sourire carnassier insaisissable, timbre insinueux, à la fois Loup et Chaperon (ah sa cueillette des noisettes !): le Loup de Tex Avery c'est lui ! C'est donc lui qu'en toute logique Charlotte Nessi lance au final dans le public à la recherche d'une nouvelle proie… pour un ultime frisson lupin de plaisir et d'effroi mêlés.
Le spectacle aurait dû passer à la fin du mois par l'Opéra de Paris, l'actualité en a malheureusement décidé autrement.
Crédits photographiques : © Yves Petit
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Vesoul. Théâtre Edwige Feuillère. 11-III-2020. Georges Aperghis (né en 1945) : Le Petit Chaperon rouge, d’après le texte de Charles Perrault. Mise en scène : Charlotte Nessi. Chorégraphie : Dominique Boivin. Scénographie et lumières : Gérard Champlon. Costumes : Laurianne Sciemmi Del Francia. Avec : Anna Swieton, violon ; Pierre Chalmeau, Teddy Gauliat-Pitois, pianos ; Patrick Ingueneau, saxophone ; Carjez Gerretsen, Eric Lamberger. Axel Dilignières, Arthur Goudal, comédiens. Préparation musicale : Richard Dubelski