Chantal Galiana, une histoire particulière avec l’opéra Brundibár
Plus de détails
Brundibár de Hans Krása (1899-1944) est une œuvre pour les enfants, destinée à n’être chantée que par des enfants. Les conditions de sa création ont pourtant été terribles. En partant de celles-ci et aboutissant aux productions contemporaines, ResMusica raconte la vie d’un opéra, de sa naissance jusqu’aux difficultés actuelles de montage, de traduction ou d’adaptation. Un voyage sur 80 ans. Pour accéder au dossier complet : Brundibár de Hans Krása
Artiste inclassable, chanteuse, actrice, autrice, Chantal Galiana a travaillé avec pas moins que Laurent Pelly, Philippe Adrien ou Patrice Bigel. Elle est également à l'origine de l'adaptation française de Brundibár, dont elle a réalisé la production. Alors, comment monter une œuvre quand ce n'est pas du tout son métier ?
ResMusica : Chantal Galiana, l'aventure de Brundibár a commencé grâce à Robert Desnos ?
Chantal Galiana : J'ai tout de suite aimé Robert Desnos poète, puis petit à petit je me suis attachée à la personne. C'est grâce à Jacques Vincey, metteur en scène, comédien, et actuel directeur du Centre Dramatique National de Tours, que j'ai lu et aimé Robert Desnos. Jacques m'a d'abord offert La Liberté ou l'amour ! Puis il m'a proposé de jouer Athénaïs dans La place de l'Étoile. A la même époque, Élisabeth Wiener m'a donné un très beau recueil, une édition russe des Chantefables pour enfants sages, trente poèmes sur les animaux, mis en musique par son père Jean Wiener.
RM : Vous avez beaucoup chanté et enregistré, voire composé, des chansons sur les textes de Robert Desnos ?
CG : Oui, sous des formes diverses. Avec Fabrice Boulanger, pianiste et compositeur, nous interprétions dans un premier spectacle quelques-unes des Chantefables. Jean-François Hubert, programmateur au Théâtre Gérard Philippe de Saint-Denis, était dans la salle. Il a eu un coup de cœur pour ces mini-mélodies animalières, et nous a commandé un spectacle à partir du recueil entier. Nous avons alors imaginé de raconter la course folle d'une jeune femme à travers le monde, qui part à la recherche du Capitaine Jonathan. Nous avions engagé une autre chanteuse, Sophie La Motte d'Argy, un saxophoniste, Daniel Paboeuf, qui venait de la scène rock rennaise, et particulièrement du groupe Marquis de Sade, ainsi que Michèle Guigon pour la mise en scène. Nous avons joué très peu en France car nous sommes partis en tournée pendant deux mois en Amérique latine. Chantefleurs, récital botanique, a été créé à la Péniche Opéra en 1992 dans une mise en scène de Laurent Pelly, et se présente comme une conférence menée par une sorte de professeur Tournesol féminin. La belle saison est proche ou Bonsoir tout le monde tournent autour de la vie de Desnos et ont donné lieu à deux enregistrements : le premier des mélodies et chansons de Poulenc, Wiener, Kosma… le deuxième des compositions originales de Vincent Bouchot, Fabrice Boulanger, Denis Chouillet, Jeff Cohen, Stéphane Leach, Vincent Leterme, Joseph Racaille et moi- même.
RM : C'est ainsi que vous partez de Desnos pour découvrir l'histoire du camp de Terezín, et aboutir à Brundibár ?
CG : Au cours de l'année 1993-1994, j'ai animé dans le cadre de la maison du geste et de l'image, un atelier de théâtre sur les thème des enfants dans la guerre. En rassemblant des documents sur ce sujet, je me suis intéressée au livre de Joža Karas, La musique à Terezín. Pour moi, Terezín était le lieu où Robert Desnos est mort du typhus, en 1945. C'est pour cette raison que j'ai écouté en 1995 une émission de radio sur ce camp. J'ignorais tout de cette histoire, et tout ce que j'apprenais me bouleversait. C'est là que j'ai entendu Brundibár pour la première fois et lorsque les enfants ont chanté la berceuse, j'ai su qu'une histoire particulière entre cet opéra et moi venait de commencer. Cette œuvre a pris une place énorme dans ma vie, et j'ai décidé de la monter. Je n'avais jamais rien fait de tel auparavant et je ne savais pas du tout comment m'y prendre, mais je n'ai pas réfléchi. C'était comme une urgence. C'était obligatoire.
RM : Et vous vous lancez alors que ce n'est pas du tout votre métier. Par quoi avez-vous commencé ?
CG : J'ai passé quelques nuits blanches à faire et refaire des plans dans ma tête ! La seule certitude que j'avais, c'était que l'artiste peintre Béatrice Turquand d'Auzay se chargerait des décors et costumes. Si elle avait refusé, je crois que j'aurais renoncé, car je n'envisageais pas ce projet sans sa participation, heureusement elle a accepté sans hésiter. J'ai cherché la partition pendant plusieurs mois, j'en ai parlé à mes connaissances, et c'est un ami qui l'a trouvée en version piano-chant en Suisse, presque par hasard.
Jean-Claude Fall, le directeur du TGP (Théâtre Gérard Philippe), a été le premier à croire en ce projet, et il m'a proposé la création dans son théâtre. Parallèlement j'ai commencé à essayer de récolter des fonds. Je m'en souviens très bien, car en décembre 1995, il y avait des grèves de transport et il neigeait, alors j'allais à tous mes rendez-vous à pied, et faisais au moins trois heures de marche à chaque fois et souvent pour rien… mais j'étais toujours à l'heure ! Un jour, Agnès Célérier, administratrice du Théâtre 71 de Malakoff, a parlé de Brundibár à Caroline Sonrier, à ce moment-là directrice de l'IFOB (Île-de-France Opéra et Ballet) structure qui n'existe plus. Elle m'a donné rendez-vous. J'y suis allée accompagnée de Rebecca Pauly qui représentait le TGP. Elle a lu le dossier, et m'a écouté très attentivement. Elle a eu une conversation avec son administrateur, puis elle nous a annoncé que ce spectacle serait soutenu par l'IFOB, ce qui voulait dire que les lieux qui éventuellement achèteraient Brundibár seraient aidés financièrement. C'était déjà énorme, mais elle a rajouté qu'en plus l'IFOB serait coproducteur et moi directrice artistique. Je me souviens qu'avec Rebecca on avait du mal à contenir notre joie. Quand on s'est retrouvé dans la rue, on sautait de joie en riant aux éclats et on se pinçait pour être sûres qu'on ne rêvait pas. De ce jour-là pas mal de portes se sont ouvertes, mais il a fallu de longs mois pour monter cette production.
RM : Et à plusieurs reprises, vous y êtes allée au culot ?
CG : Je dirais plutôt par naïveté. Par exemple, j'avais envoyé un dossier à Anne Pawloff, secrétaire générale de la Fondation France Télécom. Elle me donne rendez-vous et m'explique que jusqu'à ce jour elle n'avait jamais entendu parler de Brundibár et que subitement elle se retrouvait avec deux projets de la même œuvre… Je n'étais pas surprise car je savais que Charlotte Nessi avait décidé de monter Brundibár à l'Opéra de Paris. Anne Pawloff m'a expliqué que la Fondation soutenait Charlotte Nessi, mais elle a ajouté qu'elle aimait vraiment notre projet et qu'il fallait qu'elle trouve comment faire pour nous aider… Je lui ai répondu : « ce n'est pas difficile madame, il n'y a qu'à diviser la somme en deux, une partie pour Charlotte Nessi et l'autre pour moi ! ». Elle a ri. Je ne sais si c'est ce qu'elle a fait, mais la Fondation France Télécom nous a aidé !
RM : Comment se sent-on quand on apprend qu'une version concurrente aura lieu à Paris, à peu près aux mêmes dates ?
CG : Brundibár avait été donné en tchèque par l'ensemble Disman de Prague en juin 1993 au Festival du Marais, et par la suite, plus rien ! Et soudain, en 1997, ces deux productions, celle de l'Opéra de Paris et la nôtre qui voyaient le jour quasi-simultanément, c'était un peu étrange… Mais lorsque les choses sont dans l'air il y a forcément d'autres personnes qui s'y intéressent et qui les aiment. Ce qui m'a le plus agacé c'est la réaction de certains et certaines envers notre chœur d'enfants. Par exemple, j'ai été reçue au ministère de la Culture, par une dame qui m'a congédiée en me regardant comme si j'étais une illuminée et en me disant : « Bonne chance mon petit avec vos enfants d'Aubervilliers » (en ricanant sous cape comme dit la comtesse de Ségur). Finalement, il y a eu des comparaisons dans la presse mais personne ne les a mis en rivalité. De toute façon, ces deux Brundibár n'avaient rien à voir l'un avec l'autre. Celui de Charlotte Nessi en tchèque, à l'Opéra Bastille avec la maîtrise, et nous en français au TGP avec un « petit » chœur de 25 enfants, c'était vraiment deux visions différentes.
RM : Et le reste de l'équipe ? Comment avez-vous embauché un metteur en scène, des collaborateurs ?
CG : J'avais déjà le rôle de directrice artistique et de productrice. De plus j'écrivais l'adaptation du livret. Tout cela était énorme, aussi j'ai décidé de ne pas faire la mise en scène. Mais ce n'était pas simple car il me fallait trouver une personne qui comprenne parfaitement ce que j'avais en tête. J'ai contacté plusieurs metteurs en scène qui ne m'ont jamais répondu. Et tant mieux, car lorsque j'ai rencontré Hervé Lelardoux, j'ai su très vite que ce projet devait se faire avec lui. Pourtant, quand il a lu le livret, il a hésité. Il est vrai qu'au premier abord l'histoire est un peu faible. Alors je lui ai parlé du film de Charles Laughton, La Nuit du chasseur, et particulièrement de la scène où les deux enfants pourchassés par Robert Mitchum fuient terrorisés à bord d'une barque. La nuit tombe. La barque glisse sur l'eau et les emporte. Le garçon s'endort. La fillette chante pour sa poupée et s'endort à son tour. La lune et les animaux de la nuit veillent sur eux… Hervé a compris qu'il était hors de question de déguiser des enfants en chat ou en chien, de les faire minauder, et quand il a vu le travail de Béatrice, il a été convaincu. Je n'ai jamais regretté ce choix. Je n'ai d'ailleurs regretté aucun de mes choix. L'équipe a été extraordinaire du début jusqu'à la fin. Jean-Pierre Mouleres que j'avais engagé pour assister Hervé Lelardoux s'est surtout consacré au jeu théâtral avec les enfants (qui avaient au début entre 7 et 12 ans) Il a obtenu d'eux une écoute incroyable et un investissement total. Vincent Millet, notre régisseur général, à la fois sérieux et humain, m'a secondé dans tout. Les costumes, fait maison, ont été superbement fabriqués par ma mère et une amie. J'ai entamé une adaptation du livret en français, et Fabrice Boulanger, avec qui j'avais réalisé nos premiers spectacles, a enregistré toute la partition au piano, afin que je puisse la chanter et vérifier que ma version collait bien avec la musique. Puis il a écrit une orchestration pour huit instruments.
RM : Pourquoi une nouvelle orchestration ? Celles de Hans Krása ( il y en a trois) ne convenaient pas ?
CG : Nous avons fini par trouver à louer le matériel d'orchestre auprès des Éditions Leduc, mais l'orchestration originale était pour treize musicien, ce qui était hors de nos moyens. La réduction pour piano était trop légère, et nous n'avions pas celle de Terezín.
RM : Et vous chantiez de plus un prologue sur des mélodies de Dvořák ?
CG : Oui, les Gypsy songs, en hommage aux tziganes, eux-aussi victimes du nazisme. Et puis Le Roi d'Aquitaine, une chanson française de Kurt Weill. Celle-là, c'était pour la simplicité, la poésie et les rêves de l'enfance. Et puis Weill l'avait écrite en France quand il fuyait l'Allemagne, avant de partir aux États-Unis. J'aime bien faire des clins d'œil en passant, « mine de rien » comme disait Desnos. Dans mon adaptation du livret, il y en a pas mal. Par exemple à la fin du premier acte les animaux disent : au revoir les enfants. Ça c'est pour le film de Louis Malle.
RM : Et donc, sur les conseils de Jean-Claude Fall, vous recrutez l'orchestre ainsi que les enfants au CNR d'Aubervilliers – La Courneuve. Comment cela s'est-il passé ?
CG : Jean-Claude Fall, directeur du TGP, avait immédiatement pensé au CNR d'Aubervilliers – La Courneuve, mais le directeur, Michel Rotterdam, ne s'est pas décidé tout de suite. Il nous a rencontré plusieurs fois, il a réfléchi un bon moment, il voulait savoir à qui il avait affaire, et puis un jour il a décidé de nous faire confiance. Il était très soucieux du comportement que l'on aurait avec les enfants. C'est lui qui les a choisi ainsi que les musiciens. Toute la préparation s'est faite sur une année scolaire. Il y avait deux chefs de chœur, François Hugues Leclerc et Marie Joubinaux. Deux fois par semaine environ, ils travaillaient la partition avec les enfants et moi j'y allais une fois sur deux. On parlait beaucoup du contexte, de la guerre. Je leur montrais les dessins des enfants de Terezin, les esquisses de Béatrice, les maquettes de costumes… Le chœur chantait toutes les parties car on avait décidé qu'il n'y aurait pas de soliste, que les rôles passeraient de l'un à l'autre. Nous avons joué trente fois environ en Île-de-France puis dix en Alsace, au Théâtre Jeune Public de Strasbourg et à l'Atelier du Rhin de Colmar. Nous avons eu à chaque fois de belles critiques.
RM : Les conditions de travail était-elles différentes en Alsace et en Île de France ?
CG : En Alsace, J'ai eu quelques désaccords avec l'Orchestre de Strasbourg qui considérait Hans Krása comme un compositeur mineur, la preuve étant qu'il avait peu composé. Quand j'ai répondu que c'était peut-être parce qu'il avait été exterminé à Auschwitz, ça a jeté un froid. Mais petit à petit, ils ont quand même compris ce qu'ils étaient en train de jouer et ils ont fini par changer de comportement. Les enfants, quant à eux, étaient merveilleux. Ils étaient très différents des enfants d'Aubervilliers, mais tout aussi formidables. Ils se sont tellement investis qu'ils n'ont pas supporté quand la dernière est arrivée. Ce jour-là ils ont joué en sanglotant. C'était atroce. Brundibár a de toutes façons été, pour petits et grands, plus qu'une expérience artistique.
Crédits photographiques : © Frédéric Terzian
Plus de détails
Brundibár de Hans Krása (1899-1944) est une œuvre pour les enfants, destinée à n’être chantée que par des enfants. Les conditions de sa création ont pourtant été terribles. En partant de celles-ci et aboutissant aux productions contemporaines, ResMusica raconte la vie d’un opéra, de sa naissance jusqu’aux difficultés actuelles de montage, de traduction ou d’adaptation. Un voyage sur 80 ans. Pour accéder au dossier complet : Brundibár de Hans Krása