Gilbert/Ganio : le meilleur de l’école française dans Giselle à Garnier
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Paris. Opéra Garnier. 4-II-2020. Giselle. Ballet en deux actes. Musique : Adolphe Adam. Livret : Théophile Gautier, Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges. Chorégraphie : Jean Coralli, Jules Perrot (1841). Transmise par Marius Petipa (1887), adaptée par Patrice Bart, Eugène Polyakov (1991). Décors : Alexandre Benois, réalisés par Silvano Mattei. Costumes : Alexandre Benois, réalisés par Claudie Gastine. Orchestre Pasdeloup, Direction musicale : Koen Kessels. Avec Giselle : Dorothée Gilbert, Albrecht : Mathieu Ganio, Hilarion : Audric Bezard, Myrtha : Valentine Colasante. Pas de deux des paysans : Francesco Mura et Marine Ganio ; deux Wilis : Eléonore Guérineau, Marine Ganio. Et le corps de ballet de l’Opéra national de Paris.
Les étoiles Mathieu Ganio et Dorothée Gilbert donnent à voir le meilleur de l'école française dans le ballet romantique par excellence qu'est Giselle. Les rôles de solistes sont distribués à la perfection et le corps de ballet de l'Opéra national de Paris excelle dans cette reprise de haute volée.
L'entrée en matière est agitée. Après les annulations en série pour cause de grève, la lecture par une voix off d'un communiqué des représentants du personnel déclenche les huées d'une partie du public et les applaudissements de l'autre. Pourtant, c'est bien loin de l'actualité politique et sociale que nous transporte immédiatement la troupe dès l'ouverture du rideau, après les premières notes de la partition d'Adolphe Adam, jouée par l'Orchestre Pasdeloup, sous la direction de Koen Kessels. Créé en 1841 à l'Opéra de Paris (alors situé rue Le Peletier) par Jean Coralli et Jules Perrot sur un livret de Théophile Gautier et Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges, le ballet n'a été que peu modifié depuis sa transmission par Marius Petipa à Saint-Pétersbourg en 1884.
Dans un décor champêtre, réalisé d'après les dessins d'Alexandre Benois, dansent joyeusement paysannes et paysans d'un village d'Allemagne tout droit sorti de l'imaginaire de Théophile Gautier. Le début du premier acte est empreint de cette tonalité festive et légère, cadre idéal pour les amours champêtres de Giselle et Albrecht. Le prince se plaît en effet à se travestir en villageois pour courtiser, loin de la cour, la jolie et naïve Giselle. Dorothée Gilbert incarne une Giselle un brin craintive à la découverte du sentiment amoureux, mais aussi espiègle et très complice avec Albrecht. Sa danse est raffinée, tout en nuance et délicatesse. En pleine possession du rôle, Gilbert travaille les nuances, le haut du corps souple, le bas de jambe vif, des équilibres qu'elle semble pouvoir tenir à discrétion, jouant sur la musicalité.
Mathieu Ganio, lui aussi, a façonné le personnage d'Albrecht au gré de ses multiples interprétations du rôle. S'éloignant des stéréotypes du prince, il donne vie et humanité au personnage. La duplicité d'Albrecht, qui s'amuse avec Giselle alors qu'il est déjà promis à la princesse Bathilde, reste tendre. Son Albrecht est inconséquent, léger, certes, mais jamais cynique. Pourtant, quand la supercherie est démasquée par Hilarion (Audric Bezard), garde-chasse amoureux de Giselle, il n'a rien à avancer pour sa défense. Giselle voit alors son univers s'écrouler. Trompée dans son amour absolu et sincère, elle sombre dans la folie. Dorothée Gilbert touche au sublime dans la force de son désespoir, qu'elle exprime avec dépouillement et simplicité. Ganio émeut également dans l'évolution qu'il intime à son personnage. Lorsque Giselle meurt dans ses bras, après la colère qui le pousse à accuser Hilarion, c'est la culpabilité qui l'envahit lorsqu'il croise le regard accusateur de la nourrice. Désespéré, Albrecht prend alors une dimension tragique, qui suscite la compassion du spectateur.
Parmi les morceaux de bravoure du premier acte, il faut noter le pas de deux des paysans, dansé par Francesco Mura et Marine Ganio. La technique brillante de Francesco Mura explose dans les cabrioles et les jetés, les tours en l'air aux réceptions moelleuses et les pirouettes. Le travail sur la pantomime est remarquable. Le trio Gilbert/Ganio/Bezard rend l'histoire limpide et permet de se concentrer sur l'expression des sentiments.
Le second acte, ou acte blanc, incarne à lui seul le ballet romantique. La mise en scène suggère une atmosphère sylvestre onirique et enchantée par une nuit empreinte d'un épais brouillard. Des femmes fantomatiques traversent la scène, la tête couverte d'un long voile, des petites ailes dans le dos. Ce sont les Wilis, ces jeunes filles vierges mortes avant leurs noces. Leur reine Myrtha apparaît, impassible et rigide comme la Justice, prête à les venger des hommes qui les ont trompées. Le personnage de Myrtha est l'un des rôles les plus difficiles du ballet, qui requiert une technique sans faille. Valentine Colasante relève le défi avec brio. Impériale et imposante, elle donne le tempo et se joue des difficultés techniques. Le corps de ballet féminin déploie tout son savoir-faire pour conférer une légèreté presque surnaturelle à ces spectres. Le haut du corps souple et incliné vers l'avant, perchées sur les pointes, elles semblent flotter au gré d'arabesques aériennes. Les ensembles sont parfaits et le style romantique a été particulièrement bien assimilé par la jeune génération de ballerines. Parmi les Wilis, Éléonore Guérineau, revenue à Paris après une saison à Zurich, se distingue par sa grâce raffinée, son remarquable travail du haut du corps, et son style d'un romantisme admirable.
Dorothée Gilbert confirme son statut de grande danseuse dans la métamorphose de son personnage. Aussi éloignée de la Giselle du premier acte que le cygne blanc du cygne noir, la Giselle du second acte s'est transformée en Wili. L'expression impassible de son visage n'a plus rien de la gaîté enjouée du premier acte. Albrecht ne parvient pas à saisir dans ses bras cette ombre évanescente. Pourtant, même dans l'au-delà, Giselle a conservé le souvenir de son amour et a pardonné à Albrecht sa tromperie. Lorsque Myrtha condamne à mort Albrecht après Hilarion, Giselle le protège du courroux des Wilis, faisant rempart de son corps.
L'Albrecht qui vient pleurer sur la tombe de Giselle n'a plus rien à voir avec le jeune homme insouciant et volage du premier acte. Mathieu Ganio incarne avec panache le noble désespoir de ce prince qui n'exprime plus que tristesse et remords. Condamné à danser jusqu'à mourir d'épuisement, il est finalement sauvé grâce à l'intercession de Giselle. L'on regrettera que la fameuse série de 32 entrechats-six, morceau de bravoure technique du second acte, soit escamotée mais ce n'est finalement qu'un point de détail qui ne nuit en rien à la qualité de l'interprétation.
Crédits photographiques : © Yonathan Kellerman/ONP
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Paris. Opéra Garnier. 4-II-2020. Giselle. Ballet en deux actes. Musique : Adolphe Adam. Livret : Théophile Gautier, Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges. Chorégraphie : Jean Coralli, Jules Perrot (1841). Transmise par Marius Petipa (1887), adaptée par Patrice Bart, Eugène Polyakov (1991). Décors : Alexandre Benois, réalisés par Silvano Mattei. Costumes : Alexandre Benois, réalisés par Claudie Gastine. Orchestre Pasdeloup, Direction musicale : Koen Kessels. Avec Giselle : Dorothée Gilbert, Albrecht : Mathieu Ganio, Hilarion : Audric Bezard, Myrtha : Valentine Colasante. Pas de deux des paysans : Francesco Mura et Marine Ganio ; deux Wilis : Eléonore Guérineau, Marine Ganio. Et le corps de ballet de l’Opéra national de Paris.