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Paris. Opéra Bastille. 25-X-2019. Giuseppe Verdi (1813-1901) : Don Carlo, opéra en cinq actes sur un livret de Joseph Méry et Camille du Locle d’après « Don Karlos, Infant von Spanien » de Friedrich von Schiller. Mise en scène : Krzysztof Warlikowski. Décors et costumes : Małgorzata Szczęśniak. Lumières : Felice Ross. Vidéo : Denis Guéguin. Avec : René Pape, Philippe II ; Roberto Alagna et Sergio Escobar, Don Carlo ; Étienne Dupuis, Rodrigue ; Vitalij Kowaljow, le grand inquisiteur ; Aleksandra Kurzak, Elisabeth de Valois ; Anita Rachvelishvili, La Princesse Eboli ; Sava Vemic, un moine ; Eve-Maud Hubeaux, Thibault ; Julien Dran, le Comte de Lerme ; Tamara Banjesevic, Une voix d’en haut. Chœur de l’Opéra national de Paris (chef de chœur : José Luis Basso). Orchestre de l’Opéra national de Paris, direction : Fabio Luisi
Deux ans après les remarquables représentations du Don Carlos français qui réunissaient le gratin mondial du chant, l'Opéra de Paris propose la version italienne du chef-d'œuvre de Verdi, avec une distribution non moins alléchante, mais…
…malheureusement grippé, Roberto Alagna, celui que tout le monde venait retrouver dans le rôle emblématique de sa carrière a dû déclarer forfait à la fin de la première partie, laissant la place à Sergio Escobar dont la tâche a été rude. Mais pouvait-on par ailleurs trouver des raisons de se réjouir ?
La fosse est sublime en ce soir de première. La superbe direction de Fabio Luisi laisse entendre qu'on peut jouer Verdi sans écraser le plateau par des décibels, que l'on peut se préoccuper d'esthétique sans oublier le théâtre, le drame et la cohérence. Nous entendons ce soir des motifs rarement mis en exergue avec cette transparence et cette limpidité. Des sonorités inouïes, une élégance du phrasé, un rubato utilisé à bon escient. Tout concourait à l'aboutissement d'un grand Don Carlo. Sans compter le merveilleux chœur dirigé par José Luis Basso qui oscille entre une délicate résignation et une puissance qui subjugue à l'acte IV durant toute la scène de l'autodafé. Oui, franchement, le mélomane pouvait être au moins satisfait de ce côté-là.
Que dire ensuite de la déflagration proposée par la princesse Eboli autoritaire, perverse, joueuse et impérieuse d'Anita Rachvelishvili ? La mezzo possède déjà une voix à l'ambitus très large et ses graves sont naturellement sonores. Quand elle se pique de poitriner un peu plus pour l'air du voile, on peut être dérouté par cet histrionisme dont elle est peu coutumière (on pourrait s'amuser à l'imaginer dans le rôle du grand inquisiteur ?) mais on peut aussi accepter le plaisir indicible d'une pareille prestation qui scotche littéralement au fauteuil. D'autant qu'elle ne laisse jamais de côté sa technique infaillible et une musicalité délicate qui lui permettent de moduler à l'envi un « O Don fatale » époustouflant de séduction et de regrets qui déclenche une ovation méritée du public.
Le Posa d'Étienne Dupuis touche lui aussi les sommets grâce à un timbre séduisant et une bonne projection mais surtout un legato parfait, des nuances et un style impeccables. Il en ressort une grand engagement dans ses confrontations avec Philippe II et une grande émotion au IV dans un « Io morro » renversant.
René Pape connaît bien le rôle du roi autoritaire et seul. Il est peut-être ce soir celui qui se fond le mieux dans le dispositif du metteur en scène. Il incarne admirablement la grandeur décadente, la solitude, les violences de cet homme acculé face à un monde qui lui est de plus en plus hostile. Si la confrontation avec Posa au II est sidérante d'engagement et que la voix est toujours aussi séduisante, force est de reconnaître que le « Ella giammai m'amo » est vocalement raté. La basse voit sa ligne de chant se dérober à plusieurs reprises et compense cette défaillance par des attaques appuyées et une sincérité désarmante qui sauvent la mise mais ne peuvent suffire à assumer cet air déchirant – sans doute l'un des plus beaux que Verdi ait écrits – qui exige puissance, legato et intériorité pour bouleverser. La confrontation avec le grand inquisiteur n'exige pas les mêmes qualités et René Pape reprend un peu de pouvoir face à un Vitalij Kowaljow dont le timbre apparaît trop clair et trop dépourvu de graves pour en imposer et terrifier un roi.
Autour de ces personnages, il est à noter une quantité de seconds rôles tous impeccables, notamment l'impressionnant moine de Sava Vemić, glaçant et magnifiquement projeté, et le très beau Tebaldo d'Ève-Maud Hubeaux.
Très grande Desdémone en début d'année, Aleksandra Kurzak poursuit son évolution vocale et relève aujourd'hui le défi que représente le rôle d'Elisabeth. Face à ce rôle plus lourd que ceux qu'elle interprète habituellement, la soprano se retrouve régulièrement hors de sa zone de confort mais sa sincérité et son engagement désarment souvent. Il faut dire qu'elle bénéficie d'une technique belcantiste à toute épreuve et que son intelligence musicale permet de pallier ses difficultés, notamment dans le « Tu che la vanita » plus léger qu'à l'accoutumée mais avec des aigus et des sons filés somptueux et des graves suffisamment affirmés. Pour le reste, la soprano parsème sa prestation de nuances et de demi-teintes bienvenues qui donnent du corps à son incarnation, toujours émouvante.
Roberto Alagna aurait dû être son Carlo, mais le rhume en aura décidé autrement. Pourtant, malgré quelques menus signes de gêne vocale, la première partie est franchement bien assurée. La voix est homogène, avec un medium bien affirmé et des aigus francs et le « Foresta immensa » au legato à tomber, au souffle infini pouvait être rassurant. Le duo avec Posa remarquable de précision et le sublime « Io vengo domandar grazia alla mia regina », en parfaite symbiose avec Aleksandra Kurzak nous laissait augurer une grande soirée. Mais voilà, c'est Sergio Escobar qui se retrouve avec la lourde tâche de le remplacer à partir de l'acte III. La voix peu chauffée et le trac qui a dû immanquablement le saisir expliquent sans doute que le III ne fut pas loin d'être une catastrophe annoncée. Pourtant, après le second entracte, le ténor retrouve un peu de sérénité et d'assurance et assume la suite de la représentation avec un certain panache.
Du peu que l'on en a vu, Roberto Alagna ne semble pas très à l'aise dans l'univers de Krzysztof Warlikowski. On ne reviendra pas sur les défauts (absence de lisibilité de l'acte I fourre-tout et incompréhensible, utilisation de la vidéo superfétatoire) et les qualités du travail du metteur en scène (introduction de la scène d'autodafé très réussie, travail fouillé sur les personnages et superbe direction d'acteurs), mais il y a fort à parier que cette proposition ne semble pas avoir trouvé son public, comme en témoigne les nombreuses places libres malgré une distribution qui ferait habituellement salle comble.
Crédits photographiques : © Vincent Pontet / Opéra National de Paris
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Paris. Opéra Bastille. 25-X-2019. Giuseppe Verdi (1813-1901) : Don Carlo, opéra en cinq actes sur un livret de Joseph Méry et Camille du Locle d’après « Don Karlos, Infant von Spanien » de Friedrich von Schiller. Mise en scène : Krzysztof Warlikowski. Décors et costumes : Małgorzata Szczęśniak. Lumières : Felice Ross. Vidéo : Denis Guéguin. Avec : René Pape, Philippe II ; Roberto Alagna et Sergio Escobar, Don Carlo ; Étienne Dupuis, Rodrigue ; Vitalij Kowaljow, le grand inquisiteur ; Aleksandra Kurzak, Elisabeth de Valois ; Anita Rachvelishvili, La Princesse Eboli ; Sava Vemic, un moine ; Eve-Maud Hubeaux, Thibault ; Julien Dran, le Comte de Lerme ; Tamara Banjesevic, Une voix d’en haut. Chœur de l’Opéra national de Paris (chef de chœur : José Luis Basso). Orchestre de l’Opéra national de Paris, direction : Fabio Luisi
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