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Bâle. Theater Basel. 20-X-2019. Gioachino Rossini (1792-1868) : Il Barbiere di Siviglia, comédie en deux actes sur un livret de Cesare Sterbini, d’après Beaumarchais. Mise en scène, décors et costumes : Kirill Serebrennikov. Lumières : Diego Letz. Avec : Alasdair Kent : le Comte Almaviva ; Vasilisa Berzhanskaya: Rosina ; Gurgen Baveyan : Figaro ; Andrew Murphy : Bartolo ; Antoin Herrera-Lopez Kessel: Basilio ; Kali Hardwick: Berta ; Dmytro Kalmuchyn : Fiorello. Chœur du Theater Basel (chef de chœur : Michael Clark), Sinfonieorchester Basel, direction : David Parry
Si Kirill Serebrennikov n'est toujours pas autorisé à quitter le territoire russe, sa première mise en scène lyrique voyage quant à elle en toute liberté de Berlin (où elle fut créée au Komische Oper en 2016) à Bâle.
Faire rire n'est pas la mince affaire que l'on sait et ce n'est pas le moindre mérite du metteur en scène russe que de le faire sans baisse de tension au fil d'une lecture qui ne craint pas l'affleurement de l'ombre dans cette œuvre riante, généralement montée hors de toute turbulence sémantique. « Je mets en scène des spectacles sur l'homme d'aujourd'hui, sur la manière dont on le manipule au XXIᵉ siècle, sur les choix auxquels il est confronté ». Carte de visite idéale de cette profession de foi, le Barbier de Srebrennikov plonge le spectateur dans l'enfer des moyens de communication des échanges humains de notre temps: TV, portables, sms, réseaux sociaux, selfies… Le tournis redouté – surtout pour le spectateur francophone sommé de naviguer entre l'italien du livret, les sur-titres allemands et anglais, mais aussi entre les échanges de sms des personnages (même le barbon Bartolo est connecté) qui s'affichent sur les murs du décor – n'aura pas lieu. Le public, enchanté, se connecte très vite à ce Barbier connecté, mis en scène avec une précision diabolique. Un spectacle qui prouve, à l'instar de la Traviata de Simon Stone, qu'il est du propre des chefs-d'œuvre de s'adapter sans dommages à toutes les époques.
Caché derrière un mur Facebook (f comme Figaro, à la grande hilarité de l'assistance), l'intérieur de la maison de Bartolo (deux ingénieuses parois immaculées et modulables, avec leurs montées et leurs descentes d'escaliers inversés) n'occupe que le tiers central de la scène prolongée en revanche à l'avant par une terrasse qui entoure la fosse d'orchestre. Serebrennikov joue avec tout : les instrumentistes (en tenue de ville au I, de concert au II) que la fosse ingurgite ou régurgite au gré de l'action, le chef, la lumière, et bien sûr, les chanteurs. Autour du vieux briscard Andrew Murphy, parfait en Bartolo antiquaire dépassé par les événements, et de la Berta hilarante et vieillie de Kali Hardwick, croquée en bibendum perclus de rhumatismes sous ses bas de contention, Bâle a réuni le Fiorello élégant de Dmytro Kalmuchyn, la jeunesse déchaîné du Lindoro décomplexé d'Alasdair Kent, du Figaro roué et joueur de Gurgen Baveyan, la Rosina spectaculaire, du grave à l'aigu, de Vasilisa Berzhanskaya (très à l'aise avec le jeu millimétré imposé à son Una voce poco fa). L'évolution que subit Almaviva (adolescent égocentrique en jean et en rut à l'ouverture, adulte arrogant en smoking au finale) dit combien Serebrennikov, as de la direction d'acteurs, n'est pas seulement un grand réalisateur de films (son Leto a failli rafler la Palme d'or en 2018).
Les œuvres de Srebrennikov, ne craignant pas d'aborder la politique, la religion ou la sexualité, sont régulièrement critiquées par les militants orthodoxes ou les autorités de son pays. Son Barbier déborde de toutes ces préoccupations : la croix sous cloche amoureusement choyée par Berta, le trio des doubles lubriques de Figaro, lui-même doublant Alonso travesti en Conchita Wurst pour la leçon de chant, la manipulation médiatique des migrants, l'intégrisme religieux (les livres sont les premières victimes du chaos créé par le faux militaire), le désir du mariage à tout prix (l'enfilage au forceps d'une robe de mariée sur la scène de l'orage). Ce Barbier, qui fait rimer rire avec réfléchir, ose même deux finales inquiétants. Celui du I remplace les traditionnels miliaires par d'étranges figures oniriques nées de l'implosion du cerveau de Bartolo . Celui du II voit Figaro, amer d'avoir été mis à l'écart par le service d'ordre de ceux-là même qu'il a réunis, amené à se venger en cassant le traditionnel happy end.
Le Sinfonieorchester Basel parfaitement tenu par David Parry (malgré une tendance à couvrir les forte du Basilio d'Antoin Herrera-Lopez Kessel) se prête à toutes les facéties (arrêt subit, redémarrage, intrusion d'une guitare électrique pour la Sérénade d'Almaviva, et même d'un orgue de barbarie !) d'un spectacle qui n'aurait pu être monté sans l'apport des technologies de communication de ses héros, puisque Serebrennikov, malgré la levée en avril 2019 de son assignation à résidence à Moscou, a dû procéder à distance, à coups d'écrans et de clés USB !
Crédits photographiques : © Priska Ketterer
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Bâle. Theater Basel. 20-X-2019. Gioachino Rossini (1792-1868) : Il Barbiere di Siviglia, comédie en deux actes sur un livret de Cesare Sterbini, d’après Beaumarchais. Mise en scène, décors et costumes : Kirill Serebrennikov. Lumières : Diego Letz. Avec : Alasdair Kent : le Comte Almaviva ; Vasilisa Berzhanskaya: Rosina ; Gurgen Baveyan : Figaro ; Andrew Murphy : Bartolo ; Antoin Herrera-Lopez Kessel: Basilio ; Kali Hardwick: Berta ; Dmytro Kalmuchyn : Fiorello. Chœur du Theater Basel (chef de chœur : Michael Clark), Sinfonieorchester Basel, direction : David Parry