Le Freischütz dématérialisé de Clément Debailleul, Raphaël Navarro et Laurence Equilbey
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Luxembourg. Grand-Théâtre. 8-X-2019. Carl Maria von Weber (1786-1826) : Der Freischütz, opéra romantique en trois actes sur un livret de Johann Friedrich Kind. Mise en scène et scénographie : Clément Debailleul et Raphaël Navarro (Cie 14:20). Costumes : Siegrid Petit-Imbert. Lumières : Elsa Revol. Chorégraphie : Aragorn Boulanger. Avec : Tuomas Katajala, Max ; Johanni van Oostrum, Agathe ; Chiara Skerath, Ännchen ; Vladimir Baykov, Kaspar ; Christian Immler, L’Ermite / La voix de Samiel ; Thorsten Grümbel, Kuno ; Anas Séguin, Kilian ; Daniel Schmutzhard, Ottokar ; Clément Dazin, Samiel. Chœur Accentus et Insula orchestra, direction : Laurence Equilbey
Séduisante proposition pour le chef d'œuvre du romantisme allemand. Mise en scène de Clément Debailleul, scénographie de Raphaël Navarro et direction d'orchestre de Laurence Equilbey s'accordent pour épurer le chef-d'œuvre de Carl Maria von Weber.
La note d'intention de la mise en scène annonce le souhait de « faire le lien avec le thème de l'écologie, de la dégradation de l'environnement et la question de la déforestation ». Soit ! Ce projet a priori plutôt étrange explique les longues captations vidéo projetant sur écran géant un certain nombre de vues de la nature, lesquelles pourraient en effet évoquer d'assez loin l'univers dans lequel est censé se dérouler l'action du chef-d'œuvre lyrique de Weber, fer de lance du romantisme allemand. On retiendra surtout, d'une réalisation parfaitement convaincante en termes de choix plastiques et de cohérence esthétique, la volonté louable de débarrasser le Freischütz de tout le kitsch folklorique qui, de proposition en proposition, encombre inutilement le plateau. Aucun objet, aucun accessoire pour ce dispositif unique qui repose sur la présence de vidéos, d'hologrammes, d'ombres chinoises, de multiples effets visuels et jeux d'optiques destinés à créer pour cet ouvrage surnaturel et fantastique un véritable climat d'apesanteur. Ce sont ainsi les lumières qui structurent et meublent le plateau, créant des images d'une rare poésie dont la beauté stupéfiante risque de hanter un moment la conscience des spectateurs. Les célèbres balles de fusil sont ainsi figurées par des boules lumineuses fluorescentes qui virevoltent dans les airs, les corps de certains chanteurs articulés à l'aide de différents filins se mettent de temps à autres en lévitation au mépris des lois de la gravitation.
Le dernier tableau, qui restructure l'espace par un simple jeu de vagues et de voiles, interroge le spectateur sur le sens à donner au dénouement de l'opéra. Mariage, pas mariage, cela importe-t-il vraiment ? L'humour n'est pas absent non plus de cette proposition, et l'on apprécie le léger second degré rattaché au tableau décroché du deuxième acte : le portrait de l'ancêtre de Kuno semble d'ailleurs s'amuser des préoccupations sentimentales de ses deux jeunes descendantes. Dans cette ambiance magique et onirique, non dénuée de quelque ironie, évolue tout au long du spectacle le danseur et artiste de cirque Clément Dazin, censé interpréter le démon Samiel auquel il donne un aspect léger et sautillant qui enlève à l'ouvrage une partie de sa noirceur. Les costumes neutres et intemporels participent de cette volonté sortir l'ouvrage du contexte particulièrement marqué dont il est issu.
Un des principaux mérites de cette production consiste en l'accord total qui règne entre le plateau et la fosse. De toute évidence Laurence Equilbey et ses troupes partagent le même souci d'alléger l'ouvrage de Weber. Confiée aux instruments d'époque de l'ensemble Insula Orchestra, la partition livre au public ses secrets d'orchestration les plus intimes. Rarement on aura entendu les instruments avec autant d'acuité (le violoncelle du deuxième air d'Agathe, par exemple). La précision, la netteté d'articulation, les trésors de justesse du chœur Accentus ne sont plus à rappeler, et tous ces mérites contribuent à faire du chœur de l'opéra le personnage principal. Que cette remarque ne soit pas prise comme un désaveu des solistes, qui tous contribuent à faire de cette soirée un moment musical exceptionnel. On aura ainsi eu le plaisir de découvrir la soprano sud-africaine Johanni van Oostrum, très belle Agathe dont la jeune chanteuse a à la fois la ligne mozartienne et la vaillance wagnérienne. Elle est ainsi parfaitement assortie au Max du Finlandais Tuomas Katajala, ténor à la voix souple et joliment timbrée et qui pourrait lui aussi évoluer très bientôt vers des emplois plus lourds. Loin d'être la soubrette qu'on montre parfois, Ännchen se présente comme la digne cousine, et non la servante, d'Agathe. Chiara Skerath possède toutes les qualités attendues de ce personnage, autant pour la légèreté de la vocalise que pour la capacité à créer le climat à la fois comique et anxiogène de son air du troisième acte. Si le baryton russe Vladimir Baykov reste quelque peu en retrait en Kaspar, ses collègues Daniel Schmutzhard et Christian Immler font regretter que leurs rôles respectifs, limités à une courte apparition au troisième acte, soient si courts. Les belles prestations de Thorsten Grümbel en Kuno et d'Anas Séguin en Kilian complètent un plateau pour lequel on ne voit aucun maillon faible.
Déjà donnée à Caen, cette coproduction sera vue prochainement à Rouen, à Ludwigsburg et à Paris au Théâtre des Champs-Élysées. Qu'on se le dise !
Crédit photographique : © Julien Benhamou
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Luxembourg. Grand-Théâtre. 8-X-2019. Carl Maria von Weber (1786-1826) : Der Freischütz, opéra romantique en trois actes sur un livret de Johann Friedrich Kind. Mise en scène et scénographie : Clément Debailleul et Raphaël Navarro (Cie 14:20). Costumes : Siegrid Petit-Imbert. Lumières : Elsa Revol. Chorégraphie : Aragorn Boulanger. Avec : Tuomas Katajala, Max ; Johanni van Oostrum, Agathe ; Chiara Skerath, Ännchen ; Vladimir Baykov, Kaspar ; Christian Immler, L’Ermite / La voix de Samiel ; Thorsten Grümbel, Kuno ; Anas Séguin, Kilian ; Daniel Schmutzhard, Ottokar ; Clément Dazin, Samiel. Chœur Accentus et Insula orchestra, direction : Laurence Equilbey