Les interprètes de Voix Nouvelles à Royaumont
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Abbaye de Royaumont. Festival de Royaumont.
7-IX-2019. Réfectoire des moines. Œuvres de William Byrd (1539-1623), Giovanni Pierluigi da Palestrina (c. 1525-1594), Henry Purcell (1659-1695), Jonathan Harvey (1939-2012), Jack Sheen (né en 1993 – Création mondiale). Ensemble vocal Les Métaboles, direction : Léo Warynski
8-IX-2019. Grand comble. Œuvres de Maurice Ravel (1875-1937), Marco Stroppa (né en 1959), Alex Nante (né en 1992), Luciano Berio (1925-2003), Arthur Honegger (1892-1955), Franck Bedrossian (né en 1971). Maroussia Gentet, piano
8-IX-2019. Salle des Charpentes. Œuvres de Mark Barden (né en 1980), Marisol Jimenez, Nuno Costa (né en 1986- Création mondiale), George Lewis (né en 1952). Quatuor Mivos : Olivia de Prato, Maya Bennardo, violons ; Victor Lowrie Tafoya, alto ; Tyler J.Borden, violoncelle
Sur le terrain durant une semaine avec les jeunes compositeurs de l'Académie Voix Nouvelles, l'ensemble vocal Les Métaboles et le Quatuor Mivos sont également en concert durant le festival. Le piano, toujours à l'honneur à Royaumont, sonne quant à lui sous les doigts de Maroussia Gentet.
Léo Warynski et Les Métaboles ont choisi de faire dialoguer les œuvres du passé avec celles du présent, dans un concert qui amorce leur résidence de trois ans à la Fondation Royaumont. Le programme est ambitieux, convoquant les instances sacrées, avec Byrd, Palestrina, Purcell et la musique chorale du Britannique Jonathan Harvey. L'Ave verum de William Byrd donne le ton, dans la perfection du contrepoint renaissant et le temps circulaire propice à la contemplation, qu'aucune pièce de la soirée ne viendra vraiment perturber. Même si s'exprime, à travers les pages chorales d'Harvey, une ferveur que nous communiquent ce soir Les Métaboles : dans Plain Songs for Peace and Light notamment, où le compositeur, habité d'une pensée électronique, écrit la ligne vocale et sa réverbération dans l'espace. L'aura résonnante des voix de femmes et le raffinement des textures obtenues au sein des pupitres nous enchantent. Come Holy Ghost, invoquant le feu céleste, est une des pièces les plus étonnantes, débutant par l'intonation grégorienne et laissant apprécier la couleur et la flexibilité des voix de l'ensemble, dans une écriture qui se complexifie sans perdre sa transparence. En latin cette fois, le Stabat Mater pour double chœur de Palestrina, entendu dans la plénitude des voix, nous impressionne, par l'impeccable prononciation du texte et le rythme fluide que lui confère Léo Warynski, sensible à toutes les variations de l'écriture. Non moins fluide est le passage de Purcell (Remember not, Lord, our offenses) à Harvey (Remember, O Lord), les deux pièces s'originant sur la même intonation. La création mondiale de Jack Sheen, autre lauréat de Voix Nouvelles 2018 ayant bénéficié d'une commande, est donnée juste avant. Fitzgerald pirouette pour chœur spatialisé est une pièce subtile et sensible, invitant à une écoute immersive au sein d'un temps long où, imperceptiblement, les choses se transforment. Au mitan de l'œuvre, une source sonore extérieure (provenant des smartphones des chanteurs) modifie sensiblement le paysage sonore sans l'affecter profondément. Léo Warynski veille aux dosages et à l'équilibre des forces, dans une interprétation remarquable, laissant advenir le mystère et la profondeur. En bis, et dans un élan plus spontané encore, le chœur rechante, Remember O Lord et The Angels pour double chœur, deux bijoux de Harvey aux contours ciselés et magnifiés ce soir par l'excellence vocale des Métaboles.
« Il est considéré comme l'un des ensembles de musique contemporaine les plus audacieux et les plus acharnés » lit-on dans le programme de salle, à propos du quatuor états-unien Mivos. De fait, le programme de leur concert, donné dans la Salle des charpentes, est sans concession, conçu dans l'univers exclusivement bruiteux de la saturation où ils sont engagés et performants. Nocturne de Mark Barden en témoigne, dont le geste violent et les allures répétitives d'une musique « à écouter avec le corps » ne laissent pas indifférent. Sed de Arcano de la Mexicaine Marisol Jimenez ne démérite pas, générant un matériau percussif et bruité sous les archets très agités des quatre partenaires. Des plages plus silencieuses et suspensives viennent compenser l'excès de jeu qu'engendre le phénomène saturé. Sans doute écrite à l'intention des Mivos, Lustralis du Portugais Nuno Costa est la troisième commande de la Fondation Royaumont passée aux lauréats de Voix Nouvelles 2018, avec le soutien de Christine Jolivet. Les cordes sont préparées (des pinces sur certaines d'entre elles) dans une pièce au matériau saturé (bruit blanc, cassures, crissement, gestes percussifs) s'articulant autour de longues plages silencieuses qui en confèrent tout le mystère. De George Lewis, une des personnalités les plus en vue du monde de la musique new-yorkaise, Playing with seeds, qui referme le concert, est la pièce la plus développée, la plus « académique » également. Inscrite au répertoire des Mivos qui en livrent toutes les facettes, la pièce déploie une virtuosité hors norme, suscitant la frénésie des cordes et une trajectoire accidentée, pleine d'imprévus et de trouvailles sonores.
Dans l'espace du Grand comble, Maroussia Gentet est seule à son piano, dans un programme où elle a croisé la musique de Ravel (les cinq numéros de Miroirs) avec celle d'aujourd'hui, les trois pièces d'Honegger dédiées à Ravel en sus. Le programme est long et l'exercice difficile, un vrai défi pour la jeune pianiste, lauréate, rappelons-le, du Concours International de Piano d'Orléans 2018.
Parmi les cinq « images » de Miroirs, interprétées non sans talent par Maroussia Gentet, c'est Une barque sur l'océan qui suscite davantage l'intérêt de l'écoute, avec cette transparence dans le flux et la brillance du jeu instaurant tout à la fois le juste mouvement et l'espace que découvre l'écriture. Si la pianiste impressionne dans Tangata Manu extrait des Miniature Estrose de Marco Stroppa, une pièce redoutable qui confirme ses capacités virtuoses, on la sent plus en phase avec l'univers d'Alex Nante où la puissance du jeu et l'envergure sonore sont mises au service de l'expressivité. La mise en vibration de tout l'instrument à la fin d'Invocation du jeune Argentin est un des plus beaux moments du concert ; à l'instar des Trois pièces d'Honegger, trois miniatures au charme antiquisant (Ravel oblige) de la plus belle facture, dont Maroussia Genet cerne très poétiquement les contours. Puis elle enfile ses mitaines noires pour la pièce de Franck Bedrossian, qui nécessite par ailleurs une préparation du clavier : feuille d'aluminium, touches bloquées, vibreur et autres accessoires que la pianiste intègre dans les cordes sous l'œil intrigué du public. Elle s'est également protégé l'avant-bras en cas de clusters ou glissades intempestives. Dans Pour les corps électriques, le compositeur ès saturation met à l'œuvre une transformation du son en temps réel sans le recours de l'électronique. L'œuvre est sidérante, démultipliant les capacités résonnantes du piano et son potentiel de jeu, de couleurs et d'espace, via une écriture complexe, hautement chargée en énergie et assumée avec un bel engagement par notre pianiste tout terrain.
Crédits photographiques : Les Métaboles © Fondation Royaumont ; Maroussia Gentet © Lorene Soyer
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