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D'origine australienne, Nicole Car partage maintenant ses engagements entre son pays d'origine et les plus grandes salles d'Europe et des États-Unis. Récemment Elvira à l'Opéra de Paris après avoir été cette même saison Micaëla, ainsi que Marguerite et Violetta pour l'Opéra de Marseille, elle évoque avec nous son parcours et les rôles qui la font vibrer.
« Je fais toujours des prises de rôles dans des maisons dans lesquelles je suis en sécurité. »
ResMusica : Vous avez débuté dans un grand rôle il y a dix ans avec Donna Anna dans Don Giovanni de Mozart, puis vous êtes passée à Elvira, repris récemment à l'Opéra de Paris.
Nicole Car : Donna Anna était en effet mon premier rôle professionnel, en 2009 à Melbourne. Puis je l'ai repris dans trois productions différentes, mais à chaque fois, je lorgnais sur celui d'Elvira. Entre Elvira, Don Giovanni et Leporello, il y a beaucoup de jeu, là où la musique de Donna Anna est plus une musique de Prima Donna. Le grand air est superbe, mais je préfère jouer des personnages forts, qui ont une vraie raison d'être.
Elvira veut sauver les femmes en même temps que par certains côtés Don Giovanni lui-même. C'est ce qu'a maintenu, pour cette fois dans une vision assez traditionnelle, Ivo van Hove à l'Opéra de Paris. Il a pensé que les trois femmes sont plus fortes que Don Giovanni, en plus d'avoir véritablement travaillé la direction d'acteur.
RM : Vous étiez aussi à deux reprises la saison passée à Marseille pour Faust et La Traviata ?
NC : J'ai en effet débuté cette saison à l'Opéra de Marseille, avec Violetta, rôle pris juste avant à Sydney. Je fais toujours des prises de rôles dans des maisons dans lesquelles je suis en sécurité. J'aime donc beaucoup le faire en Australie, d'autant que la presse internationale n'y est pas très présente. On a alors plus d'assurance et l'on se permet des choses sur lesquelles je douterais plus en commençant dans une salle d'Europe moins familière.
RM : Vous chantiez la saison précédente La Bohème en alternance avec Sonya Yoncheva, qui a annulé dès la deuxième représentation. Vous avez donc repris également ses dates. Comment s'est passé pour vous ce spectacle, dont la mise en scène a été fortement huée chaque soir ?
NC : Cela a été compliqué. J'ai appris lorsque je suis arrivée sur les répétitions que l'action allait être transposée dans un vaisseau spatial. En soi, je n'étais pas contre, mais j'ai voulu savoir ce que l'on faisait dans ce vaisseau. Le premier acte fonctionne, car on peut encore croire au rêve, mais dans le troisième et le quatrième, j'ai eu beaucoup de mal à trouver une humanité aux personnages définis comme ils l'étaient, sur une planète ou une lune incertaine. Au dernier acte, on est aussi dans la mort de Rodolfo plutôt que dans celle de Mimi, ce qui modifie complètement la manière de traiter le finale musicalement, et m'a beaucoup limité dans ce que je pouvais donner d'humain à mon rôle. Malgré tout, j'ai cherché à maintenir l'émotion de Mimi, qui pour moi était nécessaire, et le fait d'avoir joué juste avant dans la production très traditionnelle de Londres m'a permis de me raccrocher au rôle. Parce que si l'on pense être sur un vaisseau, ou derrière un rideau, on perd forcément une part de l'attachement à Mimi, et donc de l'émotion dans la voix.
RM : Cette mise en scène était particulièrement difficile pour une œuvre de toute façon très complexe à moderniser. Vous la mettez en regard avec celle très traditionnelle de Londres. Quel est votre rapport global à la mise en scène ?
NC : Cela dépend des ouvrages, des metteurs en scène et des rôles. J'aime globalement qu'on me laisse adapter le personnage, mais sur une mise en scène très précise et avec quelqu'un qui sait exactement ce qu'il veut, alors je m'adapte à son besoin, quitte à me retrouver plus serrée dans ma partie. Si chaque moment est calculé, cela donne parfois de très belles choses sur scène, mais on s'approprie forcément moins la femme, au risque de lui procurer moins d'émotion.
RM : En rapport à l'émotion à transmettre, quels genres de rôles recherchez-vous ?
NC : Je recherche les femmes relativement angéliques, mais avec un fort caractère. Si on les voit dans des productions traditionnelles, on pense que ce sont des femmes douces, qui laissent les hommes faire. Mais avec le traitement d'aujourd'hui, on se rend compte que ce sont des personnages avec un cœur fort, qui contrôlent aussi ce qui arrive. Luisa Miller par exemple, que je reprends l'an prochain, est une femme que j'aime particulièrement, à la fois troublée et en même temps maitresse de son destin.
RM : Comment choisissez-vous les rôles ?
NC : D'abord je regarde les saisons, vérifie que j'ai déjà Mozart dedans, déjà Verdi, déjà Puccini, et surtout, pas plus de deux prises de rôles par saison. Par exemple, la saison prochaine, je reprends Mimi, Fiordiligi, et une seule prise de rôle : Elisabetta, en plus de Thaïs en concert. Cela fait donc un bon mélange de répertoire, qui en plus maintient ma voix, et de nouveaux rôles que je pourrai porter dans les années à venir.
Pour l'aigu, je monte au contre-ré, mais il y a trois ans, je ne voulais plus prendre de rôle avec cette note, au cas où je la perdrais, notamment après mon premier enfant. Ma voix n'a pas changé tout de suite, mais plus dans les six à huit derniers mois que dans les trois dernières années ! Donc je me sens vraiment prête aujourd'hui pour Elisabetta, qui est un rôle lourd, pour lequel j'ai encore tout à fait la partie aigüe, alors que j'aurais eu peur si j'avais pris un rôle beaucoup plus léger à cette même période. A l'inverse, j'ai entendu beaucoup de sopranos commencer trop jeune ce type de rôle et ensuite ne pas pouvoir revenir en arrière, elles prennent le risque d'écourter leur carrière.
« J'espère et je pense que ma voix commence à aller dans une route tracée pour Verdi. »
RM : Vous avez donc un véritable plan à long terme ?
NC : Oui, absolument ! J'espère et je pense que ma voix commence à aller dans une route tracée pour Verdi. Comme cela, je peux faire chaque année, ou presque, une prise de rôle verdienne et je peux sentir comment mon corps répond. On peut aussi chercher à aller vers les grands rôles de Puccini, ou vers Strauss et Wagner, mais même si je souhaite toucher, ou touche déjà, à certains ouvrages de ces compositeurs, le plan est avant tout d'entrer dans ceux de Verdi, comme Amelia (Ballo in Maschera), Maria (Simon Boccanegra) ou Luisa Miller. Leonora (Il Trovatore) aussi dans quelques années. Et bien sûr en prenant ces rôles, on sait que l'on fait évoluer le timbre et la tessiture au risque de ne plus pouvoir chanter certains rôles plus légers que l'on a aimé porter, ou que l'on n'a jamais eu le temps de prendre. Il faut forcément choisir, et donc renoncer, notamment à tout le répertoire du Bel canto par exemple, que je n'ai jamais véritablement travaillé et que d'autres font tellement mieux que je ne l'aurais fait.
RM : Vous n'hésitez pas à évoquer les autres chanteuses et chanteurs, alors que beaucoup d'artistes écoutent très peu autour d'eux. Quel rapport avez vous avec les autres, notamment pour préparer un rôle ?
NC : Pour moi il est nécessaire d'écouter les autres. Lorsque je prépare un rôle, j'écoute au moins une quinzaine de versions différentes, notamment pour comprendre et trouver les meilleurs moments pour respirer. Toutes les anciennes chanteuses, qui ont eu de grandes carrières ont été coachées par les meilleurs, ont ensuite elles-mêmes formé les meilleures. Il serait donc particulièrement dommage de ne pas profiter de leur expérience pour apprendre de grandes choses.
Et puis cela donne aussi des clés quant aux émotions à faire passer à certains moments. Mais bien sûr il faut aller chercher des sopranos qui sont sur la même tessiture que moi. Par exemple, pour Traviata, les sopranos légers me font peur, car je ne peux pas aborder le rôle de cette façon. Alors je vais surtout écouter les lyriques, ce qui permet aussi de voir comment elles dépassent certains passages avec leurs moyens.
RM : Vous chantez autant en russe qu'en italien ou en français, la langue d'un opéra est-elle un sujet pour vous ?
NC : Évidemment, il est toujours mieux de parler la langue de l'ouvrage que l'on chante. Mais je peux tenir un rôle même si je ne le parle pas, par exemple en tchèque ou en russe. La langue qui me fait le plus peur est finalement l'allemand, et pour l'instant je chante des lieder, mais n'ai encore jamais osé un opéra entier. Pourtant, je comprends très bien cette langue puisque j'ai travaillé à Munich et Dresde, où l'on parle presque exclusivement en allemand pendant les répétitions.
Pour l'opéra, il m'est nécessaire de comprendre chaque mot. Mais à partir du moment où j'ai un bon professeur et la traduction, je suis prête à chanter dans n'importe quelle langue. Évidemment, il est beaucoup plus long de retenir en phonétique et avant ma première Tatjana (Eugène Onéguine), j'ai travaillé douze mois. Sauf qu'aujourd'hui, si une maison n'a pas de Tatjana, je peux le chanter sans le réviser, alors qu'il y a des rôles dans des langues que je parle couramment que je serais incapable de reprendre sans les retravailler véritablement. Je vais maintenant travailler Peter Grimes, et c'est aussi un vrai plaisir de chanter en anglais.
RM : Vous abordez un opéra du XXe siècle. Que pensez-vous de la musique contemporaine ?
NC : J'aimerais beaucoup chanter dans un opéra contemporain ou une création, mais premièrement, il y a assez peu de productions dans une saison sur ce répertoire, et ensuite, certaines chanteuses en ont fait leur spécialité, donc je n'ai jamais ces demandes. Mais vous évoquiez précédemment Annette Dasch ou Ricarda Merbeth dans Lear de Reimann et c'est un opéra très intéressant ; il faut juste prendre du temps pour apprendre ces partitions souvent complexes.