Plus de détails
Est-ce qu'il existe un système audio capable de nous garantir un plaisir musical optimal ? Pour le savoir, nous nous focaliserons sur la relation entre notre perception individuelle et la qualité de l'équipement.
La musique est un univers sans limites, ayant le pouvoir de procurer du plaisir, donner des frissons et susciter de vives émotions. Le système nerveux reconnaît les émotions musicales immédiatement, aussi vite que le signal d'un danger.
Équipement audio de rêves
Il y a un rapport direct entre musique et émotion, mais pour qu'il se produise, nous avons besoin d'une bonne oreille et d'un équipement audio de qualité. Une chaîne hi-fi composée de multiples éléments est aussi solide que son maillon le plus faible, et l'abonnissement de ses composantes est un processus coûteux et qui n'apporte pas nécessairement des résultats tangibles.
Ainsi, quand on assemble des éléments disparates de sorte qu'ils s'harmonisent les uns avec les autres, il faut veiller aux moindres détails, et cela jusqu'au choix des câbles d'alimentation et des connecteurs. Si les premiers jouent sur l'étendue dynamique, les seconds limitent la perte des micro-informations du signal sonore entre le lecteur de disques et l'amplificateur.
À moins de s'en tenir au casque, nous devons penser également aux enceintes et à leur disposition. Et à l'acoustique de la pièce d'écoute ! Celle-ci exige des proportions très strictes, soit 1 : 1,6 : 2,33, où 1 correspond à la hauteur de la pièce. À cela s'ajoute la nécessité de l'aménagement de cette salle : les quatre coins doivent être arrondis, le sol revêtu de moquette, le plafond recouvert d'éléments cubiques de diverses dimensions, adjacents les uns aux autres. Dans une maison individuelle, il est utile de penser à installer un conducteur de mise à la terre (un fil de terre) séparé. Dans un immeuble, nous nous contenterons d'un système de conversion de l'énergie, utilisant un onduleur/redresseur visant à transformer le courant alternatif (CA) en courant continu (CC), puis, de nouveau en alternatif, d'une tension de 230 V (2 x 115 V) avec une fréquence de 50 Hz. C'est fondamental pour éliminer d'éventuelles fluctuations, susceptibles de perturber l'écoute, notamment en ce qui concerne la dynamique audio et l'ambiance de salle. On le voit, l'installation peut être minutieuse et complexe.
Vient la question délicate du lecteur, et particulièrement du convertisseur numérique-analogique, élément primordial de chaque système audio. Pour ceux qui disposent d'un budget moyen, la solution la plus satisfaisante est d'investir dans un bon convertisseur numérique-analogique externe, pour lequel le rapport qualité-prix est plus avantageux que pour un lecteur CD ou SACD « haut de gamme »[1]. Pour les formats SACD, DVD audio et Blu-ray audio, plus performants quant à la finesse de définition et au rendu des transitoires que le CD, il existe d'excellents lecteurs SACD, mais dont les prix sont élevés, alors qu'il n'y a pas de vrais lecteurs « haut de gamme » en DVD et Blu-ray audio[2]. À notre avis, le rendu sonore optimal est assuré d'abord par le soin du (re)mastering, et seulement ensuite par le type du support (CD, SACD etc.) et du codage (24 bits etc.).
La Musique d'abord
Un audiophile chevronné risque de tomber dans un cercle vicieux : à trop se focaliser sur l'amélioration de sa chaîne haute-fidélité et de sa salle d'écoute, il risque d'en finir par perdre sa liberté d'esprit pour écouter la musique. Un matériel de qualité est bienvenu, mais il ne devrait pas être une fin en soi.
Par ailleurs, en perfectionnant son installation audio, on tombe sur une difficulté supplémentaire insoupçonnée : un disque mal enregistré ne sonnera pas bien sur un bon matériel car celui-ci va en révéler les défauts. Pour les gravures dont la prise de son est cristalline, comme pour les débuts discographiques de Can Çakmur (BIS Records), la limpidité de l'enregistrement peut être entendue sur un équipement quelconque, même avec des haut-parleurs d'ordinateur, sous réserve qu'il s'agisse de musique composée pour un effectif d'interprètes restreint, par exemple pour un instrument soliste. Par contre, il sera problématique sur un système audio modeste d'apprécier la profondeur et la richesse en harmoniques de la pâte orchestrale dans les Symphonies de Brahms dirigées par Robin Ticciati (Linn), l'une des meilleures prises de son dont nous ayons pu nous délecter pour les captations d'ensembles symphoniques.
Pour ce qui est des anciennes gravures, numérisées à partir des sources analogiques, on apprécie la pureté des transferts à condition que ceux-ci ne soient pas étouffés par un filtrage excessif. Mais un remastering méticuleux ne garantit pas l'émotion musicale. Krystian Zimerman se rappelait s'être vu offrir, lors d'une tournée de concerts au Japon, des Préludes ou Études de Chopin nouvellement « remasterisés », dans une exécution d'Alfred Cortot. La séance d'écoute dans sa chambre d'hôtel fut pour lui une expérience décevante, qui lui a fait découvrir que la maîtrise technique de Cortot était loin d'être accomplie. À l'époque où ces gravures avaient été effectuées, ceci ne s'entendait pas. Dans cette perspective, on peut se poser la question de savoir si cela vaut la peine d'essayer de rendre tous les vieux enregistrements plus « parfaits » qu'ils ne l'étaient autrefois.
Si la musique est un canalisateur d'émotions et d'états d'âme, le système audio le plus simple est convenable pour nous faire réceptionner le message que les artistes veulent nous communiquer. Un jour, nous avons écouté une exécution rare du Concerto pour piano n° 1 en mi mineur op. 11 de Frédéric Chopin par Arthur Rubinstein par l'intermédiaire d'un combiné téléphonique, ce qui ne nous a pas empêché de nous extasier sur son concept d'interprétation et d'éprouver la puissance émotionnelle émanant de son jeu.
Si la musique nous rend heureux, écoutons-la sur le meilleur équipement que nous sommes en mesure d'acheter (choisissons-le rationnellement !), mais n'ayons pas de regrets quant au fait que la qualité sonore pourrait être encore plus captivante. Car c'est un effort sans fin. Avant toute chose, réjouissons-nous de la beauté que nous apportent ceux qui font de la musique.
[1] Chaque convertisseur est muni d'un processeur dont le but est d'extraire du signal numérique le maximum d'informations afin de les convertir en signal analogique. Plus le convertisseur est performant, mieux il restitue ces micro-informations gravées sur le disque, ce qui nous fera entendre, en conséquence, un son plus riche en harmoniques.
[2] Pour les formats SACD, DVD audio et Blu-ray audio, le son est échantillonné sur 24 bits à 96 kHz. N'oublions pas, cependant, que l'échantillonnage sur 16 bits à 44,1 kHz (les convertisseurs externes se branchent via les sorties coaxiale ou optique qui ne transmettent pas de plus hautes fréquences d'échantillonnage) est bien adapté du point de vue des limites de nos possibilités perceptives. La mauvaise qualité sonore vient d'habitude de l'inefficacité du convertisseur.
Qui a chez lui une pièce au plafond acoustiquement préparé, aux angles arrondis, au sol couvert d’une moquette spéciale et aux proportions recommandées par les spécialistes de l’audiophilie ? Comment est-ce que ce pauvre hère pourra-t-il encore écouter la musique qu’il aime, l’interprète qu’il chérit sans adhérer à ce qui apparaît comme l’avancée de la caste des audiophiles ?
Il se trouve qu’avant de sévir comme critique musical, pendant presque trente ans (jusqu’en 2001), je possédais un magasin de « haute-fidélité » (comme on disait). Pour avoir vécu ces années, je me suis fait une raison (plus qu’une philosophie ou des certitudes) sur le vaste problème de l’écoute de la musique. Alors déjà, il y avait des revues spécialisées qui vantaient l’amplificateur du mois au détriment de celui du mois d’avant. Cela a généré une société de connaisseurs, souvent improvisés: les “audiophiles”. Nous les surnommions les “Attila’s” parce que derrière eux les vendeurs de hifi ne
repoussaient plus ! Leur approche purement analytique et technique de la musique était insupportable. Surtout parce que c’étaient des gens qui n’avaient pas les connaissances techniques pour juger. Ils écoutaient les « rapports signal sur bruit », les « watts », les « bandes passantes » mais rarement la musique. Pour avoir visité plusieurs salons de la hifi, comme c’était la chose à faire à cette époque, les rencontrer écoutant des chaînes hifi qu’ils n’auraient jamais eus les moyens de s’offrir, était une expérience désolante. Ensuite, ils débarquaient avec des enregistrements « Pressage direct », des disques bien enregistrés ne tenant aucun compte de la musique qu’elle diffusait. (A la période du disco, comment juger une installation hifi avec la bande sonore de « Saturday Night Fever » par rapport à une sonate de Beethoven enregistrée par le célébrissime preneur de son de DGG, Günter Hermanns ?)
Dans mon magasin, je fuyais (ou plutôt faisait fuir) les »audiophiles » pour favoriser les « mélomanes ». Ainsi naquirent des polémiques incroyables avec pour résultat la disparition des magasins de haute-fidélité pour laisser place à ces quelques échoppes de « très haute-fidélité » avec des vendeurs qui s’autoproclament avec prétention comme « l’une des sept meilleures oreilles de France ». (J’en ai connu une à Annemasse !!!!)
Alors, de grâce, ne rallumez pas la polémique. Si comme disait Pierre Dac : « Pour la marche, le plus beau des chapeaux du monde ne vaut pas une bonne paire de chaussures », la plus belle chaine de haute-fidélité ne vaudra jamais la salle de concert ! Le disque (et ses manipulations faites à l’enregistrement) ne vaudra jamais l’écoute en direct.
En définitive, aujourd’hui, à l’époque des podcast, des clés USB, du virtuel, comment promouvoir la « bonne écoute » ? Et partant, sait-on dans quelles conditions l’artiste a-t-il été enregistré ? Depuis que dans l’enregistrement de « Tristan und Isolde » de juin 1952, les aigus de l’Isolde de Mme. Kirsten Flagstad ont été chantés par Elisabeth Schwarzkopf et que les enregistrements de Glenn Gould continuent de faire l’objet de polémiques en raison des nombreuses retouches et reprises faites après les premières exécutions, peut-on raisonnablement penser qu’aujourd’hui, le produit
disque est plus « bio » qu’alors ?