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Paris. Opéra Bastille. 10-III-2019. Giuseppe Verdi (1813-1901) : Otello, opéra en 4 actes sur un livret d’Arrigo Boito d’après Othello ou le Maure de Venise de William Shakespeare. Mise en scène : Andrei Serban. Décors : Peter Pabst. Costumes : Graciela Galàn. Lumières : Joël Hourbeigt. Avec : Roberto Alagna, Otello ; Aleksandra Kurzak, Desdemona ; George Gagnidze, Iago ; Frederic Antoun, Cassio ; Alessandro Liberatore, Rodrigo ; Paul Gay, Lodovico ; Thomas Dear, Montano ; Marie Gautrot, Emilia. Chœur de l’Opéra national de Paris (direction : José Luis Basso), Orchestre de l’Opéra national de Paris, direction : Bertrand de Billy
Roberto Alagna offre au public parisien son Otello qu'il avait déjà abordé, non sans témérité, à Orange en 2014. Ces représentations avaient soulevé de nombreuses réticences. Pas assez large la voix, trop lourd le rôle ! Cinq ans plus tard, la voix de Roberto Alagna semble avoir encore évolué.
Passons brièvement sur la mise en scène d'Andrei Șerban qui date de 2004 et qui se patine progressivement au fur et à mesure des reprises pour garder le meilleur (une tempête introductive franchement impressionnante et des décors et costumes évocateurs et plutôt réussis) et édulcorer le pire (le carnage final retravaillé dans le sens d'une plus grande sobriété, qui apparaît moins ridicule). Reste une mise en scène finalement assez passe-partout et scolaire, sans réflexion profonde sur les personnages, mais qui a au moins le mérite de la lisibilité.
À la tête de l'Orchestre de l'Opéra national de Paris, Bertrand de Billy ne parvient pas toujours a animer le travail du metteur en scène. Passée une tempête plutôt réussie, le soufflet retombe rapidement. On cherche en vain de la nervosité et de la tension dans les confrontations avec Iago et Desdemona, mais cette direction n'est pas dénuée d'élégance et de clarté. Par ailleurs très attentif aux chanteurs, le chef semble prendre certaines options pour ménager le rôle-titre. On est ainsi surpris du caractère très feutré de l'orchestre pour le duo final du II « Si, Pel ciel marmoreo giuro ». De fait, les voix peuvent donner tout l'éclat nécessaire à ces imprécations sans être écrasées par la masse orchestrale. Quoi qu'il en soit, cette direction laisse aux seuls chanteurs le soin du drame.
Comme écrin au couple star, l'Opéra de Paris a misé sur des seconds rôles de haute tenue, du Cassio grand style de Frédéric Antoun au veule Rodrigo d'Alessandro Liberatore. On retiendra aussi l'intéressante Emilia de Marie Gautrot, très beau mezzo qui impose un personnage plus fort qu'à l'accoutumée. Enfin, le Chœur de Opéra de Paris offre une superbe prestation, impressionnante de précision, de l'extraordinaire tempête d'ouverture aux acclamations du III.
Les trois principaux rôles se révèlent quant à eux tous surprenants et pour des raisons différentes. Commençons par le Iago étonnamment clair de George Gagnidze. Le chanteur n'a évidemment pas la noirceur et l'autorité habituellement dévolues au rôle. Pour autant, le baryton se révèle très convaincant dans le fiel et la duplicité grâce à un superbe phrasé et une voix très bien conduite, offrant des nuances qui l'éloignent des Iago vociférants.
La voix d'Aleksandra Kurzak a évolué en très peu de temps et s'est considérablement enrichie dans le grave et le medium. On est fasciné par la beauté de son timbre devenu plus homogène sur l'ensemble de la tessiture, par ses sons filés d'une belle fragilité, par son expressivité dans les confrontations avec Otello et par la ligne de chant d'une suprême élégance dans un « ave maria » suspendu. Et puis, elle semble partager avec Roberto Alagna une attention au sens du texte et à l'engagement dramatique remarquables. Rarement on aura vu et entendu un assassinat de Desdemona aussi juste, aussi puissant avec des accents criants de vérité.
Face à elle, Roberto Alagna se lance le défi d'aller au bout de ce rôle qui reste très lourd pour beaucoup de ténors. L'investissement scénique du chanteur est toujours aussi impressionnant malgré l'habitude. Il faut le voir sombrer progressivement dans la folie et dresser un portrait pathétique de ce colosse aux pieds d'argile. Évidemment, on l'entend parfois sur le fil et, à le voir se moucher à tous les actes, l'on craint que la voix ne craque. Mais rien de tout cela ne se produit en cet après-midi. Le « Esultate » est insolent de jeunesse et de puissance. Le duo d'amour nous chavire par son élégante simplicité. Les mots s'égrènent, les phrases coulent avec une évidence confondante. Depuis quand n'a-t-on entendu un « Dio ! Potevi mi scagliar » aussi émotionnellement chargé, à vif ? Ce qui frappe ici c'est l'impact, la communication sans filtre que le ténor instaure avec la salle ; une émotion brute qui ne doit rien à la démonstration mais à la sincérité d'un artiste qui ne finit pas de surprendre jusqu'à un « Nun Mi tema » déchirant. Alors, Roberto Alagna est-il un Otello idoine ? Devant une telle incarnation, on a rendu les armes avant de nous poser une question qui, à ce niveau, peut rester sans réponse.
Crédits photographiques : © Charles Duprat / Opéra national de Paris
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Paris. Opéra Bastille. 10-III-2019. Giuseppe Verdi (1813-1901) : Otello, opéra en 4 actes sur un livret d’Arrigo Boito d’après Othello ou le Maure de Venise de William Shakespeare. Mise en scène : Andrei Serban. Décors : Peter Pabst. Costumes : Graciela Galàn. Lumières : Joël Hourbeigt. Avec : Roberto Alagna, Otello ; Aleksandra Kurzak, Desdemona ; George Gagnidze, Iago ; Frederic Antoun, Cassio ; Alessandro Liberatore, Rodrigo ; Paul Gay, Lodovico ; Thomas Dear, Montano ; Marie Gautrot, Emilia. Chœur de l’Opéra national de Paris (direction : José Luis Basso), Orchestre de l’Opéra national de Paris, direction : Bertrand de Billy