Musiciens en partance, ou le voyage comme source d’inspiration
Plus de détails
La Musique des voyages. Corinne Schneider. Éditions Fayard/Mirare. 234 p. 15 €. Janvier 2019
Une histoire peu connue parfois, qui se lit comme un roman d'aventures et dont le seul héros est le musicien.
Entre le XVIIe et le XXe siècle, les musiciens européens n'ont eu de cesse de voyager pour parfaire leur formation, trouver un emploi, répondre à des invitations à jouer, se frotter à d'autres traditions, découvrir de nouveaux instruments, ou simplement par curiosité. Quand ce n'est pas l'exotisme musical qui s'est invité en Europe, notamment lors des expositions universelles.
Cet ouvrage très fouillé qui ne traite que de déplacements réels et volontaires se présente un peu comme le pendant d'Exil et Musique (2018) d'Étienne Barilier, où il n'est question que de fuites et d'errances imposées. Besoin de changer d'air, désir de s'ouvrir à d'autres horizons, ici, l'appel du large est toujours la motivation première. De sorte que, dans la grande majorité des cas, la figure de l'Autre apparaît comme lumineuse et source d'enrichissement. Cela dit, on ne voyage pas de la même façon ni pour les mêmes raisons selon les époques, et si les situations sont très diverses, il est possible de les classer selon cinq schémas : la rencontre du maître, le voyageur musicien, l'artiste chercheur, le déplacement comme moteur de la composition et le compositeur ambassadeur.
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, l'enseignement musical étant peu institutionnalisé, grande est la nécessité de se déplacer pour suivre la formation d'un précepteur, compositeur ou interprète. Et l'Italie est alors un phare pour beaucoup : Heinrich Schütz se rend à Venise auprès de Giovanni Gabrieli, Haendel séjourne à Rome et rencontre Corelli, Johann Christian Bach et Mozart suivent à Bologne l'enseignement de Giambattista Martini, etc. Au XXe siècle, Paris devient un pôle d'attraction grâce à des pédagogues de grande renommée, en particulier Nadia Boulanger, qui attire des compositeurs américains, tels Copland, Carter et Philip Glass.
Certains compositeurs ont eu un premier métier qui les a amenés à bourlinguer. C'est le cas de Rimski-Korsakov, tout d'abord officier de marine. Nourri de récits d'expéditions dès son plus jeune âge, il écrit Sadko, poème symphonique ayant la mer pour cadre. Les rythmes de l'élément marin s'entendent aussi dans les œuvres de Jean Cras, qui incarne plus encore la figure du voyageur musicien, puisqu'il fit toute sa carrière dans la Royale. Certains ont compris que la Première Guerre Mondiale allait transformer la carte de l'Europe et faire disparaître tout un patrimoine culturel. Les deux exemples les plus connus sont Kodály et Béla Bartók. Ce dernier ne se contenta pas de collecter le folklore magyar, se rendant en Roumanie, Slovaquie, Ukraine, Bulgarie, Algérie et Anatolie et faisant de l'ethnomusicologie une discipline scientifique. Il faut s'imaginer de longs transports sur des chemins cahoteux, au rythme de charrettes tirées par des animaux et chargées de rouleaux de cire… Et une patience d'ange pour convaincre les paysans de chanter dans le pavillon du phonographe. Tout le monde sait à quel point la source hongroise en particulier a permis à ces deux créateurs de s'inventer.
Plusieurs compositeurs ont fait du transport ferroviaire un marqueur de la modernité, et de son mouvement un ferment compositionnel. La double perception de son propre corps en déplacement (rapidité, trépidations du train) et des changements extérieurs (variété des paysages, sons de la nature) est devenue une source d'inspiration, le bruit devenant musique. Ainsi Gershwin imagina-t-il sa Rhapsody in Blue lors d'un trajet en train entre New York et Boston.
Impossible d'omettre Hector Berlioz, à la fois chef d'orchestre, compositeur ambassadeur (de la France à l'étranger) avide « d'ailleurs » et plume très bien trempée dans le romantisme. L'auteur d'Harold en Italie réalisa plusieurs tournées en Europe et croisa le chemin des plus grands artistes de son temps. Aussi colorées et profuses que ses œuvres musicales, ses Mémoires racontent par le menu ses pérégrinations, souvent périlleuses, toujours inconfortables. Dans un récit qui frappe par le caractère concret des observations, sa croisière sur le Danube et son excursion en traîneau jusqu'à Saint-Pétersbourg prennent des allures d'épopées.
Corinne Schneider complète sa merveilleuse exploration par un « tour du monde en 80 œuvres ». Son ouvrage érudit ne tranche pas sur la question de savoir si la musique est ou non un art imitatif, préférant aligner les citations. Laissons conclure Debussy, qui écrivit La Mer en Bourgogne et parle de correspondance entre la nature et… l'imagination. Tout voyage commence donc par être imaginaire.
Plus de détails
La Musique des voyages. Corinne Schneider. Éditions Fayard/Mirare. 234 p. 15 €. Janvier 2019
Fayard