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Monte-Carlo. 29-I-2019. Giuseppe Verdi (1813-1901) : Falstaff, comédie lyrique en trois actes sur un livret d’Arrigo Boito d’après Les Joyeuses Commères de Windsor et Henri IV de Shakespeare. Mise en scène : Jean-Louis Grinda. Décors : Rudy Sabounghi. Costumes : Jorge Jara. Lumières : Laurent Castaingt. Avec : Nicola Alaimo, Sir John Falstaff ; Jean-François Lapointe, Ford ; Enea Scala, Fenton ; Rachele Stanisci, Alice Ford ; Vannina Santoni, Nannetta ; Anna Maria Chiuri, Mrs Quickly ; Annunziata Vestri, Meg Page ; Rodolphe Briand, Bardolfo ; Patrick Bolleire, Pistola ; Carl Ghazarossian, Dr Caius. Chœur (Chef de chœur : Stefano Visconti) et Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, direction musicale : Maurizio Benini
Reprise attendue, pour les 100 ans de la première in loco du dernier opéra de Verdi, du plus original des Falstaff, celui relu par Jean-Louis Grinda. Un classique.
Tout a été dit sur l'éclat de rire par lequel Verdi, en 1893, a souhaité mettre un terme à la longue liste des drames lyriques qui ont fait sa gloire. Au cinéma, Buñuel a fait de même avec ses hilarants Charme discret de la bourgeoisie et Fantôme de la liberté. Chez l'homme de cinéma comme chez l'homme d'opéra, la vieillesse accouche de l'expression d'un humour haut de gamme. Grinda, qui n'a pas non plus l'air d'un triste sire, emmène Shakespeare au cinéma, les géniaux Contes du chat perché de Marcel Aymé dans la poche, en décalant le livret de Boito dans… une basse-cour !
Sir John y parade en coq, sautant sur tout ce qui bouge, la poule (logique !) Meg, et même la pintade (plus improbable !!) Alice. Miss Quickly est une dinde (Sir John s'arrêtera là) prompte à faire la roue. Le docteur Caïus, bien que dindon de la farce, est un âne (forcément). Bardolfo et Pistola un malicieux couple de chats. Nanetta une jeune pintade blanche émancipée par Fenton, pour l'heure jeune coq fringant mais possible Falstaff en devenir. Tout ce petit monde à plumes et à poils (métaphore amusée du petit monde des chanteurs lyriques ?) caquette à loisir, trouvant son grain à moudre dans l'environnement littéraire d'une poignée d'ouvrages ayant trait au Pancione. Le gigantisme de volumes aux titres identifiables (dont l'intégrale Shakespeare de La Pléiade, le livret de Verdi, et même le Falstaff d'Orson Welles), posés sur la tranche, forme le sobre décor de l'Acte I. Pour notre grand bonheur d'ex-enfants, ils s'entrouvrent au II. Les personnages en sortent, s'y réfugient. L'intérieur des Ford s'inscrit sur deux pleines pages dont l'une est découpée en fenêtre afin d'y pouvoir envoyer la fameuse « panière à Falstaff » dans la Tamise. Au III, le plus gros livre se déploie complètement et, à la manière des enchantements pop up, déplie le décor forestier de la machination finale, magnifiquement mis en relief par les lumières de Laurent Castaingt.
Il y a énormément à voir dans ce Falstaff mis en images par Rudy Sabounghi, dont la magie serait restée intacte si la manutention des livres avait pu se passer des apparitions çà et là de bien prosaïques machinistes en salopette (qu'on aurait pu costumer et mêler aux volailles désœuvrées qui traversent sporadiquement cette basse-cour grouillante de poulets). Une parfaite connaissance de l'œuvre est également ce qui peut arriver de mieux à la réception d'un spectacle dont la vive allure, calquée sur la caquetante partition, peut souffrir d'incessants va-et-vient vers les sur-titres.
Sous le plumage, le ramage de cette cour de ferme (pour partie déjà entendu lors de la création de 2010 comme de la reprise marseillaise de 2015) s'avère des plus lustrés. Endosser des costumes aussi inhabituels, aussi lourds peut-être que les calorifères ambulants conçus par Jorge Jara, subir de conséquentes heures de maquillage, voilà des coutumes qui ne se trouvent pas sous la patte d'une poule ! Le spectateur, qui doit d'abord s'amuser à discerner la tête sous la plume, identifie le merveilleux couple d'amoureux, un des charmes de la production, campé par Enea Scala (idéal d'italianità) et Vannina Santoni (passer de poule de luxe –sa Traviata récente acclamée aux TCE– à poule de basse-cour n'est pas sans saveur !). Succédant à Bryn Terfel, Nicola Alaimo est Falstaff (qui en doutait?) de la crête à l'ergot. Jean-François Lapointe, valeur toujours sûre, est aussi exceptionnel en Ford qu'il le fut récemment en Wolfram in loco et en Golaud chez Barrie Kosky à l'ONR. Patrick Bolleire et Rodolphe Briand s'entendent (et se font entendre) comme chat et chat qu'ils sont. Carl Ghazarossian, Caius rendu parfaitement bouffe par la claudication de son asinus erectus sur deux cannes, complète avec bonheur le casting testostéroné. En face, on goûte le timbre juvénile qui permet à Anna Maria Chiuri d'extirper Miss Quickly de toute caricature. Annunziata Vestri est une Meg délicieuse tandis que sa joyeuse commère Rachele Stanisci finit par dompter le vibrato de son Alice au fil de la soirée. Le Chœur, grouillant et luminescent aréopage d'insectes du dernier tableau, en amplifie la poésie. Tout ce bestiaire, glousse, cacabe, miaule, brait, pépie, piaule, vrombit et bourdonne à l'envi, malgré quelques décalages inhérents à la partition diaboliquement virtuose du Cygne de Bussetto, sous le geste virevoltant à souhait de Maurizio Benini à la tête de la phalange monégasque.
La réussite de ce Falstaff tout public est à la mesure de son audace et l'on se délecterait fort à en retrouver régulièrement la fantasque beauté sur un DVD pour tous. Verdi voulait rire et faire rire. Le voilà servi.
Crédits photographiques © Alain Hanel
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