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Paris. Opéra Bastille. 25-I-2019. Hector Berlioz (1803-1869). Les Troyens, opéra en cinq actes sur un livret du compositeur d’après L’Enéide de Virgile. Mise en scène et décors : Dmitri Tcherniakov. Costumes : Elena Zaytseva. Lumières : Gleb Filshtinsky. Vidéo : Tieni Burkhalter. Avec : Brandon Jovanovich, Enée ; Stéphanie D’Oustrac, Cassandre ; Ekaterina Semenchuk, Didon ; Stéphane Degout, Chorèbe ; Paata Burchuladze, Priam; Christian Hemler, Panthée ; Christian van Horn, Narbal ; Cyrille Dubois, Iopas ; Michèle Losier, Ascagne ; Aude Extrémo, Anna ; Bror Magnus Tǿdenes , Hylas; Jean-luc Ballestra, Un capitaine grec; Véronique Gens, Hécube ; Sophie Claisse, Polyxène ; Jean-François Marras, Hélénus ; Thomas Dear, le Fantôme d’Hector ; Tomislav Lavoie, un Soldat ; Bernard Arrieta, Mercure. Chœurs (chef de chœur : José Luis Basso) et Orchestre de l’Opéra national de Paris, direction : Philippe Jordan
Pour les 30 ans de Bastille, les 150 ans de la mort de Berlioz, en plein questionnement panthéonique autour du Beethoven français, ces Troyens étaient le spectacle le plus attendu de l'année. Las ! La mise en scène dérangeante de Tcherniakov voit sa force malmenée par l'obstination toute parisienne de charcuter encore et toujours la géniale partition.
Berlioz n'a jamais vu Les Troyens. Les Parisiens non plus. L'Opéra de Paris s'y attelle pourtant avec une constance (une production par décennie) d'autant plus désarmante qu'elle s'accompagne à chaque fois d'un torpillage dans les grandes largeurs. La version Chung/Pizzi (1990) avait ouvert le feu (zéro ballet et mise en scène décorative). Celle de Wernicke/Cambreling (2006), importée de Salzbourg par Mortier (auquel Tcherniakov rend un vibrant hommage dans le programme), originale mais auto-asphyxiée par son décor, entérinait le handicap musical. Quant à la nouvelle version Jordan/Tcherniakov, elle amplifie sans complexe la malédiction charcutière. Une demi-heure de musique (magnifique) manque à l'appel : les ballets des III et IV, un couplet d'Hylas, la première apparition des spectres, et le duo des sentinelles. « Gloire à Didon » raccourci est pure argutie de puriste mais on n'est pas près de pardonner l'absence d'un des plus beaux récitatifs de Berlioz : « Cette belle journée qui dans nos souvenirs à jamais doit rester… »
Le révéré Parsifal dure 4H30. Les Troyens 4H. Paris 2019 avec ses 3H35 n'est pas si loin de Hambourg 2016 où le pire était commis par Nagano (3H rapiécées par les rustines de Dusapin !). Londres et Vienne triomphent pourtant avec l'intégrale réglée par McVicar. Gardiner aussi au Châtelet en 2003 bien que disqualifié par la fadeur scénique de Kokkos. Reste la seule version à avoir réussi le grand chelem scène/fosse : celle en tous points mémorable (archives de l'INA) du trio Baudo/Leiser/Caurier à Lyon pour le Festival Berlioz de 1987.
Les déclarations de Philippe Jordan ne laissent pas d'interroger : juste sur un Berlioz « en avance sur son temps », erratique sur les nombreuses « perles », comme sur les « tubes qu'il ne faut pas jouer au premier degré », carrément suspect quand il parle de son « côté gauche et maladroit». À moins que ce dernier jugement, inaudible aujourd'hui, ne soit blanc-seing pour sa propre direction d'une partition qui le dépasse. Ni analytique ni puissant, quelques sommets (l'Octuor du I, le Septuor du IV) mais aussi de l'indécision, un déficit de souffle épique (les galvanisantes dernières mesures tombent à plat) font douter qu'il soit la bonne personne pour imposer définitivement le génie d'un opéra où il n'y pas une note à jeter.
« Une bataille ne se gagne jamais seul », déclare-t-il encore. Avec l'immense Tcherniakov, on pense l'affaire réglée quand se lève le rideau de scène commandé à Cy Twomby par Pierre Bergé pour l'ouverture du bâtiment en 1990 (rideau-symbole de l'invitation à « s'ouvrir à l'audace », ainsi que le rappelle Stéphane Lissner qui avait promis au premier directeur de la maison de le faire à nouveau se lever sur Les Troyens 30 ans plus tard) et que l'on saisit assez vite l'ambition du grand metteur en scène russe de renouveler complètement notre perception du chef-d'œuvre. On peine à l'imaginer en grand charcutier lorsqu'on le voit judicieusement utiliser le seul ballet rescapé (le Combat de ceste de l'Acte I) en révélateur intime des protagonistes.
Un imposant décor montre Troie en cité dévastée par la guerre (inspirée notamment des photos de Depardon à Beyrouth), épargnant l'intérieur cossu du Pouvoir en place, celui de la famille dysfonctionnelle de Priam dont Tcherniakov ausculte les relations. On comprend que Cassandre a été autrefois abusée par son père et que le conflit qui mènera à la victoire des Grecs n'est pas extérieur mais intérieur. Se référant à d'anciens écrits comme Mystère de la destruction de Troie de Jacques Millet (1452), et même de Berlioz qui qualifiait Enée de « perfide », Tcherniakov bouscule nos certitudes virgiliennes, en faisant de son héros le traître (le Cheval de Troie c'est lui !) qui livre sa ville à l'ennemi. La fiévreuse Prise de Troie est un feuilleton d'actualité haletant, convoquant des techniques manipulatrices télévisuelles bien contemporaines (le monologue de Cassandre est une interview à chaud de type BFM TV). Le récit est brillant, spectaculaire (la ville se disloque sous nos yeux) et même lacrymal lorsque les Troyennes en transe dansent main dans la main face public, avant qu'un lourd rideau lancé des cintres ne vienne étouffer une Cassandre en flammes. Énorme émotion dans une assistance sous le choc, que la suite va diviser avec une longue et rare violence (que seul fera taire un rideau qui ne se rouvrira pas) qui n'est pas sans rappeler Bayreuth 77 avec Chéreau.
Les Troyens à Carthage sont installés dans le décor « riant » d'un Centre de soins en psycho-traumatologie pour victimes de guerre. Didon et Enée sont deux patients parmi d'autres à qui les animateurs Anna et Narbal proposent relaxations, échauffements, et même jeux de rôles, procédé qui avait plombé le Trouvère que Tcherniakov avait conçu pour Bruxelles, mais qui avait si bien réussi à sa Carmen pour Aix. Les « mythiques » héros de Virgile tentent de s'aimer mais la violence des vécus empêche systématiquement la reconstruction. Les hurlements poussés au final par les patients à nouveau traumatisés lorsqu'ils se rendent compte que leur amie s'est suicidée pour de bon génèrent dans la salle émotion maximale chez les uns et violente exaspération pour les autres. La cohérence souvent sujette à caution des Troyens est pourtant tenue. Et si c'était là le propos de Berlioz : la dénonciation des ravages de la guerre ?
Hormis le Hylas bien terne de Bror Magnus Tødenes, le Priam bien vieilli de Paata Burchuladze, et le Panthée mâchouillé de Christian Helmer, on ne fera pas grief à la distribution de la difficulté rencontrée chez la quasi-totalité des chanteurs (exception faite pour le merveilleux Iopas de Cyrille Dubois et le Chorèbe altier de Stéphane Degout) à faire entendre dans le vaisseau immense de Bastille le mot berliozien hors les sur-titres. Brandon Jovanovich, remplaçant de Bryan Hymel, n'a rien d'un pis-aller et son Enée voyage assez aisément de la puissance à la nuance. Ekaterina Semenchuk, vibrato et gabarit vocal un peu large au début, finit par tisser la ligne attachante du personnage jusqu'à un finale dévastateur et bouleversant. On admire le noble Narbal en gilet rouge de Christian van Horn, l'Anna opulente et sombre d'Aude Extrémo, autant que leur capacité à tous deux de chanter leur duo en jouant au ping-pong ! L'Ascagne de Michèle Losier assure séduction androgyne et vocale. La conception très fouillée de Tcherniakov a le mérite de faire exister des personnages habituellement indiscernables, telle Hécube (lumineuse et puissante Véronique Gens dans le sublime Châtiment effroyable). De la troupe des comprimarii se détache encore le Fantôme d'Hector de Thomas Dear. Quant à la Cassandre de Stéphanie d'Oustrac, engagée, juvénile, élégante, brillante comédienne, brûlant les planches à tous niveaux, rayonnante jusqu'aux saluts, elle est la figure de proue de la soirée. Le chœur, fébrile à l'allumage, est de première grandeur.
Et si on se donnait rendez-vous dans dix ans ? Même lieu. Pour, enfin, une véritable intégrale des Troyens.
Crédits photographiques © Vincent Pontet
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Paris. Opéra Bastille. 25-I-2019. Hector Berlioz (1803-1869). Les Troyens, opéra en cinq actes sur un livret du compositeur d’après L’Enéide de Virgile. Mise en scène et décors : Dmitri Tcherniakov. Costumes : Elena Zaytseva. Lumières : Gleb Filshtinsky. Vidéo : Tieni Burkhalter. Avec : Brandon Jovanovich, Enée ; Stéphanie D’Oustrac, Cassandre ; Ekaterina Semenchuk, Didon ; Stéphane Degout, Chorèbe ; Paata Burchuladze, Priam; Christian Hemler, Panthée ; Christian van Horn, Narbal ; Cyrille Dubois, Iopas ; Michèle Losier, Ascagne ; Aude Extrémo, Anna ; Bror Magnus Tǿdenes , Hylas; Jean-luc Ballestra, Un capitaine grec; Véronique Gens, Hécube ; Sophie Claisse, Polyxène ; Jean-François Marras, Hélénus ; Thomas Dear, le Fantôme d’Hector ; Tomislav Lavoie, un Soldat ; Bernard Arrieta, Mercure. Chœurs (chef de chœur : José Luis Basso) et Orchestre de l’Opéra national de Paris, direction : Philippe Jordan
J’y vais ce soir mais votre article est le plus intéressant de tout ce que j’ai lu jusqu’à présent. Compliments et remerciements.
Et la contradiction abyssale au milieu ne vous gêne pas ?
Berlioz et Paris décidément à JAMAIS INCOMPATIBLE … ? Tant pis pour Paris qui n’a JAMAIS MERITE Berlioz !!! Et, plutôt que le Panthéon (HEUREUSEMENT que la « République » macroniste n’y pense pas plus qu’en son temps, la République chiraquienne !), c’est … à la Côte Saint André qu’on devrait ramener les cendres de Berlioz … parmi les SIENS !!!
Il est doux, parfois, de voir écrit par un autre ce qu’on aurait souhaité exprimer soi-même. Je me rappelle la honteuse pitrerie du Panthéon, qui vit la dépouille de Berlioz repartir vers son sépulcre parisien sans aucune explication, et les réponses délirantes offertes plusieurs années de suite par les ministres de la culture aux sollicitations impérieuses de Serge Nigg, grand compositeur et ami disparu, à chaque séance annuelle d’ouverture des cinq académies !
D’autant que Berlioz a écrit beaucoup de notes et de paroles au sujet de « Cheval de Troie », et pas une note, pas une syllabe à propos de « Enée est un traître ».
Comment ne pas partager ce beau commentaire, d’autant plus convaincant qu’il demeure mesuré et réfléchi lors même que cette « obstination toute parisienne de charcuter encore et toujours la géniale partition » aurait de quoi mettre en fureur tout musicien ou mélomane qui se respecte ? C’est l’occasion de rappeler la publication par ResMusica, en novembre 2017, de l’article de Cécile Rose sur la vraie création française des Troyens, « en une seule soirée », le 6 novembre 1920, au Théâtre des Arts de Rouen… il y aura bientôt un siècle et aux antipodes d’une certaine nomenclature parisienne !
En gros (je dis bien « en gros »), je suis d’accord avec l’article de Jean-Luc Clairet … que je trouve un peu touffu quand même, par moments. Si bien qu’on arrive parfois à s’y perdre. N’est-ce pas ce qui arrive aussi à son auteur ? Après tout ce qu’il remarque, à bon escient, des errements de la mise en scène, conclure son avant-dernier paragraphe par » La cohérence souvent sujette à caution des Troyens est pourtant tenue » est un non-sens absolu. C’est presque aussi aberrant que de décrire un ciel tourmenté, nuageux, traversé d’orages et d’asséner in fine : le ciel est bleu, le soleil brille ! Il faudrait vous relire, Monsieur Clairet, avant de publier !
D’accord aussi avec la contribution de » Ruddigore » qui fait remarquer, à juste titre : « Berlioz a écrit beaucoup de notes et de paroles au sujet du « Cheval de Troie », et pas une note, pas une syllabe à propos d’ « Enée est un traître ».
Je rajouterai à ces deux contributions ceci : il est écrit au début du premier paragraphe de Jean-Luc Clairet : « Berlioz n’a jamais vu Les Troyens ». Cette affirmation péremptoire est une contre-vérité si l’auteur omet de préciser : « en entier ». En effet, Berlioz a forcément vu puisqu’il l’a en partie dirigée (en novembre 1863 au Théâtre Lyrique, après sa création par le chef Adolphe Deloffre) la version tronquée (actes III à V) correspondant aux Troyens à Carthage. Le saviez-vous ?
Ces trois citations me permettent de cibler le cœur du sujet et je n’irai pas par quatre chemins : la mise en scène de Monsieur Tcherniakov n’est qu’une vulgaire imposture. Monsieur Lissner qui l’a embauché, en connaissance de cause est tout aussi responsable de ce minable fiasco. J’étais à Bastille samedi soir. Je n’ai pas forcément entendu la même musique, au détail près, que lors de la première, les voix et les instruments n’étant pas encore remplacés par des robots (mais je gage qu’au train où ça va, Monsieur Lissner serait bien capable de nous programmer ça un de ces jours, rien que pour le plaisir de faire parler de lui). Ce qui est sûr, c’est que je n’ai pas entendu l’interprétation du siècle. En matière de direction berliozienne, Philippe Jordan ne laissera pas un souvenir impérissable dans les annales. Sa baguette délicatement molle n’est pas faite pour de telles envolées. Mon Dieu, rendez-nous Munch, Davis, Bernstein et consorts !
En annexe, nous touchons là aussi à un problème de fond : la trahison des chefs d’œuvre du Répertoire par de petites gens à l’ego surdimensionné, qu’ils soient directeurs, metteurs en scène, voire chefs d’orchestre (eh oui, il y a même des musiciens prêts à estropier la musique qu’ils devraient défendre pour un plat de lentilles !) .Ces gens qui se croient du grand monde n’existent qu’à travers leur propension à se servir des œuvres des autres pour se faire mousser alors qu’ils devraient s’effacer pour mieux les servir. Dmitri Tcherniakov est de ceux-là, qui nous offre donc, à grand frais, une psychanalyse de comptoir à propos des Troyens du génial Berlioz. S’il a fallu plus de 5 ans à ce dernier pour composer le livret et la musique, quelques semaines seulement ont suffi à Tcherniakov, avec la complicité des grands ciseaux de Philippe Jordan et la bénédiction du commercial Lissner pour défigurer et dénaturer l’une des plus belles perles de l’opéra romantique français. Honte sur eux !
A mon sens, le premier devoir et la grandeur d’un interprète est de servir humblement l’œuvre dont il s’empare, de parvenir à en éclairer l’esprit et non pas de la modifier en profondeur, qui plus est, en la rabaissant (ce que manifestement se plaît à faire Monsieur Tcherniakov), pour en faire tout autre chose. Ni Virgile, ni Berlioz que les parasites de la dernière production proposée par l’Opéra de Paris ne semblent vraiment connaître n’avaient l’intention de galvauder leur art pour accoucher d’une telle stupidité qui ne peut avoir de sens que pour un cerveau malade. Ce ne sont ni Enée, ni Didon qui ont besoin d’une psychothérapie par psychodrame, mais le metteur en scène lui-même, manifestement.
Et puis à force de coupures de la partition et d’actions en totale discordance avec les paroles chantées. Le résultat est proprement schizophrénique (à cet égard la partie de ping-pong entre Narbal et Anna est d’une absurdité confondante), comment s’étonner que « la mayonnaise ne prenne pas ». Parce qu’au bout du compte, c’est l’ensemble de l’œuvre qui pâtit des élucubrations débiles du metteur en scène russe. Je ne suis pas persuadé que le changement de distribution annoncé tardivement concernant les deux rôles principaux (Bryan Hymel et Elina Garanca, excusez du peu !) l’a été pour les raisons officiellement invoquées (dans ce milieu, il faut s’attendre à tout). En tous cas, il est heureux pour eux de ne pas s’être discrédité dans cette piteuse mascarade. Lorsque, comme c’était le cas avant-hier, le seul passage d’une œuvre musicale de premier ordre, théoriquement de 4 heures (réduite à trois heures et demi) qui est applaudi sans réserve par l’auditoire est la pastorale d’Hylas, il faut se poser des questions. En plus, pas un seul rappel à la fin. Certes il n’y a pas eu les huées de la première : forcément, le trublion Tcherniakov, absent cette fois, n’a même pas eu le courage d’assumer jusqu’au bout son chamboule tout.
Pauvre type ! Oui, je sais, ça ne se fait peut-être pas de l’écrire en toutes lettres, de « traiter », comme disent nos élèves d’aujourd’hui le malgré tout « immense » Tcherniakov que retient quand même Monsieur Clairet (on se demande bien pourquoi, d’ailleurs). Mais après tout que fait-il, lui, du chef d’œuvre de Berlioz, sinon l’insulter. Et en plus, Monsieur Lissner lui a sûrement offert un pont d’or pour perpétrer ce forfait. Oui, je suis en colère, très en colère, mais par-dessus tout, je suis triste et profondément peiné que des malfaiteurs pseudo-intellectuels, sans aucun génie (parce qu’il n’y a pas d’autre qualificatif qui vaille lorsque l’on fait commerce de la profanation des œuvres d’autrui) se permettent en toute liberté de piétiner sans vergogne, sans même y apporter grand chose de vraiment intéressant, les chefs d’œuvre du grand répertoire lyrique. Au lieu de demander, de façon récurrente, la démission de tel ou tel ministre du gouvernement, c’est le renvoi pur et simple de gens tels que Stéphane Lissner qu’il faudrait exiger !
Quant à la suggestion de Jean-Luc Clairet, à la fin de son article, de se donner rendez-vous dans dix ans (on dirait presque du Patrick Bruel !) pour ENFIN une programmation digne de ce nom, vraiment intégrale cette fois, je reste très sceptique. Je crains malheureusement que le successeur de Monsieur Lissner (j’espère au moins que ce ne sera plus lui dans 10 ans), voulant perpétuer la désormais tradition ne prépare à son tour la énième défiguration des Troyens de ce malheureux Berlioz. Un siècle et demi pile après sa mort, prétendant l’honorer à l’occasion également des 350 ans de l’Opéra de Paris, Stéphane Lissner est, pour le coup, le digne successeur d’une kyrielle d’administrateurs dont l’incompétence et la suffisance n’ont d’égal que le mauvais goût. C’était vrai sous Berlioz, c’est malheureusement encore vrai aujourd’hui.
Honte à l’administration de l’Opéra National de Paris ! Heureusement, nul n’étant prophète en son pays, il nous reste de magnifiques scènes internationales pour traiter avec un authentique respect et un peu plus d’intelligence les opéras du plus grand romantique français….Il y a aussi les scènes régionales dont on ne parle pas assez, qui, cette année encore, seront à la hauteur du défi. Il y a enfin le magnifique festival de La Côte-St-André que je suis depuis ses débuts. Là-bas, loin des flonflons parisiens et d’un snobisme arrogant de plus en plus insupportable, dans son cher Dauphiné natal, on sait encore qui était Hector Berlioz, l’enfant du pays et ce qu’on lui doit.
Paul RIBAS
En gros (je dis bien « en gros »), je suis d’accord avec l’article de Jean-Luc Clairet … que je trouve un peu touffu quand même, par moments. Si bien qu’on arrive parfois à s’y perdre. N’est-ce pas ce qui arrive aussi à son auteur ? Après tout ce qu’il remarque, à bon escient, des errements de la mise en scène, conclure son avant-dernier paragraphe par « La cohérence souvent sujette à caution des Troyens est pourtant tenue » est un non-sens absolu. C’est presque aussi aberrant que de décrire un ciel tourmenté, nuageux, traversé d’orages et d’asséner in fine : le ciel est bleu, le soleil brille ! Il faudrait vous relire, Monsieur Clairet, avant de publier !
D’accord aussi avec la contribution de « Ruddigore » qui fait remarquer, à juste titre : « Berlioz a écrit beaucoup de notes et de paroles au sujet du « Cheval de Troie », et pas une note, pas une syllabe à propos d’ « Enée est un traître ».
Je rajouterai à ces deux contributions ceci : il est écrit au début du premier paragraphe de Jean-Luc Clairet : « Berlioz n’a jamais vu Les Troyens ». Cette affirmation péremptoire est une contre-vérité si l’auteur omet de préciser : « en entier ». En effet, Berlioz a forcément vu puisqu’il l’a en partie dirigée (en novembre 1863 au Théâtre Lyrique, après sa création par le chef Adolphe Deloffre) la version tronquée (actes III à V) correspondant aux Troyens à Carthage. Le saviez-vous ?
Ces trois citations me permettent de cibler le cœur du sujet et je n’irai pas par quatre chemins : la mise en scène de Monsieur Tcherniakov n’est qu’une vulgaire imposture. Monsieur Lissner qui l’a embauché, en connaissance de cause est tout aussi responsable de ce minable fiasco. J’étais à Bastille samedi soir. Je n’ai pas forcément entendu la même musique, au détail près, que lors de la première, les voix et les instruments n’étant pas encore remplacés par des robots (mais je gage qu’au train où ça va, Monsieur Lissner serait bien capable de nous programmer ça un de ces jours, rien que pour le plaisir de faire parler de lui). Ce qui est sûr, c’est que je n’ai pas entendu l’interprétation du siècle. En matière de direction berliozienne, Philippe Jordan ne laissera pas un souvenir impérissable dans les annales. Sa baguette délicatement molle n’est pas faite pour de telles envolées. Mon Dieu, rendez-nous Munch, Davis, Bernstein et consorts !
En annexe, nous touchons là aussi à un problème de fond : la trahison des chefs d’œuvre du Répertoire par de petites gens à l’ego surdimensionné, qu’ils soient directeurs, metteurs en scène, voire chefs d’orchestre (eh oui, il y a même des musiciens prêts à estropier la musique qu’ils devraient défendre pour un plat de lentilles !). Ces gens qui se croient du grand monde n’existent qu’à travers leur propension à se servir des œuvres des autres pour se faire mousser alors qu’ils devraient s’effacer pour mieux les servir. Dmitri Tcherniakov est de ceux-là, qui nous offre donc, à grand frais, une psychanalyse de comptoir à propos des Troyens du génial Berlioz. S’il a fallu plus de 5 ans à ce dernier pour composer le livret et la musique, quelques semaines seulement ont suffi à Tcherniakov, avec la complicité des grands ciseaux de Philippe Jordan et la bénédiction du commercial Lissner pour défigurer et dénaturer l’une des plus belles perles de l’opéra romantique français. Honte sur eux !
A mon sens, le premier devoir et la grandeur d’un interprète est de servir humblement l’œuvre dont il s’empare, de parvenir à en éclairer l’esprit et non pas de la modifier en profondeur, qui plus est, en la rabaissant (ce que manifestement se plaît à faire Monsieur Tcherniakov), pour en faire tout autre chose. Ni Virgile, ni Berlioz que les parasites de la dernière production proposée par l’Opéra de Paris ne semblent vraiment connaître n’avaient l’intention de galvauder leur art pour accoucher d’une telle stupidité qui ne peut avoir de sens que pour un cerveau malade. Ce ne sont ni Enée, ni Didon qui ont besoin d’une psychothérapie par psychodrame, mais le metteur en scène lui-même, manifestement.
Et puis à force de coupures de la partition et d’actions en totale discordance avec les paroles chantées. Le résultat est proprement schizophrénique (à cet égard la partie de ping-pong entre Narbal et Anna est d’une absurdité confondante), comment s’étonner que « la mayonnaise ne prenne pas ». Parce qu’au bout du compte, c’est l’ensemble de l’œuvre qui pâtit des élucubrations débiles du metteur en scène russe. Je ne suis pas persuadé que le changement de distribution annoncé tardivement concernant les deux rôles principaux (Bryan Hymel et Elina Garanca, excusez du peu !) l’a été pour les raisons officiellement invoquées (dans ce milieu, il faut s’attendre à tout). En tous cas, il est heureux pour eux de ne pas s’être discrédités dans cette piteuse mascarade. Lorsque, comme c’était le cas avant-hier, le seul passage d’une œuvre musicale de premier ordre, théoriquement de quatre heures (réduite à trois heures et demie) qui est applaudi sans réserve par l’auditoire est la pastorale d’Hylas, il faut se poser des questions. Ce détail me fait penser, puisqu’une harpe accompagnait le fringant ténor-infirmier psychiatrique de pacotille sur la scène, que Berlioz avait prévu six harpes dans son orchestration et non pas quatre (celle qui est utilisée sur scène n’est jouée que durant trois minutes), aux trois moments les plus intenses de sa partition (le peuple de Troie accompagnant dans la liesse le fameux cheval à la presque fin de l’acte I, l’apothéose suicidaire de Cassandre et des prêtresses de Troie à la fin de l’acte II et le final de l’acte V). Pour être personnellement sensible à leur utilisation, surtout dans une salle aussi vaste que celle de Bastille, je peux vous assurer que l’absence du tiers de l’ effectif s’entend, parce que précisément, on ne les entend guère, ces harpes. Forcément : Les Troyens dans l’asile de Carthage ayant davantage besoin de mise en scène que de musique, il semble naturel de relayer celle-ci au second plan. Ce n’est plus, en somme, qu’une musique de fond. De plus, et comment s’en étonner, pas un seul rappel à la fin. Certes il n’y a pas eu les huées de la première : forcément, le trublion Tcherniakov, absent cette fois, n’a même pas eu le courage d’assumer jusqu’au bout son chamboule-tout.
Pauvre type ! Oui, je sais, ça ne se fait peut-être pas de l’écrire en toutes lettres, de « traiter », comme disent nos élèves d’aujourd’hui le malgré tout « immense » Tcherniakov que retient quand même Monsieur Clairet (on se demande bien pourquoi, d’ailleurs). Mais après tout que fait-il, lui, du chef d’œuvre de Berlioz, sinon l’insulter ? Et en plus, Monsieur Lissner lui a sûrement offert un pont d’or pour perpétrer ce forfait. Oui, je suis en colère, très en colère, mais par-dessus tout, je suis triste et profondément peiné que des malfaiteurs pseudo-intellectuels, sans aucun génie (parce qu’il n’y a pas d’autre qualificatif qui vaille lorsque l’on fait commerce de la profanation des œuvres d’autrui) se permettent en toute liberté de piétiner sans vergogne, sans même y apporter grand chose de vraiment intéressant, les chefs d’œuvre du grand répertoire lyrique. Au lieu de demander, de façon récurrente, la démission de tel ou tel ministre du gouvernement, c’est le renvoi pur et simple de gens tels que Stéphane Lissner qu’il faudrait exiger !
Quant à la suggestion de Jean-Luc Clairet, à la fin de son article, de se donner rendez-vous dans dix ans (on dirait presque du Patrick Bruel !) pour ENFIN une programmation digne de ce nom, vraiment intégrale cette fois, je reste très sceptique. Je crains malheureusement que le successeur de monsieur Lissner (j’espère au moins que ce ne sera plus lui dans 10 ans), voulant perpétuer la désormais tradition ne prépare à son tour la énième défiguration des Troyens de ce malheureux Berlioz. Un siècle et demi pile après sa mort, prétendant l’honorer à l’occasion également des 350 ans de l’Opéra de Paris, Stéphane Lissner est, pour le coup, le digne successeur d’une kyrielle d’administrateurs dont l’incompétence et la suffisance n’ont d’égal que le mauvais goût. C’était vrai sous Berlioz, c’est malheureusement encore vrai aujourd’hui.
Honte à l’administration de l’Opéra National de Paris qui a les moyens de s’offrir un metteur en scène indigent, mais qui rogne sur la composition des pupitres. En revanche, pas de problème pour le prix des places correctement situées : il reste encore inaccessible à beaucoup trop de gens. Heureusement, nul n’étant prophète en son pays, il nous reste de magnifiques scènes internationales (à cet égard la version du Met, il y a un lustre, était, à tout point de vue, tellement supérieure au galimatias du triste trentenaire de la Bastille) pour traiter avec un authentique respect et beaucoup plus d’intelligence les opéras du plus grand romantique français….Il y a aussi les scènes régionales dont on ne parle pas assez, qui, cette année encore, seront à la hauteur du défi. J’ai eu l’insigne honneur, l’année dernière, d’assister à la version de concert donnée à Strasbourg et enregistrée en live pour Erato que dirigeait John Nelson avec Marie-Nicole Lemieux, Joyce Di Donato et Michael Spyres. Consacré par la revue Classica, cet enregistrement est la version qui figure dans l’intégrale Berlioz qui vient de sortir. Et c’est justice, car « ça a de la gueule » ! On est loin, très loin, de la prestation parisienne, indigne d’une scène qui devrait avoir un peu plus le soucis de préserver une réputation mondiale, pour le coup bien mise à mal. Il y a enfin, et cela m’est une douce consolation, le magnifique festival de La Côte-St-André que je suis depuis ses débuts. Là-bas, loin des flonflons parisiens et d’un snobisme arrogant de plus en plus insupportable, dans son cher Dauphiné natal, on sait encore qui était Hector Berlioz, l’enfant du pays et ce qu’on lui doit. Ici, on aime la musique; à Paris, on préfère les scandales !
Paul RIBAS