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Entre grotesque et sublime, le Fidelio d’Achim Freyer à Luxembourg

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Luxembourg. Grand-Théâtre. 7-XII-2018. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Fidelio, opéra en deux actes sur un livret de Joseph Sonnleithner, Stephan von Breuning et Friedrich Treitschke, dans une version retravaillée par Achim Freyer d’après les sources de Helga Lühning et Robert Didion. Mise en scène, décors et lumières : Achim Freyer. Costumes : Achim Freyer et Amanda Freyer. Vidéo : Jacob Klaffs et Hugo Reis. Avec : Christiane Libor, Leonore ; Michael König, Florestan ; Sebastian Holecek, Don Pizzaro ; Franz Hawlata, Rocco ; Caroline Jestaedt, Marzelline ; Julien Behr, Jacquino ; Cody Quattlebaum, Don Fernando ; Antonio Gonzalez Alvarez, Premier prisonnier ; Marcell Krokovay, Deuxième prisonnier. Chœur Arnold Schoenberg (direction artistique : Erwin Ortner). Orchestre Philharmonique du Luxembourg, direction : Marc Minkowski

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La mise en scène d', une fois de plus, fait débat. Non pas pour la qualité des images qu'elle produit, mais pour son adéquation à l'esprit et au message de l'œuvre. L'interprétation musicale est de toute beauté, en revanche, grâce notamment au chœur, à l'orchestre et à la direction de Minkowski.

Jusqu'où peut-on aller dans la relecture des grands chefs d'œuvre du répertoire ? La question se pose assurément au sujet de la mise en scène de l'unique opéra de Beethoven par , artiste de la planète lyrique surtout connu pour sa très controversée production du Ring proposé à Los Angeles en 2010, repris ensuite un peu partout de par le monde. Le Fidelio luxembourgeois a quant à lui été proposé à Vienne en 2016 à l'occasion des Wiener Festwochen de la capitale autrichienne. Transformés en marionnettes statiques, visiblement inspirées de l'univers de la bande dessinée (on pense notamment à la série Maus d'Art Spiegelman), les personnages costumés et maquillés à outrance sont placés sur un dispositif scénique conçu en trois niveaux. Au sommet, apparaissent les dirigeants de ce monde, Pizzaro sur la droite et, en fin d'ouvrage, Don Fernando au milieu, sorte de deus ex machina dont le costume bigarré pourrait évoquer une sorte de Père Noël baba cool ou un peu hippie. Passons.

L'étage intermédiaire est réservé aux personnages qui travaillent dans la prison : Jacquino sur la gauche, Rocco et Marzelline, caricatures grotesques de figures de la commedia dell'arte, Léonore enfin sur la droite. Aucune interaction, aucun regard porté par un personnage sur l'autre ne pourrait à aucun moment susciter la moindre émotion : chacun pivote sur lui-même, évoluant dans l'univers hermétique et cloisonné dont il est le seul protagoniste. En bas, au niveau inférieur, évolue en une masse informe l'humanité grouillante des prisonniers que domine, placé sur le devant de la scène, un Florestan christique les bras en croix, suspendu à deux cordes régulièrement tendues. Ce décor fantasmagorique, auquel donne du relief un savant système de rideaux de tulle sur lesquels sont projetés de multiples images et inscriptions, crée un climat anxiogène entretenu encore par la présence de figures mouvantes, soit des marionnettes grandeur nature figurant des corps humains suspendus dans les cintres, soit deux gardiens de prison apparaissant à intervalles réguliers, avec en guise de fusil un balais à la fois grotesque et effrayant.

À tout moment, le ridicule côtoie le pathos, comme lorsque Léonore brandit une miche de pain d'un mètre de long lorsqu'elle propose un quignon à Florestan. Était-ce vraiment le moment de susciter les rires de la salle ? On reste perplexe également au moment pour le moins tensif de la reconnaissance, lorsque Léonore, transformée à la fois en Saint-Michel triomphant du dragon et en Fantômette dansant comme une fofolle sur le plateau, met à bien son impossible mission. Est-il nécessaire de retirer à ce point le pathos inhérent à l'œuvre, et de priver le public de l'émotion qui devrait à un tel moment rejaillir naturellement de la musique et de sa mise en scène ? , l'ancien protégé de Bertold Brecht, a visiblement ses idées sur la question. On ne niera pas pour autant la beauté fulgurante de certaines images, née de la superposition des projections qui créent pour ce spectacle toute la terreur de l'univers carcéral dont il est question dans Fidelio. L'évocation de scènes du Jugement dernier de Jérôme Bosch élargit d'ailleurs bien au-delà le champ de l'opéra, dans lequel on pourra lire un discours véritablement universel sur la condition humaine qui n'a plus grand chose à voir avec le pathétique certains diront « petit bourgeois » de l'histoire de Florestan et de Léonore. Sans doute était-ce le but recherché.

fidelio_WF_195 (c) Monika RitterhausDans un tel contexte, les chanteurs réunis sur le plateau ne sont plus que des voix, car la stylisation, voire la mécanisation, extrême de leur jeu leur ôte toute individualité scénique. La venue in extremis du baryton , installé à gauche du plateau pour remplacer son collègue souffrant, aura d'ailleurs quelque peu brouillé une grille de lecture déjà assez compliquée, même si le personnage de Pizzaro est certes endossé dans les hauteurs du décor par un acteur.

Sur le plan vocal, donc, la distribution réunie par le Grand Théâtre est plutôt homogène et de bonne qualité. En Léonore, la soprano fait ainsi valoir une voix longue et puissante, capable d'assumer la tessiture assez basse de son rôle sans s'effondrer ensuite dans les aigus, ici triomphants. est lui aussi tout à fait à sa place en Florestan, dont il a la puissance tout en étant capable de rendre les nuances. Belles prestations des autres voix masculines, notamment de en Rocco et de en Jacquino. De , peu gâtée par une mise en scène qui ridiculise à ce point son personnage, on dira qu'elle ne peut pas rayonner en Marzelline comme l'ont fait d'autres chanteuses avant elle.

C'est de toute façon des chœurs et de l'orchestre que viennent les plus belles performances, avec notamment le chœur Arnold Schoenberg en état de grâce. Les interventions chorales, au cours desquelles l'action des solistes est pour ainsi dire suspendue, correspondaient d'ailleurs aux vrais temps forts de la mise en scène. Subtile et énergique, d'une palette dynamique riche et variée, la direction de conduit l' vers d'autres sommets. Au final, et cela quel que soit le bonheur plastique suscité par quelques images d'une grande beauté mais peu en rapport avec l'ouvrage de Beethoven, on finit tout de même la soirée en demandant avec perplexité si une version de concert n'eût pas été préférable.

Crédit photographique © Monika Ritterhaus

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