Alceste de Lully à Beaune : la leçon de musique des Talens Lyriques
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Beaune. Cour des Hospices. 14-VII-2017. Jean-Baptiste Lully (1632-1687) : Alceste ou Le Triomphe d’Alcide, tragédie lyrique en un prologue et cinq actes, sur un livret de Philippe Quinault, d’après la tragédie d’Euripide. Avec : Judith van Wanroij, Alceste, la Gloire ; Edwin Crossley-Mercer, Alcide ; Emiliano Gonzalez Toro, Admète, Apollon, 2e Triton ; Ambroisine Bré, Céphise, la Nymphe des Tuileries, Proserpine ; Douglas Williams, Lycomède, Charon ; Étienne Bazola, Cléante, Straton, Pluton, Éole ; Bénédicte Tauran, la Nymphe de la Marne, Thétis, Diane ; Lucía Martín-Cartón, la Nymphe de la Seine, une Nymphe, Femme affligée, une Ombre ; Enguerrand de Hys, Lychas, Phérès, Alecton, 1er Triton. Chœur de chambre de Namur (chefs de chœur : Leonardo García-Alarcón, Thibault Lenaerts), direction : Christophe Rousset.
Talens Lyriques en pleine forme, distribution ultra-soignée : Christophe Rousset, des années après l'enregistrement pionnier de Jean-Claude Malgoire, vient d'offrir à Beaune la plus parfaite des Alceste, au plus près, stylistiquement parlant, des intentions de Lully et Quinault.
Si « Dieu doit une fière chandelle à Bach » (Cioran), il n'est pas interdit de penser qu'il en va de même pour Lully vis-à-vis de Christophe Rousset. Il est toujours périlleux d'aborder un opéra de Lully avec des oreilles objectives, ces dernières souvent sous emprise ramiste. Un peu comme l'on a chéri d'emblée Mahler avant de pouvoir goûter Bruckner, la découverte émerveillée des ensorcelantes Indes Galantes ou des mirifiques Boréades continue de projeter une ombre écrasante sur l'austérité toute racinienne de la démarche de Lully, plus exigeante en terme d'adhésion. L'orchestre du musicien officiel de Louis XIV n'emballe pas comme celui du Dijonnais (pour exemple la menue tempête d'Alceste en simple ridule sur l'orchestre fait pâle figure en regard du moindre orage déchaîné par Rameau). Sans parler de ce toujours gênant Prologue à la gloire du Monarque en exercice et du systématisme de ces fanfares rappelant trop la pompe plutôt que le drame en cours. Pas étonnant que les opéras de Lully soient encore pris avec des pincettes par les metteurs en scène (même l'exception Atys, si muséal) quand ceux de Rameau sont aujourd'hui sur-représentés dans des versions scéniques mémorables (Les Indes Galantes par le même Christophe Rousset allié à la très inspirée Laura Scozzi).
Deuxième collaboration de Quinault avec Lully, et premier opéra représenté en 1674 à l'occasion des fêtes organisées pour la conquête de la Franche-Comté, dans le tout nouvel Opéra de Paris en lieu et place de l'Académie royale de Musique, l'Alceste lullyste est bien différente de celle de Gluck dont le drame sacrificiel se jouait entre la reine et son époux. Quinault flanque son Alceste de deux autres prétendants. L'un d'eux, Alcide, devient quasiment le personnage principal qui, non content de voler la vedette à l'époux légitime, s'immisce même dans le titre de l'opéra sous-titré Le Triomphe d'Alcide. En outre, l'attention du librettiste se porte sur les démêlés amoureux et comiques d'une poignée de personnages secondaires proférant des maximes toutes plus désenchantées les unes que les autres quant à l'Art d'aimer (L'hymen détruit la tendresse, Amants n'épousez jamais). Ce sera l'ultime tentative à la Cavalli, de Lully et Quinault, concentrés ultérieurement sur le seul drame.
Une distribution extraordinaire est rassemblée autour des tempi et des enchaînements calibrés du chef des Talens Lyriques. Le verbe lullyste est énoncé par tous avec l'évidence d'un soin maniaque qui, dès l'intervention initiale de la jeune Lucía Martín-Cartón (merveilleuse intervention de la femme affligée dans la cérémonie funèbre du troisième acte), ne se tarit qu'une fois le dernier accord tombé. Hormis le splendide Alcide du toujours très classieux Edwin Crossley-Mercer, chaque chanteur incarne au moins deux personnages. Ils sont tous à citer, de la trop épisodique Bénédicte Tauran à la somptueuse Judith van Wanroij (diseuse hors-pair qui en remontrerait à plus d'une collègue française), des plus connus (Emiliano Gonzalez Toro aussi émouvant qu'en Platée de naguère, Enguerrand de Hys gracieux même gêné dans les rares graves) aux révélations (Ambroisine Bré aussi capiteuse lullyste que Chérubin mozartienne, Douglas Williams impétueux, cassant et doté du seul tube de la partition Il faut passer tôt ou tard, Étienne Bazola précis et évident). Dans les sommets d'émotion nue atteints par des passages tels que le duo des époux, Vous pleurez ? Vous mourez ?, et comme partout ailleurs, on comprend chaque mot. Même constat emballé envers l'énergique Chœur de chambre de Namur, virtuose, même quand il réprime dans un sourire un engagement trop pressé d'en découdre avec le vers : Pour rire un peu l'on n'est pas moins sage. Une véritable leçon de musique par tous et pour tous.
En « marraine-la bonne fée des lieux », la directrice artistique du festival de Beaune, Anne Blanchard, avait eu à cœur, en introduction, de marquer les 25 ans des Talens Lyriques dont le chef, accueilli par le Festival 25 ans plus tôt, en est devenu l'enfant chéri. 2017 : The Fairy queen à Vienne, La Calisto à l'ONR, cette Alceste bientôt en CD. Trois mémorables cadeaux d'anniversaire à la hauteur de l'excellence d'un ensemble majeur.
Crédits photographiques : Alceste de Lully par les Talens Lyriques à Beaune © Festival de Beaune
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