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Bâle. Theater Basel. 10-VI-2017. Georg Friedrich Händel (1685-1759) ; Alcina, opéra en 3 actes d’après le livret d’Antonio Fanzaglia pour l’opéra de Riccardo Broschi « L’isola di Alcina » inspiré de l’Orlando furioso de Ludivico Ariosto. Mise en scène : Lydia Steier. Décors : Flurin Borg Madsen. Costumes : Gianluca Falaschi. Lumière : Guido Hölzer. Avec : Nicole Heaston, Alcina ; Valer Sabadus, Ruggiero ; Katarina Bradić, Bradamante ; Bryony Dwyer, Morgana ; Alice Borciani, Oberto ; Nathan Haller, Oronte ; José Coca Loza, Melisso. Chœur du Theater Basel (chef de chœur : Hzenryk Polus) et La Cetra Barockorchester Basel, direction : Andrea Marcon.
Entre Donnerstag aus Licht en 2016 et The Rake's Progress en 2018, Lydia Steier noie le concept de sa mise en scène dans le bricolage d'une Alcina de bande-dessinée. Repli pour tous dans une partie musicale des grands jours magnifiée par La Cetra d'Andrea Marcon.
Kate Royal s'est retirée de la production bâloise pour « raisons personnelles ». Quelles qu'elles fussent, on imagine mal l'intégration de la très classieuse cantatrice anglaise dans un spectacle qui voit Alcina régner en Joséphine Baker sur une île de carton-pâte. Le spectateur lui-même, encore sous l'envoûtement de la production virtuose de Katie Mitchell à Aix en 2015, navigue à vue jusqu'à l'entracte sans jamais tomber sous le charme de l'enchanteresse. Si le costume de Morgana en sirène de cinéma muet laisse quelque espoir, on est vite circonspect face aux victimes d'Alcina, grimées en Indiens d'opérette, condamnés à quitter l'alanguissement pour quelques chorégraphies sommaires, quand ils ne sont pas abandonnés à leur sort, l'un d'eux se voyant même oublié trois bons quarts d'heure, entrailles évidées et cœur arraché, en fond de scène. Cet univers peu motivant décline avec malice le motif du fruit popularisé par la grande Joséphine : Morgana chante Torni al Vagheggiar sur un escalier aux marches bananées qui clignote comme à l'Alcazar (ne pas se laisser distraire en fin de parcours, au risque de manquer l'usage qu'elle fait du célèbre phallus fruitier sur le pauvre Oronte en guise d'adieu !). La direction d'acteurs est si caricaturale dans sa volonté gaguesque que l'on ne s'intéresse guère aux enjeux. Quand on parvient à Ah! mio cor, il est déjà trop tard pour compatir sur le sort de la magicienne.
Il est vrai que dans cette production, Alcina se voit damer le pion par Bradamante. Si la première partie de la soirée costume cette dernière, avec Melisso, en Dupond et Dupont, la seconde la propulse dans le tailleur ajusté d'une manageuse volontariste à la tête d'une boîte de formation de dactylos.
C'est d'ailleurs au moment où disparaît de la vue, dans un beau moment d'évacuation du théâtre, le dérisoire du carton-pâte, que le concept de Lydia Steier émerge enfin. Si Katie Mitchell avait imaginé une bouleversante réflexion sur le déclin de la séduction, Lydia Steier s'interroge sur le sort amoureux des hommes : le tourment de la passion ou bien le choix d'une vie rangée (avec bananes elles aussi bien rangées dans un compotier). Son Ruggiero, aussi falot que le héros d'Hergé, et visiblement sous l'emprise des deux femmes, optera pour la plus autoritaire et donc pour le gris de la routine. On ne peut imaginer conceptions plus différentes (et tout aussi intéressantes) à partir d'une même œuvre. Mais si Mitchell possédait le génie de la traduction scénique de ses intentions, il en va tout autrement pour Steier dont on retient hélas davantage la « chenille » (et oui la fameuse « chenille qui redémarre » !) à laquelle s'adonne in fine le monde de Bradamante que la nostalgie finale des Io fui belva, io sasso, io fronda des ex-victimes d'Alcina, redevenues humaines dans la triste réalité du monde de l'entreprise.
Si Bradamante l'emporte aux points scéniquement, il en va de même vocalement, tant Katarina Bradić a encore gagné depuis Aix sur la conception d'un personnage dont elle possède toutes les caractéristiques : la plastique insolente jusqu'à l'androgynie, l'abattage du jeu, mais surtout la moirure d'une voix défiant la vocalise avec aplomb. Face à elle (et, hélas pour elle, face au souvenir de l'Alcina hantée de Patricia Petibon), Nicole Heaston donne longtemps l'impression qu'elle doit prouver l'autorité de moyens non négligeables, son costume ne l'aidant pas toujours. Tout comme il handicape carrément l'Oronte emplumé et tatoué de Nathan Haller qui parvient, malgré ces tortures (on lui inflige même un numéro de claquettes !), à confirmer les espoirs que l'on avait placés en lui. Issue comme ce dernier de l'opéra-studio de Bâle, la jeune Bryony Dwyer est une pétillante Morgana. Le Melisso de José Coca Loza est irréprochable quand l'Oberto d'Alice Borciani fait preuve d'une parfaite musicalité. Quant à Valer Sabadus, il semble heureux de pouvoir se venger d'une certaine gaucherie scénique en abattant les cartes d'une voix magnifiquement conduite, des fondants pianissimi veloutés de Mi lusingha aux imprécations torrentueuses de Sta nell'Ircana. Une révélation.
Si le public de Bâle accueille d'une réserve polie l'équipe artistique, il fait un triomphe à tous les chanteurs ainsi qu'à Andrea Marcon, poigne méritoire qui maintient, contre vents et marées de ce spectacle bancal, le cap d'une œuvre dont il parvient comme à Aix à extraire les incessantes beautés et le mouvement majestueux. Un enchantement. Enfin.
Crédits photographiques : © Priska Ketterer
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Bâle. Theater Basel. 10-VI-2017. Georg Friedrich Händel (1685-1759) ; Alcina, opéra en 3 actes d’après le livret d’Antonio Fanzaglia pour l’opéra de Riccardo Broschi « L’isola di Alcina » inspiré de l’Orlando furioso de Ludivico Ariosto. Mise en scène : Lydia Steier. Décors : Flurin Borg Madsen. Costumes : Gianluca Falaschi. Lumière : Guido Hölzer. Avec : Nicole Heaston, Alcina ; Valer Sabadus, Ruggiero ; Katarina Bradić, Bradamante ; Bryony Dwyer, Morgana ; Alice Borciani, Oberto ; Nathan Haller, Oronte ; José Coca Loza, Melisso. Chœur du Theater Basel (chef de chœur : Hzenryk Polus) et La Cetra Barockorchester Basel, direction : Andrea Marcon.