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Bâle en transe avec Calixto Bieito et Iannis Xenakis

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Bâle. Theater Basel. 21-IV-2017. Iannis Xenakis (1922-2001), Théâtre musical d’après l’Orestie d’Eschyle. Mise en scène et décor: Calixto Bieito. Costumes : Ingo Krügler. Lumière : Michael Bauer. Vidéo : Sarah Derendinger. Avec : Holger Falk, Kassandra, La Déesse Athéna ; Myriam Schröder, Klytaimestra ; Simon Zagermann, Agamemnon ; Michael Wächter, Orestes ; Lisa Stiegler, Elektra. Choeur du Theater Basel, Mädchenkantorei et Knabenkantorei Basel (chef de choeur ; Henryk Polus) et Basel Sinfonietta, direction : Franck Ollu.

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Trois œuvres de la fin du XXe siècle au cours de la même saison à Bâle : entre Stockhausen et Glass, voici Xenakis. Son Oresteia bénéficie de tous les soins (ne manquent que des sur-titres français !) de l'audacieuse maison d'opéra et notamment de l'investissement galvanisant du metteur en scène catalan.

presse_oresteia10_webLe musicien-architecte (il travailla avec Le Corbusier) Xenakis disait ne pas aimer l'opéra. On a envie de le taquiner en lui répondant, à la Première suisse d'Oresteia, que cela s'entend ! Orchestre réduit aux 12 instruments les plus bruyants ou les plus inquiétants: percussions en vedette, stridences tous azimuts, timbres angoissants, crécelles, sifflets, pupitre de cordes représenté par un unique violoncelle. Lignes vocales hautement perturbées. On reconnaît bien là l'arsenal musical des expérimentations du théâtre musical cher aux années 60/70 auquel tout amateur d'art lyrique se voyait alors peu ou prou condamné. Même un Hans-Werner Henze, grand compositeur d'opéra par ailleurs, dut un temps passer par les fourches caudines de la fin du sérialisme et aligna quelques titres difficilement audibles aujourd'hui, avant de revenir à une certaine raison musicale. Cet Oresteia est de la même eau.

Et pourtant, à Bâle, on écoute l'inécoutable. La pédagogie à l'œuvre dans un Theater Basel bourré à craquer (comme pour Donnerstag aus Licht), nous donne envie d'en savoir davantage, de remonter le temps, à l'instar de la ville américaine d'Ypsilanti qui, découvrant les origines grecques plutôt qu'indiennes de son appellation, commanda l'œuvre au compositeur grec. Ce dernier enclencha la machine jusqu'aux origines de la tragédie en adaptant l'Orestie de 458 av. J.-C. que le fondateur du genre, Eschyle consacra à la plus célèbre des familles dysfonctionnelles : les Atrides. Ce fut aussi l'occasion, pour l'exilé Xenakis, condamné à mort à 25 ans dans son propre pays, de prôner l'avènement de la Démocratie chez un peuple asservi par des tyrans malades téléguidés eux-mêmes par l'absurde diktat divin : souffrir pour apprendre.

L'Oresteia de Xenakis, tout en gardant l'originel découpage trilogique (Agamemnon, Les Choéphores, Les Euménides), est une œuvre concise : passée de 36 minutes (en 1966) à 56 en 1987 et 1992 avec l'ajout de deux monologues (Kassandra, La déesse Athéna), elle affiche aujourd'hui à Bâle, une durée de 1H45, ajout de textes parlés oblige. Pile la durée d'Elektra. De fait, le spectateur ressortira dans le même état qu'à l'issue du choc straussien, le travail de invitant peu à peu la salle à la transe, via une montée en puissance assez irrésistible.

Le spectateur s'installe sous un lustre de néons qui plonge la salle dans une lueur inhabituelle, face à la vidéo d'une fillette couchée, balayée par l'eau et les vents : image originelle qui s'avérera celle du meurtre sacrificiel d'Iphigénie. Le , impeccablement tenu par Frank Ollu, est placé sur des estrades en fond d'une scène constituée d'un plancher à claire-voix (un motif récurrent des derniers spectacles du passionnant Bieito) qui sera, pour Les Euménides, superbement éclairé par en-dessous. Le tout enjambe la fosse pour avaler plusieurs rangs d'orchestre, dans un but accru de profondeur de champ autant que de proximité empathique. Le fantôme de la petite Iphigénie hantera de temps à autre la vidéo ceignant les murs de l'aire de jeu. Ajoutant au radical de la partition, un projecteur frontal aveuglera longuement le parterre. Le jeu des acteurs sera exacerbé (proférations hurlantes, prostrations, tombées de chemises, viols,…) jusqu'à une chute en arrière ambiguë d'Agamemnon (effet ou véritable catastrophe intime ?) dans les escaliers de la salle. Le final, consacré à la naissance de la Démocratie, acquiert, en ces temps électoraux une importance inédite pour le spectateur français qui se trouve face à des choristes aux visages masqués par le bulletin de vote, puis face à un Oreste juché sur un branlant échafaudage de planches arrachées au plateau, qui, tel Atlas portant le monde sur ses épaules, subit le faix d'une urne de plexiglas vide. Urne, que sur le dernier accord, il envoie sans appel se fracasser au sol. Noir.

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Le baryton Holger Falk assume crânement l'exigence jusqu'au falsetto des seules parties chantées. Agamemnon donne la prééminence au chœur masculin, Les Choéphores aux voix féminines, Les Euménides les rassemblent en leur adjoignant l'espoir d'un chœur d'enfants. Il apparaît peu à peu que c'est l'ensemble du , renforcé par le Mädchenkantorei et le Knabenkantorei de Bâle, qui est la vedette du spectacle : d'une précision rythmique galvanisante (frappés de pieds, de ceintures, articulation chamanique). Ayant fort à faire, chantant en grec (prompteur à l'appui), aussi investi que les comédiens dans la proposition du metteur en scène, c'est le chœur qui, malgré les réticences de départ, s'avère le medium optimal du retour aux sources, aux origines de la tragédie, sous l'écrasant soleil grec (on croit même entendre des essaims de mouches sartriennes sortir des bouches). Et c'est différent que l'on quitte la salle, sans être toutefois parvenus à faire taire les réticences initiales face une partition à l'évidence datée. 1966. Dix ans après viendrait heureusement le tout aussi radical Einstein on the beach,de Philip Glass, héraut quant à lui du retour d'un certain romantisme en musique. Puis Satyagraha, opéra de Glass dont la première suisse est imminente. Et c'est aussi à Bâle que cela va se passer…

Crédits photographiques: © Sandra Then

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