Entre minimalisme et mathématiques, le piano de Melaine Dalibert
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Totalement acquis au minimalisme, le pianiste et compositeur rennais Melaine Dalibert est l'un des invités du nouveau festival pour piano et claviers Variations à Nantes où il va donner rien moins que trois concerts.
« Je me suis heurté au problème du développement de l'idée musicale, qui passionne tant de compositeurs et que je souhaitais pour ma part détourner. »
ResMusica : Quelle est votre trajectoire de musicien?
Melaine Dalibert : D'origine bretonne, comme le sous-entend mon prénom, j'ai débuté la musique à l'âge de 7 ans mais ne me suis mis sérieusement au travail qu'à 16 ans, lorsque je suis rentré en classe de piano au Conservatoire de Rennes. J'ai poursuivi mes études à Paris, au CRR, avec Pierre Réac et j'y ai découvert le répertoire contemporain : les Etudes de Ligeti, les Structures de Boulez et le piano de Kurtag et de Messiaen que j'ai beaucoup aimé travailler. Mais j'ai rapidement eu l'envie d'écrire ma propre musique, une activité que je pratique aujourd'hui parallèlement à ma carrière de pianiste et de pédagogue.
RM : Quelle musique composez-vous?
MD : Je ne compose pratiquement que pour le piano. Je me suis heurté au problème du développement de l'idée musicale, qui passionne tant de compositeurs et que je souhaitais pour ma part détourner. S'offrait alors la possibilité d'écrire de petits formats comme l'a fait György Kurtág. Mais j'ai découvert la puissance de l'outil mathématique et me suis mis à travailler avec des algorithmes ; ce sont des systèmes de générations musicales, des programmes que je construis moi-même, sans recours à l'ordinateur. Les systèmes fractals que j'utilise me permettent d'envisager l'avancée de mon matériau sur l'infini de la durée. Ma musique se développe dans un contexte minimaliste et plutôt dans la lenteur. Je m'intéresse beaucoup à la capacité qu'a l'auditeur de percevoir ces systèmes qui organisent l'écriture ; en cela, je me rapproche de ce que peut faire un Tom Johnson.
RM : Où peut-on écouter votre musique?
MD : Au festival Variations précisément. Cyril Jollard, en charge de la programmation du festival, recherchait le frottement d'esthétiques les plus diverses à travers la pratique des claviers et m'a donc proposé de jouer ma musique minimaliste à laquelle j'ai ajouté celle de trois compositeurs relevant de la même esthétique : Giuliano d'Angiolini d'abord, dont je viens d'enregistrer la musique dans le CD Cantilena et Tom Johnson, le mathématicien systématique que j'aime beaucoup. Je ne connaissais pas encore Julius Eastman qui m'a été proposé par Cyril Jollard et dont je vais jouer la musique durant le premier jour du festival.
Sinon, vous l'entendrez plutôt dans des lieux d'exposition qui n'offrent pas la même situation d'écoute qu'au concert. J'ai d'ailleurs à cet effet créé un festival à Rennes qui s'appelle Autres mesures et dont c'est la troisième édition. L'idée est de faire entendre toutes sortes de musique en dehors des lieux habituels du concert. Nous avons reçu par exemple le compositeur américain Alvin Lucier qui n'est pas beaucoup joué en France. Les manifestations sont gratuites durant les quatre journées du festival et nous y accueillons un très large public qui commence à se fidéliser.
RM : Quel genre de minimaliste est Julius Eastman ?
MD : C'est un américain orienté vers l'énergie et la transe. Il écrit surtout pour quatre pianos, dans un matériau hyper saturé dont le jeu est très éprouvant physiquement. J'ai interprété de lui quelques pièces à deux pianos avec Nicolas Horvath. Son écriture n'est pas entièrement déterminée, laissant une part d'improvisation voire de responsabilité aux pianistes.
RM : Comment avez-vous rencontré Giuliano D'Angiolini?
MD : Par l'intermédiaire du compositeur Gérard Pesson qui m'a mis ses partitions entre les mains il y a de cela une dizaine d'années. C'est un compositeur que j'admire beaucoup dans son obstination à rester dans sa voie, même si sa musique est à la marge des courants actuels. J'apprécie beaucoup son univers, très méditerranéen je trouve.
« J'ai découvert la puissance de l'outil mathématique et me suis mis à travailler avec des algorithmes. […] Je m'intéresse beaucoup à la capacité qu'a l'auditeur de percevoir ces systèmes qui organisent l'écriture. »
RM : Aimez-vous également jouer le grand répertoire pianistique?
MD : Bien évidemment ! J'aime par-dessus tout Chopin dont je viens de faire en concert l'intégrale des deux cahiers d'études au Conservatoire de Rennes où j'enseigne. J'estime qu'il a les mêmes oreilles que Debussy s'agissant de son rapport au timbre que je trouve très moderne. Mais je joue également Schumann, Brahms que j'adore et tout le répertoire romantique que je traverse au quotidien avec mes étudiants du Conservatoire de Rennes.
RM : Quelle est votre actualité pour les mois à venir?
MD : Je jouerai à Newport le concerto de Gérard Pesson, Futur is a faded song qu'Alexandre Tharaud a créé en 2012 à la Cité de la Musique à Paris. Mais je dois dire que les trois concerts à venir au lieu unique de Nantes ont requis jusqu'à aujourd'hui toute mon énergie et ma concentration.