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Le ténor suédois Nicolai Gedda s'est éteint le 8 janvier dernier à Tolochenaz, sur la Riviera vaudoise. Il avait 91 ans. Annoncé seulement hier, cet avis tardif respecte la volonté du chanteur dont la discrétion était légendaire.
Bien sûr, lorsque l'on apprend la disparition d'une telle légende de l'art lyrique, on veut lui rendre un hommage personnel. Et quel meilleur moyen de se souvenir autrement qu'en se précipitant dans sa discothèque pour y retrouver ces enregistrements que le temps a quelque peu effacés de notre mémoire ? Fort heureusement, Nicolai Gedda nous laisse un héritage discographique immense.
Lors d'un passage à Stockholm où il accompagnait son épouse Elisabeth Schwarzkopf qui donnait un récital, le producteur discographique Walter Legge entendit Nicolai Gedda au Royal Opera dans Le postillon de Lonjumeau d'Adolphe Adam. Impressionné, il lui proposa immédiatement de l'engager pour l'enregistrement du rôle de Dimitri dans Boris Godounov de Moussorvski.
Prise en main par Walter Legge et Herbert von Karajan, la carrière du jeune ténor allait prendre son envol. Les enregistrements se succèdent à un rythme effréné. Entre Boris Godounov en 1952, son premier enregistrement de studio et sa dernière apparition en Monsieur Triquet dans Eugène Onéguine en 1992, ce sont quarante ans de carrière du ténor jalonné par près de 200 disques.
En 1953, Nicolai Gedda est le rôle-titre dans le Faust de Charles Gounod. On reste stupéfait devant l'aisance, la diction française, la projection vocale et la maturité de ce ténor d'à peine 27 ans. Dès les premières mesures de ce Faust, la jeunesse vaillante de la voix de Gedda s'impose. Tout lui semble facile. Chaque mot se détache en un français parfait. C'est un régal. Il lance un Salut, ô mon dernier matin ! avec la voix chargée de l'angoisse frissonnante de l'homme à l'approche de la mort. Quelle intelligence interprétative ! À peine signé son pacte avec Méphistophélès, alors qu'il aperçoit Marguerite, il chante un court Ô merveille ! d'une beauté, d'une douceur, d'une poésie à couper le souffle.
C'est cette qualité d'interprétation doublée d'une technique vocale exceptionnelle qui accompagne Nicolai Gedda tout au long de sa carrière artistique. Comment résister dès lors devant une si belle manière de chanter notre langue ? Écouter l'extraordinaire En fermant les yeux de Manon de Jules Massenet avec un Nicolai Gedda totalement habité. Un moment suspendu. Là encore, sa technique vocale irréprochable nous emmène dans le rêve de Des Grieux avec un Ô Manon final prolongé dans un diminuendo bouleversant.
Dans sa dernière apparition en studio, à l'âge de 67 ans, c'est encore la langue française qui est à l'honneur de son chant. Dans un Eugène Onéguine de Tchaïkovsky étrangement chanté en anglais, Nicolai Gedda incarne Monsieur Triquet, un résident français qui offre une chanson dans sa langue lors d'une fête en l'honneur de Tatiana, l'héroïne de l'opéra. Là encore sa voix (toujours intacte) fait merveille. Et avec sa parfaite diction, il habille cette petite cantilène d'un lyrisme fort touchant, comme une signature pour l'éternité.
Après sa retraite de la scène, Nicolai Gedda se retire dans sa maison des hauts de Morges où il vivait depuis 1968. Les dernières années de sa vie, il les consacre en partie à l'enseignement du chant à quelques chanteurs privilégiés, notamment le ténor néerlandais Jan Blinkhof.