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Même si le Palazzetto Bru Zane fêtera dignement dès janvier le bicentenaire de la mort d’Étienne Nicolas Méhul, cet évènement semble avoir été quelque peu oublié des maisons d’opéra.
Pour honorer comme il se doit celui que nous considérons comme le plus grand compositeur d’opéra en France durant la Révolution française, ResMusica a choisi de consacrer un dossier à l’opéra de cette période, étude qui mettra en exergue le rôle essentiel tenu par cet artiste, injustement déclassé au fur et à mesure des siècles passés. Assez peu travaillées par les musicologues et n’ayant pas passé la barrière du temps, ce sont des œuvres lyriques débordantes de fougue et d’inventivité que nous dépoussiérerons tout au long de ces quelques mois. Pour accéder au dossier complet : Bicentenaire Méhul
En France, la passion démocratique dominante et unificatrice des révolutionnaires à la fin du XVIIIe siècle est certainement celle de la patrie, de la nation, ce collectif auquel chacun s'identifie. Le théâtre lyrique, très foisonnant malgré le contexte social et politique, reporte naturellement sur scène ces élans populaires. Cette ardeur propulsera de nouveaux artistes, Étienne-Nicolas Méhul en tête, et un nouveau public dans les salles alors que l'opéra-comique tiendra une place prépondérante dans le paysage musical.
L'effervescence de cette fin de siècle projettera sur le devant de la scène lyrique d'autres compositeurs que ceux de la première moitié du XVIIIe. Alors que la carrière d'André Ernest Modeste Grétry (1741-1813) se termine, les compositeurs de chansons patriotiques tels qu'Étienne Nicolas Méhul (1763-1817), Luigi Cherubini (1760-1842), ou bien encore Jean-François Le Sueur (1760-1837) s'assureront une carrière pérenne grâce à leurs opéras. Les librettistes auront également un grand rôle à jouer dans la création de ces ouvrages et dans leur popularité à l'image de François Benoît Hoffmann (1760-1828) ou de Jean Nicolas Bouilly (1763-1842).
Les œuvres sur le thème républicain sont nombreuses mais le meilleur de celles-ci se trouve dans la production de l'opéra-comique. Grâce à ses nombreux sujets littéraires et à ses diverses formes musicales, ce genre musical a séduit la majorité des musiciens français, Grétry ayant exercé une forte influence sur son développement au niveau national tout comme François-Adrien Boieldieu par la suite. Mais parmi les nouvelles personnalités émergentes, celle d'Étienne-Nicolas Méhul, révélée en 1790, est la plus forte et la plus proche à incarner l'évolution stylistique du répertoire sous l'impulsion révolutionnaire. Malgré l'adhésion des artistes pour ce genre, l'opéra-comique fut longtemps considéré comme un spectacle futile et sans intérêt, que ce soit pour l'amateur de musique ou de littérature. Mais parce qu'il avait notamment pour ambition de mettre sur un pied d'égalité tous les individus de tous les horizons, ce répertoire connut un véritable succès à cette période, le faisant même évoluer comme moyen très efficace d'endoctrinement.
Forts de convictions partagées autant par le peuple que par une élite intellectuelle, les révolutionnaires étaient prêts à risquer leur vie pour la liberté. Les héros d'opéras comiques sont portés par cette même ardeur qui engendrera des opéras sauvetage rapidement passés de mode sous l'Empire après que le grand opéra se le fut approprié. Les sources d'inspiration des librettistes et compositeurs d'opéra-comique sont ainsi stimulées par l'actualité. La plus symbolique de cette période est incontestablement la prise de la Bastille, lieu incarnant la tyrannie monarchique où les prisonniers étaient pour beaucoup des victimes de l'arbitraire royal. Les Parisiens de la fin du XVIIIe siècle croyaient au mythe d'une Bastille abritant des cachots où pourrissaient ces martyrs. Ce fantasme se retrouve dans l'argument de l'opéra Raoul Sire de Créqui de Monvel mis en musique par Nicolas Marie Dalayrac (1789). Détenu par un homme despotique et avide de pouvoir, le prisonnier Raoul vivra une séquestration inhumaine dans une tour délabrée. Les dénouements des opéras réunissant l'assaut d'une forteresse à un combat acharné sont souvent associés à la reddition de cette prison parisienne. Mais, lors de la chute de la Bastille, on dut se rendre à l'évidence : elle ne comptait qu'une poignée de faussaires, un jeune homme devenu fou, un noble incestueux et un complice d'une tentative d'assassinat sur Louis XV. Malgré tout, la prise de la Bastille fit l'effet d'un séisme en France comme en Europe.
De même, le 9 juillet 1789, la foule parisienne ouvre les prisons de l'Abbaye pour libérer quelques grenadiers des gardes françaises, emprisonnés en raison de leur refus de faire feu sur le peuple. L'Assemblée constituante nationale les recommande à la clémence du Roi ; ils retournent en prison, et reçoivent le pardon. Leur régiment rejoint de ce fait la cause populaire. Dans Le Brigand de François-Benoît Hoffmann et Rodolphe Kreutzer (1795), les troupes du colonel Kirk, menés par Norton, s'opposent violemment à leur chef. William retrouve la liberté grâce à ce retournement de situation. De la même manière, le voleur Rolando dans La Caverne de Dercy et Jean-François Lesueur (1793) bascule vers le camp initialement ennemi. La prison fut ainsi un élément clé dans de nombreuses œuvres lyriques de la période révolutionnaire jusqu'au début du XIXe siècle.
Décor pour Lodoïska
Mais l'injustice ne se limite pas à la prison. La société française du XVIIIe siècle est hiérarchisée en trois ordres. Ces ordres sont inégalitaires car les deux premiers, le clergé et la noblesse, ont des privilèges alors que le Tiers-État, n'en a aucun. Chaque ordre est hétérogène et en leur sein, les individus sont plus ou moins privilégiés. La présence de ces privilèges n'est expliquée ni par le mérite ni par le service rendu à la nation : elle est totalement injustifiée. Cette hiérarchisation abusive, la mauvaise gestion de l'État, la désacralisation de la personne royale et le renvoi de Necker interprété comme un coup d'État des conservateurs, sont les principales causes de la haine du peuple envers son Roi. Le « Vive le Roi » final de l'opéra Le Déserteur de Jean-Michel Sedaine et Pierre Alexandre Monsigny (1769), sera remplacé durant la Révolution par « ça ira. » La réplique « Vive le Roi Richard ! » dans Richard Cœur de Lion de Sedaine et Grétry (1784) sera également exclue de la scène nationale durant les heures les plus sombres. Les convictions idéologiques qui composent les opéras durant la Révolution française seront également bien affirmées dans les décors spectaculaires présentés dans les théâtres. Pour beaucoup d'entre eux, ils seront intégrés comme des éléments essentiels de l'action.
Enfin, un grand nombre de personnages d'opéras est représentatif des Français de la fin du XVIIIe siècle comme Léonore, la protagoniste de Léonore ou l'Amour conjugal (1798) de Jean Nicolas Bouilly et Pierre Gaveaux qui inspirera Beethoven pour son Fidelio, et Louise de l'opéra Le Déserteur (1769) de Jean-Michel Sedaine et Pierre Alexandre Monsigny. Peu de personnages féminins dans l'histoire de l'opéra sont aussi combatifs que ces deux héroïnes. Celles-ci sont à l'image des femmes révolutionnaires qui deviennent des actrices à part entière dans le conflit politique. Les soucis quotidiens liés aux prix des denrées, le plus souvent trop rares et toujours trop chères, transforment les femmes des classes plus modestes en interlocutrices redoutées des autorités devant composer en fonction de leur prise de position. Complices courageuses des prêtres réfractaires, elles les cachent et organisent clandestinement des messes. En octobre 1792, les Arlésiennes formèrent un club de femmes regroupant jusqu'à 600 membres…
La présence sur scène de toutes les classes sociales de la société française de l'époque et la démocratisation des convictions politiques véhiculées en 1789 amène un nouveau public à la fin du XVIIIe siècle qui se compose de très peu de connaisseurs. Au début de la Révolution, les auditeurs des théâtres lyriques semblent être ceux de l'Ancien Régime. Ce sont des nobles et des grands bourgeois cultivés qui connaissent la musique et la pratiquent. En 1789, la vague d'émigration de certains aristocrates à l'étranger fait baisser quantitativement le nombre des locations de loges. Mais l'affluence au théâtre reste toujours très importante en raison d'un public qui se renouvelle et se transforme. Cet intérêt pour le monde du spectacle permettra à de nombreuses salles de théâtre d'ouvrir et de prospérer, à Paris comme en Province, alors que la présence de ces nouveaux spectateurs ne sera indubitablement pas du goût de l'élite et des gens instruits.
Ce constat aura naturellement des répercussions sur la production des pièces de théâtre et plus précisément sur la création opératique. Les auteurs souhaiteront désormais rendre leurs œuvres plus accessibles par la simplicité et l'utilisation d'intrigues plus captivantes pouvant toucher un plus grand nombre.
Images : Étienne-Nicolas Méhul, lithographie de A. Maurin. J.P. Ziolo – Décor pour Lodoïska (Cherubini). Aquarelle anonyme ; s.d. Bibliothèque nationale de France.
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Même si le Palazzetto Bru Zane fêtera dignement dès janvier le bicentenaire de la mort d’Étienne Nicolas Méhul, cet évènement semble avoir été quelque peu oublié des maisons d’opéra.
Pour honorer comme il se doit celui que nous considérons comme le plus grand compositeur d’opéra en France durant la Révolution française, ResMusica a choisi de consacrer un dossier à l’opéra de cette période, étude qui mettra en exergue le rôle essentiel tenu par cet artiste, injustement déclassé au fur et à mesure des siècles passés. Assez peu travaillées par les musicologues et n’ayant pas passé la barrière du temps, ce sont des œuvres lyriques débordantes de fougue et d’inventivité que nous dépoussiérerons tout au long de ces quelques mois. Pour accéder au dossier complet : Bicentenaire Méhul