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Paris. 14-X-2016. Théâtre des Champs-Elysées. Norma, mélodrame en 2 actes de Vincenzo Bellini sur un livret de Felice Romani d’après la tragédie en 5 actes Norma, ou l’Infanticide d’Alexandre Soumet. Mise en scène : Patrice Caurier et Moshe Leiser. Décor : Christian Fenouillat. Costumes : Agostino Cavalca. Lumières : Christian Forey. Avec : Cecilia Bartoli, Norma ; Rebeca Olvera, Adalgisa ; Norman Reinhardt, Pollione ; Péter Kálman, Oroveso ; Rosa Bove, Clotilde ; Reinaldo Macias, Flavio. Chœur de la Radio-Télévision Suisse-Italienne (chef de chœur, Donato Sivo) et Orchestre I Barocchisti, direction : Gianluca Capuano.
Depuis sa prise de rôle à Salzbourg en 2013, Paris attendait avec impatience la Norma de Cecilia Bartoli, pas seulement parce que la mezzo italienne est un choix surprenant pour ce rôle mais peut-être aussi parce que Norma est une œuvre mythique et pourtant très rarement montée. Et pour cause, Norma est redoutable à distribuer car c'est un rôle vocalement multiple et seule une poignée de cantatrices a réussi à s'y imposer en un demi-siècle.
Le rôle de Norma est traditionnellement dévolu aux sopranos Falcon ou dramatique colorature, seules capables d'affronter sa dimension à la fois dramatique et lyrique, sollicitant autant les aigus que les graves, des sons filés que des vocalises périlleuses, un souffle infini et une grande puissance d'émission. Cecilia Bartoli décide de défendre une version plus « historique » de l'œuvre avec une Norma mezzo-soprano, dans la lignée de la Malibran, une Adalgisa soprano et des coupures rétablies. Une fois laissés de côté les débats sans fin autour des justifications qui ont présidées à ces orientations, que peut-on dire ce cette Norma ?
Dès l'ouverture et le récitatif d'entrée, Sediziose voci, on sait que l'on devra renoncer à la grande voix iconique que l'on a l'habitude d'entendre. Cette version est censée être plus accessible pour Cecilia Bartoli. Pourtant, le Casta diva, chanté mezzo voce, peine à convaincre avec un legato haché et des aigus un peu durs. Si la cabalette ah bello a me ritorna, prise à une vitesse étourdissante, nous la montre virtuose comme à son habitude, ses vocalises rossiniennes nous semblent hors de propos. Comme cela était prévisible, les passages plus dramatiques sont émoussés, l'autorité de la prêtresse laissant place à la simple humanité d'une femme tiraillée au moyen de récitatifs particulièrement travaillés. La Bartoli ciselle chaque mot, chaque phrase et l'on finit par s'émerveiller du miracle de musicalité qu'elle nous offre. Malgré toutes nos réserves sur sa capacité à assumer vocalement toutes les palettes de ce rôle crucifiant, la Bartoli nous rappelle qu'elle est non seulement une immense musicienne mais aussi une grande artiste de scène. L'acte II la révèle en état de grâce dès le I flgli uccido douloureusement éthéré. Son engagement dramatique est confondant. La passion et la générosité qu'elle met dans ses interactions avec ses partenaires (les duos avec Adalgisa sont sublimes) et l'intériorité de son chant dessinent le portrait saisissant d'une femme bafouée mais digne, bouleversante comme cela l'a rarement été. A cet égard, le Qual cor tradisti et surtout le Non volerli vittime sont anthologiques. La Bartoli ne sera pas une Norma de plus ou une Norma hors norme (il faudrait s'entendre sur ce qu'est la norme), elle sera une Norma à part et c'est débout que le public en témoigne.
Face à elle, ses partenaires sont au diapason. Rebeca Olvera impose une Adalgisa lumineuse et fraîche. Ses aigus très assurés et la beauté de sa voix bien projetée compensent un léger manque de contrôle vocal. Son engagement donne à ses duos avec Bartoli une belle intensité. Pollione est un rôle ingrat à défendre et Norman Reinhardt s'en sort plutôt bien. La voix est moins « virile » qu'à l'accoutumée et un léger vibrato encombre un peu sa première intervention, mais la ligne de chant est parfaitement menée et l'incarnation très fouillée. L'Oroveso de Peter Kálmán présente un joli bronze et les comprimari (Clothilde de Rosa Bove et Flavio de Reinaldo Macias) sont bien chantants et ont une belle présence.
Si la beauté et le raffinement du chœur sont à souligner, on ne peut pas en dire autant de l'ensemble I Barocchisti. S'il permet de coller davantage au « son historique » de l'œuvre, on ne peut adhérer aux sonorités aigrelettes des vents, au caractère franchement clinquant des cuivres et surtout aux nombreux décalages. Il faut dire que Gianluca Capuano imprime des tempi souvent très rapides à son orchestre, conduisant souvent à un drame édulcoré au profit d'une forme de virtuosité sans nuances.
La mise en scène de Patrice Caurier et Moshe Leiser est une transposition classique mais très soignée qui place le drame dans la France occupée des années 1940. Oroveso y dirige avec Norma un réseau de résistants et Pollione devient donc un gestapiste. Si cet exercice prive le livret de sa dimension religieuse et crée parfois des décalages avec les dialogues, le pari est plutôt réussi, notamment grâce au superbe décor de Christian Fenouillat et à une très bonne direction d'acteurs qui rappellent les films du néo-réalisme italien (comment ne pas penser à Anna Magnani). La dernière image de la salle de classe en flammes est proprement saisissante et nous hantera encore longtemps.
Crédit photographique © Hans Jörg Michel
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Paris. 14-X-2016. Théâtre des Champs-Elysées. Norma, mélodrame en 2 actes de Vincenzo Bellini sur un livret de Felice Romani d’après la tragédie en 5 actes Norma, ou l’Infanticide d’Alexandre Soumet. Mise en scène : Patrice Caurier et Moshe Leiser. Décor : Christian Fenouillat. Costumes : Agostino Cavalca. Lumières : Christian Forey. Avec : Cecilia Bartoli, Norma ; Rebeca Olvera, Adalgisa ; Norman Reinhardt, Pollione ; Péter Kálman, Oroveso ; Rosa Bove, Clotilde ; Reinaldo Macias, Flavio. Chœur de la Radio-Télévision Suisse-Italienne (chef de chœur, Donato Sivo) et Orchestre I Barocchisti, direction : Gianluca Capuano.