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Paris. Théâtre des Abbesses. 21-IX-2016. Robert Ashley (1930-2014) et Steve Paxton (né en 1939) : Quicksand ; texte écrit et enregistré par Robert Ashley ; chorégraphie, décor et costumes : Steve Paxton. Jurij Konjar, Maura Gahan, danseurs ; musique réalisée par Tom Hamilton ; lumières : David Moodey.
Le Festival d'Automne à Paris est le lieu d'expériences inédites toujours très excitantes qui bousculent un rien les cadres traditionnels du spectacle tout en mettant au défi l'attention du public.
Rappelons l'exécution historique (5 heures de musique) au Musée d'Orsay en 2004 du quatuor à cordes n°2 de Morton Feldman, un compositeur également à l'affiche de cette édition 2016 pour une nouvelle aventure temporelle. Pour l'heure, c'est l'opéra-roman de Robert Ashley, Quicksand (Sables mouvants) qu'accueille le Théâtre des Abbesses, une œuvre posthume des plus singulière dont l'auteur américain, entouré de ses collaborateurs et amis de longue date, n'a jamais pu voir la réalisation finale.
Si Quicksand reste un opéra pour la voix, c'est celle, parlée-chantonnée, de Robert Ashley (son « spoken word) qui est entendue sur toute la longueur du spectacle et trois heures durant, ne concédant que quelques rares césures silencieuses. Dans un flux verbal aisé et continu, épousant en douceur les accents de la langue américaine, Ashley a enregistré juste avant de mourir son propre roman d'espionnage paru en 2011. Le récit de plus en plus gore – les péripéties d'un compositeur d'opéras impliqué dans le renversement d'une dictature militaire en Asie du Sud-Est ! – mais raconté avec la même distance, constitue la trame de l'œuvre sur laquelle s'impriment musique, lumière et danse. L'environnement électronique, autre flux continu aux évolutions lentes, est signé Tom Hamilton, un fidèle d'Ashley. Les modifications sensibles de couleurs et de registres du paysage sonore sont les rares facteurs de tension, aussi faible soit-elle, dans un univers au temps infiniment étiré, et confère la seule dimension dramaturgique à cette performance. Les lumières, décors et chorégraphie sont, quant à eux, conçus en totale autonomie, « comme une sorte de distraction en regard du flux du texte » écrit le chorégraphe Steve Paxton dans les notes de programme. De fait, les sur-titres sont parfois supprimés, une manière de reposer l'œil du spectateur et de le diriger plus sûrement vers les séquences visuelles et dansées. L'unique décor consiste en une toile de scène occupant tout le plateau, qui se prête à toutes sortes de métamorphoses opérées par la magie des lumières et de la vidéo – celles de David Moodey – rappelant parfois les tons de Rauschenberg. Plusieurs fois tendue et détendue, la toile peut être manipulée par les danseurs – et l'invisible Steve Paxton – dans des jeux de volumes inventifs et toujours surprenants (notre photo).
Simple autant qu'hypnotique, la chorégraphie suit également un chemin parallèle, soit 16 scènes ramenant deux fois les mêmes figures où s'exercent la plasticité des corps et la beauté du geste. Certains scènes exécutées par les deux danseurs (merveilleux Jurij Konjar et Maura Gahan), tout en poursuivant les recherches d'une Lucinda Childs, relèvent du travail personnel développé par Steve Paxton qu'il nomme le « contact-improvisation » où le contact physique donne l'impulsion au mouvement.
Monotone et lancinante pour une partie du public qui a préféré quitter la salle dès la première heure de spectacle, l'œuvre s'est révélée obsessionnelle et envoûtante pour d'autres qui, comme nous, ont mené l'expérience temporelle jusqu'au bout, bercés par le flux des paroles devenant musique et fascinés par le travail trans-disciplinaire et polysémique de l'espace théâtral.
Crédits photographique : © Paula Court
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Paris. Théâtre des Abbesses. 21-IX-2016. Robert Ashley (1930-2014) et Steve Paxton (né en 1939) : Quicksand ; texte écrit et enregistré par Robert Ashley ; chorégraphie, décor et costumes : Steve Paxton. Jurij Konjar, Maura Gahan, danseurs ; musique réalisée par Tom Hamilton ; lumières : David Moodey.