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Le pianiste français Vincent Larderet développe, sur scène et dans ses enregistrements, une démarche musicale diversifiée mais très cohérente, axée sur la découverte et la transmission.
« J'ai eu un rapport créatif dès le début avec la musique. »
La critique internationale le remarque tout particulièrement en 2011 à l'occasion de la sortie de son disque consacré à des œuvres pour piano de Florent Schmitt. Il ne cesse depuis d'être primé pour ses diverses réalisations : nommé Steinway Artist, il est nominé aux International Classical Music Awards (ICMA) en 2012, 2015 et 2016 et reçoit notamment à deux reprises une Clef ResMusica (2011 et 2015). Il a tout récemment été nommé Directeur Artistique du festival « Piano au Musée Würth » (Erstein, Bas-Rhin).
ResMusica : Pouvez-vous nous parler de vos premières vraies rencontres avec la musique, premières écoutes, premières expériences au piano et moment où, peut-être, les choses ont basculé et où vous avez décidé de devenir pianiste ?
Vincent Larderet : Mes premières rencontres avec la musique sont liées à ma famille. Mon père est musicologue et il y avait à la maison une fabuleuse discothèque-bibliothèque. Mais mes parents ont eu l'intelligence de ne pas me forcer à choisir un instrument et de laisser se manifester un vrai désir de ma part. Je jouais un peu avec le piano, improvisations et petites compositions avant même de prendre des cours. Ensuite j'ai entrepris de travailler sérieusement le piano, d'abord dans un conservatoire régional. Ce qui me semble important c'est de dire que grâce à cette approche, j'ai eu un rapport créatif dès le début avec la musique, ainsi que par le biais de la culture musicale que j'ai pu développer dès ma toute jeunesse par une écoute très ouverte de tous les styles et les époques : Schoenberg, Berg ou Stravinsky par exemple dès l'âge de 12 ans, partitions d'orchestre en main. J'avais alors le désir de devenir compositeur et j'ai même réalisé quelques modestes Opus… Tout cela n'a pas exclu bien sûr une formation de très haut niveau à l'instrument mais aujourd'hui encore je suis reconnaissant à ma famille de cette approche si complète. Quant à l'expérience précoce de la scène, dans différents pays dès l'adolescence, ce fut très important en termes de maturité. Apprendre à se comporter sur scène, à gérer le trac, etc. À s'ouvrir aussi aux traditions musicales des autres pays.
RM : Votre formation fut plutôt atypique. Avec une double orientation, tradition française, tradition allemande. Pouvez-vous revenir sur ce parcours et ses points et temps forts ?
VL : Atypique oui, à condition d'ajouter : pour un musicien français car il sous-entend un passage dans un CNSM… mais pas atypique en même temps car comme beaucoup de pianistes solistes, j'ai passé des Concours internationaux. Après les Conservatoires de Région, j'ai reçu l'enseignement de Carlos Cebro, un des élèves préférés de Vlado Perlemuter, héritier de toutes les partitions annotées de ce dernier à la suite de sa collaboration avec Ravel entre 1927 et 1929. Puis j'ai travaillé avec Bruno Leonardo Gelber en Allemagne à la Musikhochschule de Lübeck. Ce pianiste fut le tout premier que j'ai entendu en concert, encore enfant. Une sorte de Maître à l'ancienne, très dur car très exigeant et qui m'a énormément aidé à poursuivre mon évolution en me confrontant à sa pensée musicale extraordinairement profonde et surtout de nature éminemment émotionnelle. Il est un des rares pianistes qui me fasse pleurer ! Il possède une sonorité très personnelle, c'est un grand lyrique, insistant sur la beauté expressive du son, la conduite du phrasé et son enseignement fut pour moi essentiel.
Mes deux professeurs étaient d'une rigueur absolue vis-à-vis de la partition. Avec Bruno Leonardo Gelber, j'ai appris à perfectionner Beethoven, dont il est l'un des plus illustres interprètes, et le grand répertoire romantique allemand. Il y a donc dans tout cela un aspect de filiation, de poursuite de la tradition, qui me semble très important. Mais ces Maîtres ont su me transmettre sans s'imposer ou me formater et se sont efforcés de préserver et développer ma personnalité pianistique et musicale. Je tiens à ajouter également que j'ai été énormément influencé par tous les géants que j'ai entendus, uniquement en disque malheureusement, mais qui ont eu un rôle clé dans mon développement, tout particulièrement Arturo Benedetti Michelangeli.
RM : Vous avez publié relativement peu de disques (six en tout depuis 1999) mais plusieurs d'entre eux ont fait un certain bruit ! Pouvez-vous expliquer un peu votre démarche ?
VL : En fait, chaque disque représente un investissement énorme ! J'ai essayé dans mes trois derniers enregistrements de monter des projets forts, ce qui est indispensable pour s'imposer discographiquement. Ce fut le cas dès mon disque consacré à l'œuvre pour piano de Florent Schmitt. J'avais été à l'époque amené à m'interroger sur l'existence d'une version piano de la Tragédie de Salomé. Qui existait bel et bien, partition d'une difficulté démentielle mais très bien écrite pour le piano et qui n'avait jamais été enregistrée ! Ce travail consacré à un musicien de tout premier plan, mais peu joué et enregistré, a eu un très grand écho en France et internationalement. De la même façon, j'ai découvert que la version pour piano seul de la Suite de Daphnis et Chloé de Ravel n'avait pas été enregistrée (3 extraits de Daphnis et Chloé de 1912), ce qui a motivé mon premier disque Ravel paru en 2014, dédié à la mémoire de Perlemuter. Je cherche donc à ce que les disques reposent sur une démarche si possible novatrice et cohérente, toujours autour d'un répertoire de premier plan (connu ou non) et avec le souci de filiation.
RM : Qu'en est-il de votre expérience avec le chef Daniel Kawka et son orchestre Ose ? En ce qui concerne votre dernier disque, les concertos de Ravel et de Schmitt, avez-vous rôdé vos interprétations en concert ? Et l'accompagnez-vous aussi depuis sa sortie ?
VL : Là aussi, il y a eu un vrai projet et le choix de travailler avec Daniel Kawka et son orchestre Ose. Un jour que nous avions donné ensemble le Concerto en sol de Ravel, j'ai eu une sorte d'intuition : il nous fallait enregistrer les deux Concertos de Ravel mais aussi J'entends dans le lointain… de Schmitt dans sa version extraordinaire pour piano et orchestre qui constituait une première mondiale. Nous avons donné de nombreux concerts entre 2013 et février 2015, avant l'enregistrement, pour mûrir notre conception. Nous avons beaucoup travaillé sur le style de Ravel, le contexte historique, l'éclairage nouveau que l'on pouvait apporter. Nous avons cherché à nous libérer d'un certain nombre de fausses traditions d'interprétation qui entourent ces œuvres. Nous avons respecté l'effectif original d'une cinquantaine de musiciens pour le Concerto en sol, selon les désirs de Ravel lui-même et Daniel a beaucoup insisté sur la transparence du son dans l'orchestre ! En fait, pour chaque compositeur, époque ou esthétique, l'interprète doit pouvoir métamorphoser son jeu et modifier le son, le phrasé, le toucher ou les couleurs. Le Concerto en Sol ne doit pas sonner comme celui pour la main gauche : le Concerto pour la main gauche écrit pour une seule main exige paradoxalement une plus grande puissance pour faire face à l'orchestre plus important et massif que celui du Concerto en Sol, de texture presque néo-classique et chambriste, influencé par le jazz. Nous allons de nouveau jouer ces Concertos cette année, au Festival International de Besançon (17 septembre) et à La Chaise-Dieu (24 août).
RM : Et puis, il y a cette expérience à laquelle vous attachez beaucoup d'importance, la direction musicale d'un festival de piano, le seul de cette importance en Alsace, « Piano au musée Würth ».
VL : J'ai en effet été nommé en 2016 Directeur Artistique de ce festival qui existait déjà depuis 2010 mais auquel la direction du Musée souhaitait donner une nouvelle envergure internationale. Dès cette année, le festival va s'épanouir sur une période plus longue (il s'étendra du 28 octobre au 6 novembre 2016). Il va renforcer la présence de solistes internationaux (Michel Dalberto, Philippe Cassard et Luis Fernando Perez), développer la musique de chambre autour du piano, notamment en duo piano et chant, avec la soprano Amélie Robins et la pianiste Virginie Martineau entre autres. Et toujours avec ces deux idées qui remontent à la création de cette manifestation : la présence d'artistes issus de la région d'Alsace (ce seront cette année les sœurs Lara et Lisa Erbès, violoncelle et piano) et le désir de transmission, à la fois par des Master classes mais aussi en donnant leur chance à de jeunes talents, déjà engagés dans leur carrière musicale, mais encore peu connus comme, cette année, Nicolas Giacomelli, lauréat du concours international Piano Campus 2016. J'étais d'ailleurs membre du jury lors de sa victoire ! Par la suite nous chercherons à diversifier encore plus l'expérience du concert, avec par exemple des concerts-conférences etc.
Il faut souligner que le musée Würth, situé sur la commune d'Erstein, occupe une position véritablement stratégique : à trente minutes de Strasbourg et à trente minutes de l'Allemagne. Qu'il possède en outre un bel auditorium et, à demeure, un sublime instrument, un Steinway D. Il n'y a pas d'autre festival de piano en Alsace et la proximité de l'Allemagne permet d'envisager aussi toutes sortes de développements à venir.
RM : Pouvez-vous évoquer votre expérience pédagogique, la question de la transmission ?
VL : Je donne volontiers des Master classes en France et à l'étranger. J'en donnerai d'ailleurs au Japon cette année lors d'une importante tournée en octobre. Mais j'aime aussi travailler dans le cadre de stages où l'on a un peu plus de temps avec les élèves pour élaborer un travail plus constructif. Je privilégie toujours l'aspect de transmission en effet, autour de l'idée d'une certaine tradition qui se perd peut-être trop, la réflexion sur les partitions et les paramètres stylistiques et pianistiques en fonction des diverses esthétiques. L'objectif étant surtout de développer la personnalité du jeune pianiste. Récemment j'ai eu aussi une expérience passionnante en donnant des cours au CNSM de Paris, dans le cadre d'un remplacement à la demande de Michel Dalberto, un autre célèbre élève de Perlemuter dont je me sens très proche et avec lequel j'ai joué à deux pianos.
RM : Comment voyez-vous votre avenir musical ?
VL : Je pense continuer à développer des projets, mais sans trop me spécialiser dans telle ou telle direction. J'ai un répertoire éclectique, même si j'exclus quasiment aujourd'hui le baroque en récital en tout cas, car je considère qu'il demande à lui tout seul un investissement musicologique que je n'ai pas eu le temps de faire, ayant d'autres priorités. La musique française est essentielle pour moi bien sûr et j'aimerais peut-être mener à terme une intégrale Ravel, dont j'ai déjà enregistré une grande partie. J'aime aussi interpréter la musique russe (en particulier Scriabine et Rachmaninov), allemande, le grand répertoire romantique et les « classiques » du XXe siècle (Bartók, Szymanowski par exemple). Un projet conduit souvent à un autre projet, par ramifications, mais dans une certaine cohérence. J'aimerais développer encore les collaborations avec orchestre, en concerto bien sûr, et sans doute, à terme, diriger moi-même. J'ai déjà connu quelques expériences en ce sens, isolées, et j'ai envie de les développer. J'ai toujours été attiré par l'orchestre… Et il y a bien sûr de nouveaux projets discographiques qui vont arriver très bientôt…