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Il avait annoncé en décembre dernier, dans une lettre adressée à son public du Musikverein de Vienne, qu'il renonçait à ses projets futurs et qu'il se retirait de la vie musicale pour des raisons de santé. L'immense chef autrichien Nikolaus Harnoncourt s'est éteint le 5 mars dans sa maison de Sankt Georgen im Attergau, près de Salzbourg, à l'âge de 86 ans.
Un apprentissage viennois
De souche aristocratique, Johann Nikolaus, comte de La Fontaine et d'Harnoncourt-Unverzagt naît à Berlin le 6 décembre 1929. Il va passer son enfance à Graz, dans le palais familial de Meran où il joue en amateur du violoncelle et se passionne pour la sculpture sur bois, envisageant même de devenir marionnettiste. Mais l'Allegretto de la Septième symphonie de Beethoven, entendu à la radio sous la direction de Wilhelm Furtwängler, lui fait changer de cap. Il a 18 ans lorsqu'il arrive à Vienne où il est violoncelliste et suffisamment brillant pour intégrer les rangs de l'Orchestre Philharmonique de Vienne dès 1952. Devenu soliste de cette phalange prestigieuse, il démissionnera en 1963, en désaccord profond avec les conceptions stylistiques de la direction.
Le discours musical
Découvreur, théoricien et musicien dans l'âme, Nikolaus Harnoncourt s'érige dès lors en pionnier dans la relecture de la musique du passé, au regard des sources (manuscrits et traités) et du travail musicologique que cet esprit érudit va mener son existence durant. « J'essaie d'acquérir autant de connaissances que possible sur l'œuvre idéalement dans son état originel et non altéré par les éditions ou la tradition interprétative qui se sont fixées indûment dans le courant du XIXe » ( La Parole musicale, propos sur la musique romantique, Acte Sud). Il fonde en 1953, avec la violoniste Alice Hoffelner qu'il vient d'épouser, le Concentus musicus Wien qu'il dirige de son violoncelle ou de sa viole de gambe. De Monteverdi à Mozart, dans un premier temps, et avec la couleur des instruments d'époque, il redonne au discours musical transparence et articulation ; un combat sans merci qu'il mène contre les habitudes de jeu et la résistance des « modernistes ». En 1970, il entreprend, avec le claveciniste néerlandais Gustav Leonhardt, une intégrale des Cantates de Bach et rédige dans la foulée ses deux ouvrages théoriques fondamentaux, Le discours musical et Le dialogue musical qui seront rapidement traduits en français.
Un chef aventureux
Entre temps il est devenu chef d'orchestre, donnant pour la première fois, au Concertgebouw d'Amsterdam en 1975, une version historique de la Passion selon Saint Mathieu de Jean-Sébastien Bach. Cette même année, l'Opéra de Zurich l'invite à diriger les opéras de Monteverdi. C'est le début d'une collaboration fructueuse avec le metteur en scène Jean-Pierre Ponnelle, qui culminera en 1980, et toujours à Zurich, avec le cycle des opéras de Mozart auxquels il redonne fraîcheur et vitalité. Son investigation dans la musique allemande le porte de Beethoven à Bruckner, en passant par la précieuse intégrale des symphonies de Schubert chez Warner Classics, relues avec la même fidélité au texte et l'autorité d'une pensée historiquement informée. Le festival de musique classique Styriarte, qu'il fonde en 1985 près de Graz, le projette bien au-delà de la sphère germanique, en mettant sous sa baguette les partitions de Smetana, Gershwin, Bizet, Offenbach… autant d'incursions dans le monde moderne dont il ne veut pas se priver. Mais le chef a ses limites : « A la virtuosité de Rossini, je préfère la profondeur de Mozart, Haydn, Beethoven et Schubert » précise-t-il lors d'un interview donné au journal Libération en 2001… Cette même année où, reconnu par ses maîtres et chaleureusement plébiscité par son public, il va diriger le concert du Nouvel an avec l'Orchestre Philharmonique de Vienne au Musikverein.
Beethoven encore et toujours
Avec les jeunes musiciens du Chamber Orchestra of Europe, son intégrale des symphonies de Beethoven en 1991, précédant de peu celle de son collègue britannique John Eliot Gardiner, ébranle les consciences du monde musical qui salue la réussite de l'entreprise. Puisant aux sources de l'interprétation pour retrouver l'esprit de la musique, Harnoncourt donne le relief et la tonicité des timbres à une écriture dont il a repensé les équilibres sonores, rafraîchi les couleurs et ciselé les élans. Mais cette nouvelle approche n'est qu'un work in progress pour cet artiste intranquille. A la musique de Beethoven dont il n'aura cessé de creuser le message, il apporte son ultime contribution avec un live recording, sorti il y a peu chez Sony, des Symphonies n°4 et 5 du Maître de Bonn, jouées par son propre ensemble et dans l'acoustique idéale du Musikverein de Vienne : « Nous cherchons seulement à suivre sa trace sans jamais être sûrs de bien le comprendre », confiait-il très humblement à un journaliste quelques jours avant sa mort.