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Le 10 juin 1865 à Munich : Tristan et Isolde de Wagner, l’une des œuvres les plus importantes de l’histoire de la musique, est jouée pour la première fois. Un évènement que Resmusica a choisi de commémorer sous la forme d’un Abécédaire. Notre dossier : Abécédaire Tristan
Le 10 juin 1865 à Munich : Tristan et Isolde de Richard Wagner, l'une des œuvres les plus importantes de l'histoire de la musique, est jouée pour la première fois. Un événement que Resmusica a choisi de commémorer sous la forme d'un Abécédaire Tristan. Aujourd'hui,Tristan et… le mouvement.
Des productions dites historiques de Tristan et Isolde, il y en avait eu : celle du Neues Bayreuth de 1952 à 1970, dégraissée jusqu'au rituel façon Appia par le petit-fils du Maître, Wieland Wagner, enivrée in fine du tandem sacré Nilsson/Windgassen. Son pendant lumineux, éclaboussant de blancheur à Orange en 1973 avec encore Nilsson mais aussi Vickers : il fut beaucoup reproché à Nikolaus Lehnoff par les gardiens du temple antique d'avoir osé masquer le célébrissime mur d'Auguste d'une immense voile immaculée qui claquait au vent, tandis qu'une ceinture de projecteurs enserrait les héros dans une ellipse aveuglante de lumière. Mais davantage que la féerie lumineuse du second acte de Ponnelle en 1982, davantage que l'obsession carrée de Heiner Müller en 1993, l'audacieuse épure de Lehnoff reste dans notre souvenir comme la plus spectaculaire de toutes, agissant sur notre mémoire à la manière d'un éblouissement rétinien.
Néanmoins le point commun à tous ces spectacles, aussi aboutis fussent-ils, était le statisme. Il était coutumier d'entendre déclarer à propos du plus épuré des opéras de Wagner : « Avec Tristan, un metteur en scène ne peut pas faire grand-chose. » Et chacun, rivé à la sublime musique, semblait s'accommoder de cette relative démission scénique. Jusqu'à ce que…
Au cœur de l'hiver 2005, alerté par une tribune sur France-Musique, où la flamme tranquille de Jean-Michel Damian dialoguait avec celle de Jean-Marie Blanchard, le Directeur du Grand Théâtre de Genève d'alors, qui venait de confier les rênes de Tristan à Olivier Py, nous avons entrepris aussitôt le voyage sans savoir qu'il n'aurait rien à envier à certain pèlerinage à Bayreuth. Sans savoir que ce Tristan du XXIe siècle allait faire jeu égal avec ce qui était adoubé comme le plus beau Wagner du monde, le Ring du centenaire avec Chéreau.
Olivier Py donnait enfin le mouvement à Tristan ! Et quel ! Mouvement des corps mais surtout mouvement du décor. Le décor tout entier ! A l'Acte I, le bateau d'Isolde, qui, vu de profil, occupait tout le cadre de scène, opérait, de jardin vers cour, une translation de la proue à la poupe. Plus fort encore, mouvement perpétuel ! Le livret le dit : le bateau conduit Isolde vers Marke. Olivier Py et son génial Pierre-André Weitz le montraient. Après que, sur le fameux accord initial, le néon de la proue se fut allumé, le bateau se mettait à avancer imperceptiblement en un travelling géant donnant à voir ponts et coursive de ce Titanic d'un nouveau genre, et stoppait sa course sur l'ultime accord de l'acte. Magie visuelle à plein régime. Olivier Py en James Cameron de la scène.
Après cet Acte I totalement inédit, où l'on voyait s'engouffrer tranquillement, le plus silencieusement du monde, des mètres carrés de décors à cour, tandis qu'une surface équivalente apparaissait à jardin, l'enchantement ne se relâchait pas au II avec une translation en sens inverse de chambres balayées par les quatre éléments, où l'amour dialoguait avec la mort… L'acte III et sa noire mer à la Böcklin, d'où surgissaient des fantasmes du passé autour du lit de Tristan, cassait le mouvement en expédiant cour et jardin à la verticale par le biais d'un phare s'élevant des eaux. La lenteur calculée de l'ascension du phare prenait toute la mort d'Isolde pour faire disparaître le chant de celle-ci dans l'éther des cintres…
Dans cette lecture scénique de la plus fidèle musicalité, qui envoyait ad patres le vieux débat concernant l'écran que la scène pourrait faire à la musique, bien sûr Charbonnet et Forbis n'étaient pas Nilsson ou Vickers, mais l'on tenait là un geste de Gesamtkunstwerk qui eût enchanté le Maître. Assurément la chose la plus sidérante apparue sous nos yeux déjà gâtés par tant de mises en scène inspirées. Le DVD qui s'ensuivit ne fut hélas pas à la hauteur d'un spectacle que certains pensaient de toute façon infilmable (on rêve encore de ce qu'en aurait fait un François Roussillon…).
Quelques mois après, à Paris, l'intelligence du scalpel de Sellars pourrait fouiller le rituel Tristan sous la vidéo habitée de Bill Viola, mais ouf, Py avait démontré pour l'éternité à Genève (puis à Angers et à Dijon) que Tristan pouvait rimer avec mouvement.
Crédit photographique : © Jeff Rabillon
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