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Marcial Di Fonzo Bo met en scène un des grands succès d'Antonio Salieri à l'Opéra de Lausanne. Il s'est prêté généreusement au jeu de l'interview pour nous parler de la Grotta di Trofonio et dévoile quelques-uns des tenants de son travail de mise en scène.
« Je ne considère pas la mise en scène comme pouvant devenir un métier à part entière, mais bel et bien comme un prolongement du travail de plateau que je mène. »
ResMusica : Comment l'acteur de théâtre que vous êtes aborde-t-il le rôle de metteur en scène?
Marcial Di Fonzo Bo : Je travaille essentiellement comme acteur. La mise en scène n'est pour moi que la continuité de mon travail d'acteur. A titre personnel, je ne considère pas la mise en scène comme pouvant devenir un métier à part entière, mais bel et bien comme un prolongement du travail de plateau que je mène.
RM : Et le monde de l'opéra ?
MD :L'opéra, c'est encore tout autre chose ! J'ai travaillé jusqu'à aujourd'hui avec des orchestres autour d'un répertoire moderne et contemporain (Honegger, Heiner Gœbbels, …). Souvent, la musique a souvent été très présente au sein des œuvres que j'ai monté ou auxquelles j'ai participé comme récitant. La musique a occupé une place prépondérante dans nombres de mes travaux. L'option de l'opéra exerce dès lors, évidemment, une grande séduction. Il s'agit de prendre un ouvrage et la musique dans son ensemble. Paradoxalement, ce qui a été nouveau pour moi dans le cas de cet opéra de Salieri est de travailler avec un texte et une musique ancienne. Jusque-là, j'avais toujours travaillé autour de l'écriture moderne, contemporaine. Avec l'opéra, il est impressionnant de voir à quel point tout est contenu conjointement dans le texte du livret et dans la musique. Le travail du metteur en scène est d'être un révélateur de ces éléments. Je comparerais en partie cela au travail du peintre, qui a tout autour de lui et qui doit être concis, précis, direct dans son travail de restitution. Le geste du régisseur est de cette nature. Chaque image doit contenir l'œuvre entière.
RM : Comment « réhabiliter » Salieri, ce mal-aimé ?
MD : Je pense qu'il suffit d'écouter l'œuvre (sourire). Musicalement, je ne saurais le dire avec précision. Je ne suis ni musicologue, ni historien de la musique. Salieri a, rappelons-le, été le maître de Beethoven, de Liszt… Ce n'est pas rien !
RM : La Grotta di Trofonio connut un vif succès à sa création. Plus près de nous, que transporte l'ouvrage qui soit en résonance avec notre temps ?
MD : J'ai voulu aborder le livret sous l'angle du conte philosophique. Salieri vivait à une époque à laquelle on croyait tout pouvoir maîtriser. Le thème central de la Grotta est précisément le voyage initiatique. Dans le livret de Casti, il y a quelque chose qui va au-delà de l'attachement à une époque ou à une autre. Des questionnements tels que ceux inhérents à l'organisation d'une société autour de valeurs aussi immuables que la famille ou le mariage. Ces choses-là s'inscrivent dans chaque siècle. Il y a sinon la présence d'un magicien, de quelqu'un qui, par jeu, parvient à ébranler les certitudes relatives à tous ces thèmes de société. Je pense qu'aujourd'hui, nous n'avons pas encore fait le tour de ce monde de la magie, des enchantements. Trofonio est l'incarnation d'un jeu. Il est un grand acteur qui surgit avec malice et ses artifices pour bousculer les choses préétablies.
RM : Après maints rebondissements et chassés-croisés, la morale est finalement sauve…
MD : On ne voit finalement pas d'épilogue à la pièce. C'est assez troublant ! Musicalement, le grand final se veut triomphant, fastueux, joyeux alors que le texte préconise de fuir, de laisser le « méchant Trofonio »dans son repaire. Pendant tout le développement de l'œuvre, on se demande vers quoi cette confrontation entre monde réel et monde des sortilèges va aboutir. Et cela finit dans une sorte d'arrangement un peu étrange. Trofonio a convaincu tout le monde de l'existence de son monde surnaturel, mais on préfère le fuir, l'ignorer.
RM : Pouvez-vous d'ores et déjà nous révéler quelques éléments constitutifs de votre travail scénique ?
MD : Du côté de la scénographie, je n'ai pas opté pour une reconstitution historique. D'autre part, je n'ai pas non plus tout actualisé de manière radicale. C'eût été erroné, je crois. L'endroit du conte, monde imaginaire nous reliant à l'enfance, est un univers possible pour raconter une nouvelle fois l'histoire. La machinerie théâtrale ressemble par l'esprit à celle en usage au XVIIIe siècle, mais avec des éléments actuels comportant des rappels des Lumières.