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Vesoul. Théâtre Edwige Feuillère. 22-V-2015. Etienne Roche (né en 1955) ; Des enfants à croquer, opéra-comédie en un acte et 19 tableaux sur un livret de Claude Tabet, d’après Jonathan Swift. Mise en scène : Mike Guermyet et Charlotte Nessi. Images : Mike Guermyet. Scénographie et lumières : Gérard Champlon. Costumes : France Chevassu. Chorégraphie : Evandra Martins. Avec : Fernand Bernardi, Richard Bousquet, Maja Pavlovska, Laura Tejeda Martin (solistes) ; Christian Pageault, Eric Wolfer (comédiens) ; les enfants de l’Atelier chant-théâtre-danse du Théâtre Edwige Feuillère (chef de choeur : Scott Alan Prouty) ; Orchestre : Christine Massetti, Anna Schott, Vimala Sitthisack, Bohdana Horecka Aubrun, Carjez Gerretsen, Patrick Rudant, Jean-Paul Audin, Nathanael Malnoury, Enguerrand Ecarnot.
En adaptant la Modeste Proposition de Jonathan Swift, l'Ensemble Justiniana va plus loin encore dans sa prise de distance d'avec la forme opératique traditionnelle en créant un opéra sans chef et en promenant son credo esthétique entre Dickens et Tim Burton.
Peu savent qu'entre 1667 et 1745, l'irlandais Jonathan Swift, auteur fêté des Voyages de Gulliver, était déjà Charlie. Sa Modeste proposition pour empêcher les enfants des pauvres d'être à la charge de leurs parents ou de leur pays et pour les rendre utiles au public brossait, en quelques feuillets seulement, un tableau accablant du joug britannique sur son pays : extrême pauvreté, famine étaient au menu quotidien. L'humour d'un homme contre la violence des hommes.
Le compositeur Etienne Roche a tendu les quelques lignes de Swift à Charlotte Nessi qui a alors décidé de creuser davantage le merveilleux travail sur l'enfance qu'elle accomplit depuis 30 ans dans bon nombre des productions de son Ensemble Justiniana. Directrice depuis 2009 du Théâtre Edwige Feuillère de Vesoul, elle y a même instauré un désormais incontournable Mois voix d'enfants/Espace scénique.
L'opéra-comédie d'Etienne Roche, sur l'imparable livret que Claude Tabet a conçu de toutes pièces autour du squelette de Swift, est intitulé de la plus savoureuse façon : Des enfants à croquer. C'est un conte horrifique qui va bien au-delà de l'Oliver dickensien de Lionel Bart que Charlotte Nessi avait déjà monté en 2000.
Commencée en douceur dans la léthargie d'un ronron ferroviaire, l'intrigue nous jette ensuite littéralement dans les bras de Sweeney Todd. A croquer, ces enfants le seront à tous les sens du terme. La phraséologie parentale: Mon chou, ma caille, mon petit lapin en sucre, mais aussi… Soulager les pauvres afin de donner de l'agrément aux riches. A partir de cette proposition deux fois centenaire, la version 2015 est un portrait ravageur de la novlangue de notre monde consumériste. On pense au trafic d'organes… On a aussi une pensée pour Auschwitz avec des lits d'enfants transformés en châlits de sinistre mémoire. Mais comme dans Charlie Hebdo ou chez Tim Burton un humour salutaire, n'excluant jamais la poésie et la grâce chères à la metteuse en scène, dénonce la plus nauséeuse des pilules. Jamais l'Ensemble Justiniana n'était allé si loin qu'avec cet opéra-brûlot.
Conçue pour 9 musiciens autonomes placés en fond de scène, un choeur d'enfants, 4 chanteurs et 2 comédiens, la partition multi-générationnelle d'Etienne Roche promène la délicate mélancolie de ses essences populaires entre folk, jazz, blues. Lamenti, effets motoristes, comptines et tubes entêtants (ces derniers co-chantés par des spectateurs participatifs infiltrés) sont du voyage. L'enthousiasme et le professionnalisme bluffant de la trentaine d'enfants chanteurs et danseurs, préparés par des ateliers spécifiques ouverts à tous une année durant sous la houlette du chef de choeur Scott Alan Prouty, assisté de Mylène Liebermann, et de la chorégraphe Evandra Martins, ne sont pas loin de voler la vedette à une impeccable équipe de solistes.
Endossant tous plusieurs rôles, ceux-ci font pourtant merveille. Si Fernand Bernardi est un père dickensien en diable, la vis comica de Maya Pavloska fait mouche aussi bien en Molly tenancière de taverne qu'en effroyable gaveuse d'enfants. Mère touchante, Laura Tejeda Martin peut aussi composer une terrifiante laborantine écorcheuse de marmots, tandis que Richard Bousquet s'amuse beaucoup à jouer du couteau.
Les deux comédiens sont assez mémorables eux aussi : à Eric Wolfer, savant fou échappé d'Hergé, revient la charge d'énoncer la glaçante proposition swiftienne au cours d'une conférence sur le fil où le public réagit immanquablement (entre applaudissements factices desdits infiltrés , et vraies huées des gamins présents dans la salle), à Christian Pageault revient l'incarnation hilarante d'un maire qui est une caricature humaine d'homme politique.
Rehaussées par les vidéos de Mike Guermyet qui co-signe la mise en scène, les décors astucieux de Gérard Champlon permettent de passer du wagon d'un train à un hall de gare surpeuplé, d'un intérieur misérable à un abattoir aux sinistres rouages, et font revivre avec une belle nostalgie l'Irlande de Joyce.
Des enfants à croquer, représenté 7 fois, à Besançon, Vesoul et Belfort, se clôt avec l'écart temporel des vœux d'Ariane Mnouchkine qui exhortait en 2014 la génération actuelle de parents : « Disons à nos enfants qu'ils arrivent sur Terre quasiment au début d'une histoire et non pas à sa fin désenchantée. »Par-delà les grincements du rire noir de la machine à broyer les corps, au-delà du rire jaune, la leçon magnifique regonfle à bloc.
A table !
Crédits photographiques: © Yves Petit
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Vesoul. Théâtre Edwige Feuillère. 22-V-2015. Etienne Roche (né en 1955) ; Des enfants à croquer, opéra-comédie en un acte et 19 tableaux sur un livret de Claude Tabet, d’après Jonathan Swift. Mise en scène : Mike Guermyet et Charlotte Nessi. Images : Mike Guermyet. Scénographie et lumières : Gérard Champlon. Costumes : France Chevassu. Chorégraphie : Evandra Martins. Avec : Fernand Bernardi, Richard Bousquet, Maja Pavlovska, Laura Tejeda Martin (solistes) ; Christian Pageault, Eric Wolfer (comédiens) ; les enfants de l’Atelier chant-théâtre-danse du Théâtre Edwige Feuillère (chef de choeur : Scott Alan Prouty) ; Orchestre : Christine Massetti, Anna Schott, Vimala Sitthisack, Bohdana Horecka Aubrun, Carjez Gerretsen, Patrick Rudant, Jean-Paul Audin, Nathanael Malnoury, Enguerrand Ecarnot.