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Bâle. Theater Basel. 7-V-2015. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791). Un Conte d’amour, de déception et de rêves , d’après Cosi fan tutte, opéra en 2 actes sur un livret de Lorenzo da Ponte. Mise en scène et décor: Calixto Bieito. Costumes : Eva Butzkies. Lumières : Michael Bauer. Avec : Anna Princeva : Fiordiligi ; Barbara Senator, Dorabella ; Eung Kwang Lee, Guglielmo ; Noëmi Nadelmann, Despina. Choeur du Theater Basel (chef de choeur : Henryk Polus) et Sinfonieorchester Basel, direction : Ryusuke Numajiri.
Les 3 heures de Cosi fan tutte ramenées à 1h15 chrono, « agrémentés » de poèmes de Michel Houellebecq : Bieito l'a fait à Bâle. Pourquoi ?
Cosi fan tutte n'est plus depuis quelques lurettes la bouffonnerie boulevardière sous-estimée par nos aïeux mais l'Opéra majuscule sur le Désir humain. Sa conclusion n'est plus le happy end que contredit sans relâche la musique sublime de Wolfgang et fait la délectation des metteurs en scène de notre temps (disons du pionnier Auvray au tout récent Hanecke).
Calixto Bieito a déjà monté Cosi en 2000 pour le Welsh National Opera. 15 ans après il dit n'être plus le même et remet le scalpel sur le métier pour aller au-delà de son propre travail. Il prévient que ce nouveau Cosi sous-titré « Conte d'amour de déception et de rêves» n'est pas Cosi fan tutte. Ce qui l'intéresse cette fois, c'est ce qui va se passer après le dernier accord. Cosi fan tutte est la découverte du désir. Le Cosi de Bieito à Bâle est l'après. De la sidération à la désespérance. « La chair est triste et j'ai vu tous les opéras. » ou plutôt « La chair est triste et j'ai mis en scène tous les opéras .»
L'orchestre délocalisé apparaît en transparence à l'arrière d'un décor clinique aveuglant de blancheur, lesté d'un immense lit mouluré, seul vestige d'un âge baroque révolu. Dans les draps, 2 couples exténués. Nuisettes, bodies et marcels sont de rigueur. Une Despina revenue de tout bégaie Una donna a quindici anni sur l'appui d'un simple piano forte avant de s'échiner à réanimer le désir déjà usé des protagonistes. Et surtout celui de la cible principale, un Alfonso terrifiant de désespérance qui lui hurle I hate you, avant de craquer le temps d'une brève étreinte sonnant comme un adieu. C'est d'une implacabilité chirurgicale. Quatre langues dialoguent sur scène: français, anglais, allemand, italien. Musicalement : Une Ouverture, une moitié de Come scoglio, Tradito, Rivolgete , Il core vi dono, Per pieta, Si soave, Smanie implacabili, Un aura amorosa, les deux airs de Despina, une bribe des deux finals, le choeur du mariage, le haineux Nel mare d'Alfonso et c'est tout!
Pour stimulant qu'il soit, le parcours n'est pas de tout repos, forcément parasité de questions: où va-t'on? à quoi bon ? Et surtout : pourquoi pas un Cosi intégral alors que toutes les merveilleuses forces bâloises sont là : orchestre et choeur au complet, 6 chanteurs investis. Et puis dans le dernier quart d'heure, quand les chanteurs se rhabillent enfin avant de s'échapper du plateau sur Di scrivermi, on se sent cueilli par ce Cosi post-apocalypse. Les Addio très en situation nous font comprendre que tout n'était qu'une expérimentation. Les chanteurs vont retrouver leur vie. Que va-t'il s'y passer ? Que va-t'il se passer dans celle du spectateur après un tel constat? On n'en finira jamais.
Le sextuor engagé est de très bon niveau. Toujours à l'avant-scène, les voix très exposées font parfois les frais d'un travail aussi frontal. Le Rivolgete de Eung Kwang Lee apparaît trop puissant dans un contexte aussi intime, de même que le Per pieta spectaculaire et négocié avec de beaux moyens par Anna Princeva. Arthur Espiritu chante avec une prenante émotion un Ferrando plus intérieur. Barbara Senator est une Dorabella nuancée et touchante. La Despina casse-gueule de Noëmi Nadelmann en omniprésente maîtresse de cérémonie très Béatrice Dalle se sort des chausse-trappes les plus scabreuses. L'Alfonso de Neil Murphy n' a que quelques phrases mais elles n'ont rien à envier à l'intense présence silencieuse qu'il dégage.
Le Baselsinfonieorchester sous la direction de Ryusuke Numajiri, en grande forme sur l'Ouverture, plus brouillon sur la délicate conclusion de Per pieta, enveloppe ce Cosi à l'os, étrange mais intrigant cadeau lyrique d'un metteur en scène dont les spectacles sont aussi la mise en abyme courageuse d'un parcours personnel.
Dans le programme, Bieito affirme comme la Salomé de Wilde/Strauss que le mystère de l'Amour est plus profond que celui de la Mort. Au côté de votre serviteur, un couple très âgé a, de la première image à la dernière, sagement suivi la démonstration, main dans la main…
Crédit photographique : © Ismael Lorenzo
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Bâle. Theater Basel. 7-V-2015. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791). Un Conte d’amour, de déception et de rêves , d’après Cosi fan tutte, opéra en 2 actes sur un livret de Lorenzo da Ponte. Mise en scène et décor: Calixto Bieito. Costumes : Eva Butzkies. Lumières : Michael Bauer. Avec : Anna Princeva : Fiordiligi ; Barbara Senator, Dorabella ; Eung Kwang Lee, Guglielmo ; Noëmi Nadelmann, Despina. Choeur du Theater Basel (chef de choeur : Henryk Polus) et Sinfonieorchester Basel, direction : Ryusuke Numajiri.