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Rusalka selon Stefan Herheim : fluctuat et mergitur

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Opéra de Lyon. Antonín Dvořák, Rusalka, BB 203, conte lyrique en trois actes. Livret de Jaroslav Kvapil, d’après Ondine de Friedrich de La Motte-Fouqué et d’après La petite sirène de Christian Andersen. Stefan Herheim (mise-en-scène) ; Wolfgang Willaschek (dramaturgie) ; Heike Scheele (décors) ; Fettfilm, Berlin (vidéographie) ; Gésine Wöllm (costumes) ; Wolfgang Göbbel (lumières). Avec : Camilla Nylund, Rusalka ; Dmytro Popov, Le prince ; Károly Szemerédy, L’ondin Vodník ; Janina Baechle, Ježibaba ; Annalena Persson, La princesse étrangère ; Michaela Kušteková, La première fée des bois ; Veronika Holbová, La deuxième fée des bois ; Yete Queiroz, La troisième fée des bois ; Roman Hoza, Un chasseur & un prêtre ; Brian Bruce, Un boucher ; Yannick Berne, Un policier ; Kwong-Soun Kim, Mr High ; Paolo Stupenengo, Mr Low ; Hidefumi Narita, Un pharmacien ; Didier Roussel, M. Je-sais-tout. Chœur de l’Opéra de Lyon, Orchestre de l’Opéra national de Lyon, Konstantin Chudovsky (direction musicale).

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Dans ce « conte lyrique » qu'est Rusalka, Dvořák alterna formes fixes et fantaisie vagabonde. Par-dessus tout, il se laissa envahir par ce merveilleux à l'égard duquel le metteur-en-scène doit avoir la foi du charbonnier. Hélas, demeure un morne mécréant.

rusalka lyonLibre au dramaturge de ne pas représenter les contes littéraires sur lesquels Jaroslav Kvapil bâtit ce livret (Undine de Friedrich de La Motte-Fouqué et La petite sirène de Christian Andersen) ; encore siérait-t-il d'en laisser une trace symbolique, au-delà d'objets signalétiquement aqueux (brume, pluie ou aquarium). Libre au metteur-en-scène de congédier la romantique Urnatur (Nature originelle) et de la muer en jungle urbaine ; au moins la scénographie (un carrefour dans un quartier piétonnier, avec ses accortes façades qui changent selon l'action ; notamment une qui, successivement, est boucherie, échoppe de robes maritales puis sexshop) ne devrait-t-elle pas être tant déborder sur le plateau que les acteurs évoluent dans un mouchoir de poche. Et libre à cette production de désintituler certains rôles (les naïades sont, ici, des fées des bois) voire d'en supprimer d'autres (Marmiton et Garde-chasse), si seulement elle narrait un conte avec un rythme scénique alerte et avec une ferme direction d'acteurs.

Hélas, rien ne fonctionne. Pesante et inerte, la représentation lambine surtout le foisonnant acte II qui, ô regret, paraît mal bâti et laborieux. Manifestement, n'a pas écouté la partition, ici ravalée à un pâle pré-texte. En fait, il s'est attaché au seul livret. Ou plutôt à quelques mots du livret, piochés ça-et-là, coupés de leur contexte et mués en trucs et combines qu'une plate imitation scénique traduit. Le rire ainsi sollicité est lourd d'aguicheurs clins d'yeux. Un exemple vaudra pour les autres mécompréhensions : les rôles féminins, de Rusalka aux « fées des bois » sont, ici, des prostituées. N'avoir pour unique horizon interprétatif du monde féminin que le sempiternel, étréci et gras « toutes des putes » atterre et encolère le spectateur. D'autant que certaines chanteuses (à commencer par ) ont une contenance physique trop « noble » pour que la gestuelle péripatéticienne ne les place pas dans un pénible porte-à-faux. Ou alors eût-il fallu être cohérent et user uniment du registre grotesque, ici confié, cette fois avec réussite, aux seules choristes dont les silhouettes ressemblent aux femelles de Dubout.

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Une compétente équipe musicale

Heureusement, l'équipe vocale est d'un solide standard. Un peu longue à déployer sa plénitude vocale et malgré les chausse-trapes de cette production (cela explique ceci), est une émouvante Rusalka : un tantinet moins à l'aise qu'il y a dix-huit mois au Grand Théâtre de Genève (dans une autre production), elle est de ces grandes natures vocales qui inspirent un permanent respect et persuadent le spectateur qu'il assiste à un moment rare. Quoique mue Le prince en marin niais, suscite l'intérêt : de dimension moyenne mais bien conduit, son outil vocal est riche d'un beau timbre et d'une limpide musicalité. Malgré le pyjama et les chaussons dont il est affublé (il faut renoncer à comprendre pourquoi), (l'ondin Vodník) offre une plénitude vocale. Un égal compliment s'adressera à (Ježibaba) et à (La princesse étrangère), qui, vocalement, font oublier les costumes mal-seyants dont elles aussi sont affublées. Et saluons les trois jeunes membres du Studio de l'Opéra de Lyon (, et ) : le travail que, tout au long de l'année, elles accomplissent avec leur patron () est d'un professionnalisme accompli et trouve ci une pertinente réalisation.

Avec efficacité, Chœur et Orchestre de l'Opéra de Lyon tiennent leur rang : homogène en voix et alerte en scène pour le premier ; précis et solide pour le second. Quoique pas toujours précis, conduit, avec fluidité, la représentation. S'il avait davantage sollicité un plus large éventail d'intentions et de timbres, entre âpreté et suavité, il aurait apporté, dans la fosse, ce charme lyrique que la production scénique a méticuleusement étouffé.

Crédit photographique : © Jean-Pierre Maurin

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