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Elne Piano Fortissimo, de Bach à Wiener

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Elne. Festival Elne Piano Fortissimo. Du 17 au 20-VII-2014.

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elne1Comme chaque année, à la mi-juillet, le festival Elne Piano Fortissimo invite sous les très belles voûtes romanes de la cathédrale d'Elne une poignée de grands pianistes investissant la scène et l'acoustique des lieux au gré de leur imaginaire et des oeuvres choisies.

Atypique et très festive, la soirée d'ouverture réunissait autour du pianiste – un enfant du pays qui est aujourd'hui à la tête de l'ensemble « Les Musiciens de Monsieur Croche » – le quatuor que dirigeait , directeur du festival et néanmoins très actif musicien. Le programme était conçu autour de (1714-1788), tricentenaire oblige, dont on entendait des oeuvres solistes et concertantes au côté de la Fantaisie en ut mineur et du concerto pour piano K449 en mib majeur de Mozart.

débutait par la très surprenante Sonate en fa mineur du fils Carl Philipp Emanuel, sorte de tombeau de son père Jean-Sébastien, selon les propos du pianiste. A l'heure où Jean-Philippe Rameau théorise les principes de l'harmonie tonale, Carl Philipp Emanuel Bach nous entraîne dans un cheminement inextricable de modulations – dans la Fantaisie terminale notamment – dont l'interprète restituait l'étrangeté autant que les saveurs singulières. Plus proche du monde baroque, mais empreint d'une sensibilité nouvelle, le concerto pour clavier en ré mineur du même compositeur mettait à l'œuvre la digitalité brillante du pianiste soutenu par un quintette à cordes magnifiquement réactif.

Après la Fantaisie en do mineur de Mozart dont creusait un peu abruptement les contrastes dramatiques, le concerto en mi bémol sonnait avec une clarté et une énergie juvéniles, transmises par un pianiste assurant tout à la fois le soutien harmonique des tutti et la partie soliste.

Le lendemain, le très jeune (né en 1988), 1er Prix à l'unanimité du dernier concours Claude Bonneton, se lançait avec bonheur dans la Sonate en la mineur D784 de Schubert, révélant un tempérament de feu et une solidité dans le jeu qui laisse s'épanouir une dimension mélodique pleine de sensibilité. Le programme, un rien éclectique, se poursuivait par les Estampes (Pagode, La soirée dans Grenade, Jardins sous la pluie) de Debussy mettant en valeur un très beau toucher même si le jeu manquait de transparence et de diversité dans la palette des couleurs. La seconde partie, très russe, convoquait le lyrisme chaleureux du jeune interprète dans des extraits (Octobre et Novembre) des Saisons de Tchaïkovski et la redoutable Sonate n°2 de Rachmaninov au pianisme généreux qui permettait à de terminer son récital avec panache.

Dans la même soirée le pianiste madrilène Luis Fernando Perez amorçait son récital par la sonate dite Claire de lune de Beethoven, un rien débridée dans l'interprétation très libre et néanmoins fougueuse qu'il en donne. Les quatre Ballades op.10 du jeune Brahms qu'il jouait ensuite nous immergeaient dans l'univers sombre et fantastique du compositeur, Luis Fernando Perez trouvant ici les couleurs et la puissance d'une écriture dont il restituait toutes les richesses. Très, trop copieuse, la seconde partie de concert était résolument espagnole, invitant l'élégante sentimentalité de Granados (Trois danses espagnoles et Valses poétiques), un répertoire quelque peu routinier que le pianiste habite totalement; les quatre pièces d'Albeniz tirées des cahiers d'Iberia (Evocation, El Puerto, Almeria et El Albaicin), incontournables, semblaient dangereusement bavardes sous les doigts et la pédale un peu lascifs de Luis Fernando Perez. Autre tub, mais traversé ce soir par le duende, La Danza ritual del fuego, tirée de El Amor Brujo de Manuel de Falla révélait dans tout son éclat le génie du compositeur gaditan à travers la force évocatrice d'une musique admirablement concise et défendue avec ferveur par notre interprète.

Les deux concerts du dimanche 20 juillet s'inscrivaient dans le cadre du partenariat avec le Festival de Radio France Montpellier Languedoc Roussillon. En concert à 18h30, le jeune pianiste , tout juste 27 ans et déjà promu sur la scène internationale, proposait un récital Schubert avec les six Moments musicaux op.94, la Sonate n°13 et l'ultime Sonate n°21, écrite trois mois avant la mort du compositeur. C'est la simplicité et le naturel du jeu d' qui émeuvent dans les six Moments musicaux qu'il aborde avec un scrupuleux respect du texte. Le timbre chaleureux et la plénitude du son au sein d'un clavier très homogène donnent aux textures de Schubert une couleur et une sensibilité toute intérieure. L'éclairage change totalement au centre du cycle avec un Moment très énergétique où les sonorités flamboient sous les doigts de l'interprète. Son jeu se délie d'autant dans l'admirable Sonate n°13 en la majeur où les couleurs et les registres sont plus diversifiés. Le mouvement lent est joué à fleur de sensibilité en contraste avec le Finale presque facétieux, emprunt de spontanéité et de vitalité toute rafraichissante à la faveur du toucher perlé de l'interprète. L'imposante Sonate en Si bémol majeur est rien moins qu'impressionnante sous les doigts du jeune pianiste sondant en maître l'univers intérieur de la musique de Schubert avec une conduite du son imperturbable dans les méandres des variations. Une lumière particulière irradie l'exceptionnel scherzo noté con délicatezza par Schubert et l'on retrouve une exemplaire rigueur formelle dans le Finale si contrasté, dont la ronde presque obsédante des trois thèmes est menée avec une vitalité et une maestria confondantes.

elne2La dernière soirée, plutôt « déviante », réunissait sur scène deux pianos et trois artistes pour un « concert-salade » comme , – autour duquel était construit le projet -, aimait en composer dans les années trente, prônant le mélange des genres, le plaisir des sens et le bonheur de tous.

Au départ, c'est l'idée de réunir les deux pianos de – qu'on ne présente plus – et (improvisateur et jazzman), à l'instar du célèbre duo / Clément Doucet. A l'affiche, des pièces comme Cadence qui débutait le concert ou le Concerto Franco américain, partitions à deux pianos dûment écrites par Wiener; mais aussi des arrangements très personnels de la part des deux interprètes, comme celui de Feux d'artifice de Debussy où laisse des espaces d'improvisation à son partenaire, dans un aller-retour aussi ludique que fluide entre l'écrit et le non-écrit. Alternaient également des pièces solistes de (Java, Harlem) dont le jeu lumineux de – qui les a enregistrées sous le label Sisiphe – restituait l'élégance et le mordant très singuliers. Sensibilité et brillance émanaient également du toucher de (qui fut l'élève de Denis Pascal) dans la partie jazz soliste (Jelly Roll Morton, Cole Porter, Thelonious Monk…) qui laissait apprécier ses talents d'improvisateur. Et puis, dans ce « concert-salade », les mélodies très savoureuses, voire licencieuses, de l'iconoclaste Satie (La grenouille américaine, La statue de bronze, Daphéneo...), de Poulenc (Montparnasse, Hyde Park, Jouer du bugle…) et de Jean Wiener (extraits des Chantefleurs) qui invitaient sur scène le ténor . Accompagné par Denis Pascal, ce merveilleux ténor mettait sa voix flexible et racée au service du mot, dans cette attitude « demi-mondaine » qu'il adopte pour jouer ses personnages et captiver son public avec une présence  rayonnante. Avec un humour décalé et irrésistible, et dans la résonance des Chantefleurs, il revenait seul sur scène pour dire « Je préfère les fleurs » de Jacques Rebotier, un bis « trop drôle » pour terminer en beauté!

Crédits photographiques : Rémy Cardinal et Mare Nostrum; Denis Pascal et

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